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Ariane Web: Conseil d'État 390060, lecture du 28 décembre 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:390060.20161228

Décision n° 390060
28 décembre 2016
Conseil d'État

N° 390060
ECLI:FR:CECHR:2016:390060.20161228
Inédit au recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
M. Frédéric Puigserver, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP CAPRON, avocats


Lecture du mercredi 28 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 390060, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 mai 2015 et 22 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 mars 2015 fixant pour l'année 2015 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel de l'interprétation de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 399453, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 mai et 8 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 mars 2016 fixant pour l'année 2016 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la décision 2012/21/UE de la Commission européenne du 20 décembre 2011 relative à l'application de l'article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides d'Etat sous forme de compensation de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Capron, avocat de la Fédération de l'hospitalisation privée et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Fédération de l'hospitalisation privée ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 décembre 2016, présentée par le ministre des affaires sociales et de la santé ;




Considérant ce qui suit :

1. En vertu des dispositions du I de l'article L. 162-22-10 et de l'article R. 162-42-1 du code de la sécurité sociale, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent chaque année, dans le respect de l'objectif des dépenses d'assurance maladie commun aux activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie exercées par les établissements de santé, certains éléments tarifaires, dont les tarifs nationaux des prestations d'hospitalisation mentionnées au 1° de l'article L. 162-22-6 servant de base au calcul de la participation de l'assuré, qui prennent effet le 1er mars de l'année en cours. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, la Fédération de l'hospitalisation privée demande l'annulation pour excès de pouvoir des arrêtés des 4 mars 2015 et 4 mars 2016 intervenus sur le fondement de ces dispositions, par lesquels le ministre des finances et des comptes publics et le ministre des affaires sociales et de la santé ont fixé, respectivement pour l'année 2015 et pour l'année 2016, les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale.

Sur la régularité de la procédure :

2. Il est soutenu que l'avantage dont bénéficient les établissements de santé publics ou privés mentionnés aux a, b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale, en raison de ce que les arrêtés attaqués prévoiraient, pour ces catégories d'établissements de santé, des tarifs plus élevés que ceux qu'il fixe pour les établissements privés de santé mentionnés au d du même article, constitue une aide d'Etat qui aurait dû être notifiée préalablement à la Commission européenne, dès lors que les arrêtés attaqués ne rempliraient pas les conditions fixées par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et par la décision 2012/21/UE de la Commission du 20 décembre 2011 relative à l'application de l'article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides d'Etat sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général.

3. Aux termes du paragraphe 2 de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du même traité : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". Selon le paragraphe 3 de l'article 108 du même traité : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ".

4. Ainsi que l'a relevé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt rendu le 22 octobre 2015 dans l'affaire C-185-14, il résulte de la décision 2012/21/UE de la Commission du 20 décembre 2011 que des aides d'Etat sous la forme de compensations de service public octroyées à des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont compatibles avec le marché intérieur et exemptées de l'obligation de notification préalable à condition qu'elles remplissent les conditions énoncées par cette décision. Celle-ci énonce, selon son article 1er, " les conditions en vertu desquelles les aides d'État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont compatibles avec le marché intérieur et exemptées de l'obligation de notification prévue à l'article 108, paragraphe 3, du traité " et s'applique, selon son article 2, " aux aides d'État sous forme de compensations de service public accordées à des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général au sens de l'article 106, paragraphe 2, du traité, et qui relèvent d'une des catégories suivantes:/ (...) b) compensations octroyées à des hôpitaux fournissant des soins médicaux (...) ".

5. Tout d'abord, il résulte des dispositions du livre Ier de la sixième partie du code de la santé publique, dans leur rédaction applicable à la date des arrêtés attaqués, que cette rédaction soit antérieure à la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ou qu'elle en soit issue, que les établissements de santé publics ou privés mentionnés aux a, b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale doivent être regardés comme s'étant vu effectivement confier des " obligations de service public " au sens de l'arrêt rendu le 24 juillet 2003 par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire Altmark Trans GmbH C-280/00, relatif aux aides versées sous forme de compensations représentant la contrepartie d'obligations de service public. Il résulte en outre des dispositions de l'article L. 6114-1 du code de la santé publique que ces établissements doivent conclure avec l'agence régionale de santé un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, qui doit être regardé comme le mandat exigé par l'article 4 de la décision de la Commission du 20 décembre 2011. Le guide méthodologique pour l'élaboration de ces contrats, élaboré par le ministre de la santé à l'intention des agences régionales de santé et des établissements de santé, précise les mentions qui doivent y figurer pour satisfaire aux exigences de cette décision.

