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Ariane Web: Conseil d'État 405471, lecture du 19 décembre 2016, ECLI:FR:CEORD:2016:405471.20161219

Décision n° 405471
19 décembre 2016
Conseil d'État

N° 405471
ECLI:FR:CEORD:2016:405471.20161219
Mentionné aux tables du recueil Lebon
Juge des référés
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du lundi 19 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 novembre et 13 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La Cimade, service oecuménique d'entraide, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) avant-dire droit, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de communiquer l'instruction du 19 juillet 2016 relative à l'application du règlement UE n° 604/2013 dit " Dublin III " ;

2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'instruction du 19 juillet 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


La requérante soutient que :

- l'instruction n'est pas applicable faute d'avoir été mise en ligne sur le site dédié aux circulaires ;
- sa requête est recevable dès lors que le Conseil d'Etat est compétent pour statuer sur la suspension de l'exécution des circulaires impératives, que l'instruction attaquée revêt le caractère d'une circulaire impérative et qu'elle justifie d'un intérêt à agir en matière de droit d'asile ;
- si l'instruction est applicable, la condition d'urgence est remplie, dès lors que l'atteinte aux intérêts qu'elle défend est immédiate et grave et que l'instruction contestée porte atteinte à un intérêt public ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'instruction du 19 juillet 2016 ;
- elle est entachée d'incompétence, seul le législateur pouvant fixer les conditions de privation de liberté des personnes ;
- la disposition litigieuse est prise notamment en application des dispositions de l'article L. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui sont elles-mêmes contraires au règlement UE n° 604/2013 ;
- le ministre de l'intérieur commet une erreur de droit dans la caractérisation de la fuite en méconnaissance du règlement UE n° 604/2013 ;
- elle méconnaît le règlement UE n° 604/2013, la directive 2013/33/UE et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle permet de placer un étranger en situation irrégulière sur le territoire français en rétention pendant une durée qui excède le délai maximal d'une procédure.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. A titre principal, il soutient que la requête de la Cimade est irrecevable dès lors que l'instruction attaquée revêt le caractère d'une circulaire interprétative et n'a pas de contenu impératif. A titre subsidiaire, il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés. Enfin, il communique au soutien de son mémoire l'instruction du 19 juillet 2016 relative à l'application du règlement UE n° 604/2013 dit " Dublin III ".


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Cimade, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 14 décembre 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Cimade ;

- le représentant de la Cimade ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 décembre 2016, présentée par le ministre de l'intérieur ;


1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence ; que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ;

2. Considérant que l'association requérante demande la suspension de l'instruction du 19 juillet 2016 adressée par le ministre de l'intérieur aux préfets, relative à l'application du règlement (UE) n°604/2013 dit " Dublin III ", en ce qui concerne le recours à l'assignation à résidence et à la rétention administrative dans le cadre de l'exécution des décisions de transfert ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 312-8 du code des relations entre le public et l'administration " Sans préjudice des autres formes de publication éventuellement applicables à ces actes, les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation.
Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés. " ;

4. Considérant qu'il est constant que l'instruction litigieuse n'a pas fait l'objet de la publication prévue par ces dispositions ; qu'elle n'est ainsi pas applicable, les préfets et leurs collaborateurs ne pouvant s'en prévaloir à l'égard des personnes entrant dans le champ d'application des dispositions pour la mise en oeuvre desquelles elle a été prise ; que dépourvue d'effets, elle ne crée dès lors aucune situation d'urgence ; que les conclusions à fin de suspension de la requête et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent par conséquent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens soulevés ;


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la Cimade est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association La Cimade et au ministre de l'intérieur.