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Ariane Web: Conseil d'État 389299, lecture du 7 décembre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:389299.20161207

Décision n° 389299
7 décembre 2016
Conseil d'État

N° 389299
ECLI:FR:CECHR:2016:389299.20161207
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du mercredi 7 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne (AUDACE) a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt et de l'imposition forfaitaire annuelle ainsi que des majorations et pénalités de retard mises à sa charge au titre des exercices clos en 2003 et 2004 et, d'autre part, des droits de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005. Par un jugement n° 1003398 du 28 décembre 2012, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13NT00627 du 5 février 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a réduit les bases de l'impôt sur les sociétés de 81 674 euros au titre de l'exercice 2003 et de 146 226,23 euros au titre de l'exercice 2004, réduit la base de la taxe sur la valeur ajoutée de 107 066,23 euros au titre de la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005, prononcé la décharge des impositions correspondantes, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de l'association.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 avril et 7 juillet 2015 et le 29 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 5 de cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de l'association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne (AUDACE) ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'association requérante a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période comprise entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2004, étendue en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée au 31 décembre 2005, au cours de laquelle le service a estimé qu'elle était redevable, eu égard à son activité, des impôts commerciaux et à l'issue de laquelle elle a été soumise à des cotisations d'impôt sur les sociétés, d'imposition forfaitaire annuelle et de taxe sur la valeur ajoutée, selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 66 du livre des procédures fiscales. L'association se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 février 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a réduit les bases de l'impôt sur les sociétés de 81 674 euros au titre de l'exercice 2003 et de 146 226,23 euros au titre de l'exercice 2004, réduit la base de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005 d'une somme de 107 066,23 euros, prononcé la décharge des impositions correspondantes et rejeté le surplus de ses conclusions d'appel contre le jugement du 28 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la décharge, d'une part, des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contributions sur cet impôt et d'imposition forfaitaire annuelle auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2003 et 2004 et, d'autre part, des droits de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période contrôlée, ainsi que des pénalités afférentes à ces impôts et taxe.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision du 8 juin 2015, postérieure à l'introduction du pourvoi, l'administration fiscale a dégrevé l'association requérante des droits et pénalités d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt dus au titre de l'exercice 2003. Par une décision du 4 mars 2016, postérieure à l'introduction du pourvoi, l'administration fiscale a dégrevé l'association requérante des droits et pénalités de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2004. En conséquence, les conclusions du pourvoi relatives aux bases de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2003 et aux bases de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2004 sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur le principe de l'assujettissement de l'association requérante à l'impôt sur les sociétés, à l'imposition forfaitaire annuelle et à la taxe sur la valeur ajoutée :

3. Aux termes de l'article 206 du code général des impôts, dans sa version applicable au présent litige : " 1. (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, (...) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. / 1 bis. Toutefois, ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés prévu au 1 les associations régies par la loi du 1er juillet 1901, (...) dont la gestion est désintéressée, lorsque leurs activités non lucratives restent significativement prépondérantes et le montant de leurs recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année civile au titre de leurs activités lucratives n'excède pas 60 000 euros. / Les organismes mentionnés au premier alinéa deviennent passibles de l'impôt sur les sociétés prévu au 1 à compter du 1er janvier de l'année au cours de laquelle l'une des trois conditions prévues à l'alinéa précité n'est plus remplie ". Aux termes de l'article 223 septies du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés sont assujetties à une imposition forfaitaire annuelle (...). " Aux termes de l'article 261 du même code : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 7. 1° a. les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée. / (...) b. les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient. (...) d. le caractère désintéressé de la gestion résulte de la réunion des conditions ci-après : / l'organisme doit, en principe, être géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation. / (...) l'organisme ne doit procéder à aucune distribution directe ou indirecte de bénéfice, sous quelque forme que ce soit ; / les membres de l'organisme et leurs ayants droit ne doivent pas pouvoir être déclarés attributaires d'une part quelconque de l'actif, sous réserve du droit de reprise des apports ".

4. Il résulte de ce qui précède que les associations ne sont exonérées de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée que si, d'une part, leur gestion présente un caractère désintéressé, et que, d'autre part, les services qu'elles rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique. Toutefois, même dans le cas où l'association intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, elle reste exclue du champ de l'impôt sur les sociétés et continue de bénéficier de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et à tout le moins des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'elle offre.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour, pour juger que la gestion de l'association requérante ne présentait pas un caractère désintéressé, a relevé que l'action de l'association, qui conseillait des particuliers ou entrepreneurs individuels dans des litiges avec les administrations et dans des procédures devant les tribunaux, constituait le prolongement de celle de la société Phytheron 2000, dont le gérant était également le président de l'association, et qui exerçait, outre une activité principale de commercialisation des produits phytopharmaceutiques, une activité de prestations d'assistance et de conseil juridique et administratif. La cour a également relevé que les prestations de conseil fournies par l'association étaient facturées en plus des cotisations des membres, selon un tarif établi en fonction des prestations fournies et des heures consacrées à la défense des clients, qu'une partie des recettes correspondantes étaient encaissées par la société Phytheron 2000 qui émettait les factures correspondantes, que cette société prenait en charge le salaire d'une secrétaire qui consacrait la quasi-totalité de son temps de travail à l'association et qu'un nombre important de clients de cette société étaient également membres de l'association. Par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, la cour en a déduit que, par son action, l'association permettait à la société Phytheron 2000 de développer sa propre clientèle. En en déduisant que la gestion de l'association ne pouvait être regardée comme désintéressée, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, ni donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée. Elle n'a pas davantage entaché son arrêt de contradiction de motifs en retenant cette qualification tout en déchargeant l'association requérante à hauteur de certaines prestations facturées par la société Phytheron 2000, au motif que l'association produisait une copie des factures et des conventions relatives à ces prestations desquelles il ressortait qu'elles n'avaient pas été réalisées par elle.

6. Dès lors que, par les seuls motifs rappelés au point 5 ci-dessus, la cour avait jugé que la gestion de l'association n'était pas désintéressée, le motif de l'arrêt tiré de ce qu'elle exerçait, dans le même secteur géographique, une activité de conseil juridique identique à celle de la société Phytheron 2000 présentait un caractère surabondant. Par suite, l'association requérante ne peut utilement soutenir que l'arrêt serait entaché de ce fait d'une contradiction de motifs.

Sur les bases de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2004 :

7. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. ". Aux termes de l'article R. 193-1 du même livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré. "

8. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a réduit les bases de l'impôt sur les sociétés mis à la charge de l'association requérante au titre de l'exercice 2004 à hauteur de 146 226,23 euros, correspondant aux prestations facturées par la société Phytheron 2000, pour lesquelles l'association avait produit pour la première fois en appel copie tant des factures émises par la société Phytheron 2000 que des conventions que cette société avait passées avec ses clients, et desquelles il ressortait que les prestations n'avaient pas été réalisées par l'association requérante. En ne déchargeant pas l'association requérante des bases de l'impôt sur les sociétés à hauteur d'une facture de 15 000 euros émise par la société Phytheron 2000 à l'attention de la société Erigone, qui n'était pas accompagnée de la convention correspondante, la cour, a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine non entachée de dénaturation et n'a ni entaché son arrêt de contradiction de motifs, ni méconnu les dispositions citées au point 7 ci-dessus.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de l'association requérante ne peut qu'être rejeté.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à l'Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi relatives aux rappels, en droits et pénalités, d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2003 et de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2004.
Article 2 : Le surplus des conclusions d'annulation du pourvoi de l'Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à l'Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne et au ministre de l'économie et des finances.