6. Ensuite, il ne résulte d'aucune exigence découlant du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ni d'aucune législation sectorielle de l'Union européenne, dont le respect est rappelé à l'article 3 de la décision de la Commission du 20 décembre 2011, que l'attribution d'obligations de service public aux établissements de santé, qui, en particulier, ne relève pas de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, alors en vigueur, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, doive être précédée d'une procédure de mise en concurrence.

7. Enfin, d'une part, il résulte des dispositions des articles L. 162-22-9 et R. 162-42-1 du code de la sécurité sociale que le mécanisme de compensation et les paramètres de calcul des compensations accordées par les arrêtés attaqués aux établissements mentionnés aux a, b et c de l'article L. 162-22-6 du même code, à raison des obligations de service public qui leur sont imposées, qui reposent sur la fixation de tarifs de prestations appliqués à l'activité réelle des établissements, ont été préalablement établis de façon objective et transparente. D'autre part, il ne ressort pas des pièces des dossiers que le montant des compensations accordées par les arrêtés attaqués, par les tarifs de prestation qu'ils prévoient, calculés selon les critères mentionnés aux articles L. 162-22-9 et R. 162-42-1, excèderait ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts nets occasionnés par l'exécution des obligations de service public imposées à ces établissements, y compris un bénéfice raisonnable. Il résulte, en outre, de l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires applicables à ces établissements, qui régissent en particulier la fixation des tarifs nationaux des prestations, l'attribution des financements et les contrôles dont ils font l'objet, ainsi que des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens prévus à l'article L. 6114-1 du code de la santé publique, que les autorités compétentes, avant même l'entrée en vigueur de l'article L. 6116-3 introduit dans le code de la santé publique par la loi du 26 janvier 2016, destiné à renforcer les modalités de contrôle et de récupération d'une éventuelle surcompensation, veillent, conformément à l'article 6 de la décision de la Commission, à ce qu'ils ne bénéficient pas d'une compensation excédant ce niveau.

8. Il résulte de ce qui précède que ces compensations remplissent les conditions mises par la décision de la Commission du 20 décembre 2011 pour être exemptées de l'obligation de notification prévue à l'article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Dès lors, la circonstance, alléguée par la fédération requérante, selon laquelle la compensation accordée au titre de 2015 n'aurait pas été déterminée sur la base d'une analyse des coûts d'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée, selon l'un des critères retenus par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 24 juillet 2003 cité au point 5, pour juger que la compensation d'obligations de service public ne constituait pas une aide d'Etat, est sans incidence sur cette exemption. Par suite, les moyens tirés de ce que les arrêtés attaqués seraient irréguliers, faute d'avoir été préalablement notifiés à la Commission, doivent être écartés.

Sur la base légale des arrêtés attaqués :

9. Aux termes de l'article R. 162-42-1 du code de la sécurité sociale : " Dans un délai de quinze jours suivant la publication de l'arrêté mentionné à l'article R. 162-42, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent (...) les éléments tarifaires mentionnés aux 1° à 3° du I de l'article L. 162-22-10 dans le respect de l'objectif de dépenses mentionné à l'article L. 162-22-9. / A cet effet, les tarifs nationaux des prestations et les montants des forfaits annuels sont déterminés en tenant compte notamment des prévisions d'évolution de l'activité des établissements pour l'année en cours, mesurée notamment à partir des données mentionnées aux articles L. 6113-7 et L. 6113-8 du code de la santé publique et de l'impact de l'application des coefficients géographiques aux tarifs des établissements des zones concernées. / Pour le calcul des tarifs nationaux des prestations, il peut également être tenu compte de la situation financière des établissements, appréciée, le cas échéant, par activité de soins, ou du coût relatif des prestations d'hospitalisation (...) ". Contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions, qui définissent, sans ambiguïté ou imprécision, les critères de fixation des éléments tarifaires mentionnés aux 1° à 3° du I de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale, ne méconnaissent pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme.

