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Ariane Web: Conseil d'État 397422, lecture du 28 décembre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:397422.20161228

Décision n° 397422
28 décembre 2016
Conseil d'État

N° 397422
ECLI:FR:CECHR:2016:397422.20161228
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Arno Klarsfeld, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 28 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler l'ordre de réquisition du 28 mars 2013 par lequel le préfet de la région Martinique l'a obligée à s'approvisionner, pour sa centrale de Bellefontaine, en fioul industriel n° 2 auprès de la société anonyme de raffinerie des Antilles du 1er au 30 avril 2013, au prix fixé par l'arrêté du 28 mars 2013 relatif au prix maximum de certains produits pétroliers et du gaz domestique. Par un jugement n° 1300394 du 12 mars 2015 le tribunal administratif de Fort-de-France a annulé cet ordre de réquisition.

Par un arrêt n° 15BX01682 du 22 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé contre ce jugement par le ministre des outre-mer.

Par un pourvoi, enregistré le 29 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des outre-mer demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- les décrets n° 2003-1241 du 23 décembre 2003 et n° 2010-1332 du 8 novembre 2010 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Electricité de France ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par un ordre de réquisition daté du 28 mars 2013, le préfet de la région Martinique a, sur le fondement de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, contraint la société Electricité de France (EDF), pour fournir en fuel lourd sa centrale thermique de Bellefontaine, située à la Martinique, à s'approvisionner auprès de la société anonyme de raffinerie des Antilles (SARA), pour la période correspondant au mois d'avril 2013, au prix maximum fixé par un arrêté préfectoral du 28 mars 2013 relatif au prix maximum de certains produits pétroliers et du gaz domestique. A la demande d'EDF, le tribunal administratif de la Martinique a annulé cet ordre de réquisition par un jugement du 12 mars 2015. Le ministre des outre-mer se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 décembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par l'Etat contre ce jugement.

2. Aux termes du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : " En cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées. ".

3. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ordre de réquisition attaqué qu'EDF était tenue de s'approvisionner " en fioul industriel n° 2 au prix fixé par l'arrêté du 28 mars 2013 relatif au prix maximum de certains produits pétroliers et du gaz domestique ". L'article 2 de cet arrêté comporte un prix maximum pour la vente en gros du fuel lourd. La cour n'a ainsi pas méconnu la portée de l'ordre de réquisition contesté en estimant qu'il imposait à EDF de payer le fuel acheté auprès de la SARA à ce prix maximum, sans lui laisser aucune liberté de négociation.

4. En second lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'ordre de réquisition du 28 mars 2013 ne respectait pas la condition d'urgence posée par les dispositions précitées du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, la cour a relevé que cette décision faisait suite à un ensemble d'ordres identiques pris par le préfet depuis le 15 septembre 2009 pour contraindre EDF à s'approvisionner en fuel lourd auprès de la SARA au prix maximum fixé par ses arrêtés de réglementation des prix des produits pétroliers et qu'EDF ne disposait plus, dès lors, d'aucune liberté de négociation avec la SARA. La cour en a déduit que le fait qu'EDF n'avait plus conclu de contrat d'approvisionnement avec la SARA depuis la fin de l'année 2009 ne traduisait pas une décision de recourir à un autre fournisseur pour acheter le fuel nécessaire à ses centrales thermiques installées à la Martinique mais était la conséquence des ordres de réquisition successifs pris à son encontre par le préfet depuis le 15 septembre 2009. La cour a, par ailleurs, relevé que même si la capacité de stockage du fuel lourd dont disposait la SARA était limitée à une quantité correspondant uniquement à un mois de production de l'entreprise, aucun élément au dossier ne justifiait de ce que cette capacité aurait été proche de la saturation à la date de l'arrêté attaqué. En déduisant de ces éléments, au terme d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que l'urgence n'était pas justifiée et que, par suite, l'ordre de réquisition du préfet n'était pas légal au regard des dispositions du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, le juge du fond n'a pas donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée.

5. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi du ministre ne peut qu'être rejeté.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre des outre-mer est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre des outre-mer, à la société Electricité de France et au ministre de l'intérieur.


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