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Ariane Web: Conseil d'État 401716, lecture du 15 décembre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:401716.20161215

Décision n° 401716
15 décembre 2016
Conseil d'État

N° 401716
ECLI:FR:CECHR:2016:401716.20161215
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP DE CHAISEMARTIN, COURJON, avocats


Lecture du jeudi 15 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...A...ont demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2007 et 2008. Par un jugement n° 100683, 101668 du 12 octobre 2012, le tribunal a fait droit à leur demande en ce qui concerne la seule année 2008.

Par un arrêt n° 13MA00537 du 25 mars 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a déchargé M. et Mme A...des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2007, à concurrence de la somme de 50 861 euros et rejeté le surplus de leur requête.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 juillet et 20 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 4 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire entièrement droit à leur appel.


Par un mémoire distinct et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 octobre et 29 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur pourvoi en cassation, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au 31 janvier 2007.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le règlement (CE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;
- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêt C-623/13 du 26 février 2015 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de M. et MmeA....


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " Lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". En vertu des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, prises pour l'application de ces dispositions constitutionnelles, le Conseil constitutionnel doit être saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, à l'exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre de l'article L. 136-7 : / (...) c) Des revenus de capitaux mobiliers ; / (...) / e) Des plus-values, gains en capital et profits réalisés sur les marchés à terme d'instruments financiers et de marchandises, ainsi que sur les marchés d'options négociables, soumis à l'impôt sur le revenu à un taux proportionnel (...) ".

3. M. et Mme A...ont été assujettis à la contribution prévue à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale au titre de l'année 2007 sur le fondement des c) et e) du I de cet article. Ces dispositions de l'article L. 136-6, dans leur rédaction mentionnée au point 2, sont donc applicables au litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

4. En vertu de l'article 13 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998, et dont les dispositions sont reprises à l'article 11 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, les personnes auxquelles le règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre. Il résulte de l'interprétation donnée de ces dispositions par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre Gérard de Ruyter, C-623/13, que la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine prévue à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au titre des années 1997 à 2004, dès lors qu'elle était affectée au financement d'un régime de sécurité sociale français, entrait dans le champ d'application du règlement du 14 juin 1971.

5. La contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine prévue à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au présent litige, ne différait pas de celle applicable au titre des années 1997 à 2004 et était toujours affectée au financement d'un régime de sécurité sociale français. Il découle de ce qu'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, rappelé au point 4, que la contribution perçue au titre de l'année 2007 entre par suite dans le champ du règlement du 29 avril 2004. Elle est donc soumise au principe d'unicité de législation posé par l'article 11 de ce règlement.

6. Il en résulte qu'une personne relevant d'un régime de sécurité sociale d'un Etat membre autre que la France ne peut être soumise à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine. En revanche, le règlement du 29 avril 2004 n'étant pas applicable en dehors de l'Union européenne, sauf accord international le prévoyant, ses dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une personne relevant d'un régime de sécurité sociale d'un Etat tiers à l'Union européenne soit assujettie à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine. M. et Mme A...soutiennent que la différence de traitement qui en résulte pour l'application de la contribution prévue à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, entre les personnes relevant d'un régime de sécurité sociale d'un Etat membre autre que la France et celles relevant d'un régime de sécurité sociale d'un Etat tiers à l'Union européenne, méconnaît les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon eux, cette différence de traitement n'est pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la disposition législative contestée.

7. Ce moyen soulevant une question présentant un caractère sérieux, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.


D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des c) et e) du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en 2007, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et MmeB... A..., au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.