Sur la prise en compte des incidences du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et du pacte de responsabilité :

10. D'une part, il résulte de l'article 244 quater C introduit dans le code général des impôts par l'article 66 de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificatives pour 2012 que les entreprises imposées à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu " d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A et 44 decies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt ayant pour objet le financement de l'amélioration de leur compétitivité à travers notamment des efforts en matière d'investissement, de recherche, d'innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement ", qui " est assis sur les rémunérations que les entreprises versent à leurs salariés au cours de l'année civile (...) n'excédant pas deux fois et demie le salaire minimum de croissance ". En outre, il résulte de l'article L. 241-6-1 introduit dans le code de la sécurité sociale par la loi du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, mettant en oeuvre le " pacte de responsabilité et de solidarité ", que le taux des cotisations à la charge de l'employeur au titre des allocations familiales, au titre des rémunérations versées à compter du 1er janvier 2015, a été " réduit de 1,8 point pour les salariés (...) dont les rémunérations ou gains n'excèdent pas 1,6 fois le salaire minimum de croissance " puis, en vertu de la loi du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, au titre des rémunérations versées à compter du 1er avril 2016, pour les salariés " dont les rémunérations ou gains n'excèdent pas 3,5 fois le salaire minimum de croissance ", et il résulte des modifications apportées à l'article L. 241-13 du même code par la loi du 8 août 2014 que la réduction dégressive applicable aux cotisations à la charge de l'employeur est élargie.

11. D'autre part, en vertu des dispositions combinées des articles L. 162-22-9 et R. 162-42 du code de la sécurité sociale, chaque année, dans un délai de quinze jours suivant la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale, les ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et du budget arrêtent le montant de l'objectif des dépenses d'assurance maladie commun aux activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie, en tenant compte notamment de l'état provisoire et de l'évolution des charges d'assurance maladie au titre des soins dispensés l'année précédente et de l'évaluation des charges des établissements. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 162-22-9, L. 162-22-10 et R. 162-42-1 du même code que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale doivent notamment tenir compte, pour fixer les tarifs mentionnés au 1° de l'article L. 162-22-10 dans le respect de cet objectif, des prévisions d'évolution de l'activité des établissements pour l'année en cours et de l'impact de l'application des coefficients géographiques aux tarifs des établissements des zones concernées, et qu'ils peuvent également tenir compte de la situation financière des établissements ainsi que des données afférentes au coût relatif des prestations d'hospitalisation. Enfin, ces tarifs peuvent être différenciés par catégories d'établissements, notamment en fonction des conditions d'emploi du personnel médical.

12. Il ressort des pièces des dossiers que les ministres ont fixé, dans les annexes V, VI, VII et VIII des arrêtés attaqués, les tarifs applicables pour les exercices 2015 et 2016 aux établissements privés de santé à but lucratif mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale en tenant compte du bénéfice global que l'ensemble des établissements de cette catégorie doivent retirer, au titre de ces années, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et du pacte de responsabilité et de solidarité, les tarifs nationaux des prestations d'hospitalisation en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie étant de ce fait inférieurs, respectivement, de 1,5 % et de 0,65 % à ce qu'ils auraient été sans cette prise en compte.

13. En premier lieu, sur le fondement des dispositions des articles L. 162-22-9, L. 162-22-10, R. 162-42 et R. 162-42-1 du code de la sécurité sociale, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale peuvent légalement tenir compte du niveau respectif des charges réellement exposées par les établissements des différentes catégories mentionnées à l'article L. 162-22-6 ainsi que des produits susceptibles de venir en atténuation des charges que les tarifs ont vocation à financer. Ces dispositions ne font pas obstacle, à ce titre, à ce qu'ils prennent en considération des charges de nature fiscale ou sociale, ainsi que des atténuations de charge participant du régime fiscal ou social auquel les établissements sont soumis. Les tarifs des établissements de santé applicables aux soins de médecine, chirurgie et obstétrique et odontologie ayant vocation à financer, sans distinction, toutes les charges afférentes à ces activités, les ministres, en tenant compte des effets positifs du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et du pacte de responsabilité et de solidarité se rattachant à ces activités indépendamment de l'origine des produits susceptibles de les financer, n'ont pas méconnu les dispositions des articles L. 162-22-9, L. 162-22-10 et R. 162-42-1 dont ils devaient faire application et n'ont pas commis d'erreur de droit. Ils n'ont pas non plus commis un détournement de pouvoir ou de procédure.

14. En second lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Il n'impose pas de traiter différemment des établissements se trouvant dans des situations différentes.

15. Tout d'abord, aux termes du I de l'article 244 quater C du code général des impôts : " (...) Les organismes mentionnés à l'article 207 peuvent également bénéficier du crédit d'impôt mentionné au présent alinéa au titre des rémunérations qu'ils versent à leurs salariés affectés à leurs activités non exonérées d'impôt sur les bénéfices. Ces organismes peuvent également en bénéficier à raison des rémunérations versées aux salariés affectés à leurs activités exonérées après que la Commission européenne a déclaré cette disposition compatible avec le droit de l'Union européenne ". Il résulte de ces dispositions que les établissements privés de santé à but non lucratif, exonérés d'imposition sur leurs bénéfices en vertu des dispositions des article 207 et 261 du code général des impôts, sont susceptibles de bénéficier du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi au titre des rémunérations versées aux salariés affectés à leurs activités exonérées - au nombre desquelles figurent leurs activités de soins - sous réserve de l'intervention d'une décision de la Commission européenne. Toutefois, en l'absence d'une telle décision, les établissements de santé à but non lucratif ne peuvent bénéficier de ce crédit d'impôt au titre de 2015 et 2016. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité entre établissements de santé privés à but lucratif mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale, seule catégorie pour laquelle les tarifs ont été calculés en tenant compte de l'incidence du crédit d'impôt, et les établissements de santé privés à but non lucratif mentionnés aux b et c du même article, manquent en fait.

16. Ensuite, il résulte des dispositions de l'article L. 162-22-9 du code de la sécurité sociale que les ministres compétents doivent fixer des tarifs pour les différentes prestations, le cas échéant différenciés par catégories d'établissements, et non des tarifs propres à chaque établissement. Par suite, il ne peut être utilement soutenu que l'application de tarifs identiques à tous les établissements privés de santé à but lucratif, alors que le bénéfice que chaque établissement retirera individuellement du crédit d'impôt variera selon la structure de ses charges de personnel, méconnaîtrait le principe d'égalité.

17. Enfin, il résulte des dispositions de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale peuvent légalement soumettre les établissements de santé à des tarifs nationaux différenciés entre les catégories d'établissements mentionnés au 1° de l'article L. 162-22-6 du même code, en tenant compte du niveau respectif des charges, notamment de personnel, auxquelles ils sont exposés. Or les établissements publics de santé mentionnés au a de ce dernier article et les établissements de santé privés mentionnés à son d ne sont pas placés dans la même situation au regard de leurs charges fiscales et sociales. La différence de traitement qui résulte de la prise en compte de ces charges est en rapport avec l'objet des tarifs, qui est de couvrir une partie de ces charges, et n'est pas, eu égard au mode de calcul des tarifs, manifestement disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué du 4 mars 2015 méconnaîtrait, dans cette mesure, le principe d'égalité entre ces deux catégories d'établissements doit être écarté.

18. En revanche, il est constant que les mesures de baisse de charges sociales adoptées dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité s'appliquent tant aux établissements de santé privés à but non lucratif mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale qu'aux établissements de santé privés à but lucratif mentionné au d du même article. Il est également constant, ainsi qu'il a été dit au point 12, que, par les arrêtés attaqués, dont la légalité doit être appréciée en fonction des circonstances de droit et de fait existant à la date de leur adoption, les ministres ont tenu compte de l'incidence positive de ces mesures sur le niveau des charges des établissements privés de santé à but lucratif mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale, sans toutefois procéder de même en ce qui concerne les établissements privés de santé à but non lucratif mentionnés aux b et c du même article, alors pourtant qu'ils bénéficient, au même titre, de cette incidence. Cette différence de traitement n'est justifiée par aucune différence de situation qui serait en rapport avec l'objet des tarifs fixés par les arrêtés attaqués ni par aucun intérêt général. Eu égard aux intentions des auteurs des dispositions appliquées ainsi qu'à l'objet des mesures prises, elle entache d'illégalité les arrêtés attaqués en tant qu'ils fixent les tarifs applicables aux établissements de santé privés à but non lucratif mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale.

Sur l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation :

19. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en fixant uniformément à 1 % la baisse des tarifs concernés par rapport à l'année précédente pour les établissements relevant du a, du b et du c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale et pour ceux relevant du d du même article, avant prise en compte des effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et du pacte de responsabilité et de solidarité, alors, d'une part, qu'ils avaient prévu une augmentation de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie et de l'objectif de dépense d'assurance maladies des activités de médecine, chirurgie et obstétrique et odontologie et, d'autre part, qu'ils anticipaient une augmentation plus forte de ces activités pour la première catégorie d'établissements que pour la seconde, les auteurs de l'arrêté du 4 mars 2016, qui devaient également tenir compte de la structure de la dépense dans chacun de ces secteurs, auraient entaché leur décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la Fédération de l'hospitalisation privée est fondée demander l'annulation des arrêtés des 4 mars 2015 et 4 mars 2016 en tant seulement qu'ils fixent, par des dispositions qui sont divisibles, les tarifs applicables aux établissements de santé privés à but non lucratif mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale.

Sur les conséquences de l'illégalité des arrêtés :

21. D'une part, il ressort des pièces du dossier, à la suite de la mesure d'instruction ordonnée sur ce point par la 1ère chambre de la section du contentieux, que les exonérations de charges sociales résultant, pour les établissements de santé privés à but non lucratif mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale, du pacte de responsabilité et de solidarité ont fait l'objet, dans le courant de l'année 2015, d'une compensation par la diminution de l'aide allouée à ces établissements au titre de la compensation partielle des surcoûts liés à leurs charges salariales, et qu'une compensation, ayant le même objet, est prévue, de manière certaine, au titre de l'année 2016. D'autre part, la disparition immédiate et rétroactive, en cours d'année de facturation, des tarifs nationaux fixés par l'arrêté du 4 mars 2016 porterait une atteinte manifestement excessive au fonctionnement du service public hospitalier et à la détermination du montant des remboursements dont bénéficient les assurés sociaux. Dans ces conditions, il y a lieu de disposer, d'une part, que l'annulation de l'arrêté du 4 mars 2016 ne prendra effet qu'au 1er mars 2017 et, d'autre part, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, les effets des arrêtés litigieux sur les prestations effectuées par les établissements de santé doivent être regardés comme définitifs, y compris, s'agissant de l'arrêté du 4 mars 2016, pour la période restant à couvrir.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la Fédération de l'hospitalisation privée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 4 mars 2015 fixant pour l'année 2015 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale est annulé en tant qu'il fixe les tarifs applicables aux établissements de santé privés à but non lucratif mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du même code. Toutefois, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets de cet arrêté sur les prestations effectuées par les établissements de santé doivent être réputés définitifs.
Article 2 : L'arrêté du 4 mars 2016 fixant pour l'année 2016 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale est annulé à compter du 1er mars 2017 en tant qu'il fixe les tarifs applicables aux établissements de santé privés à but non lucratif mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du même code. Toutefois, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets de cet arrêté, au titre de l'ensemble de la période couverte par celui-ci, sur les prestations effectuées par les établissements de santé doivent être réputés définitifs.
Article 3 : L'Etat versera à la Fédération de l'hospitalisation privée une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de l'hospitalisation privée, au ministre de l'économie et des finances et à la ministre des affaires sociales et de la santé.