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Ariane Web: Conseil d'État 397311, lecture du 27 janvier 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:397311.20170127

Décision n° 397311
27 janvier 2017
Conseil d'État

N° 397311
ECLI:FR:CECHR:2017:397311.20170127
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 27 janvier 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Dervaux, aux droits de laquelle est venue la société Baudin Châteauneuf Dervaux, sous-traitante de la société Gardiol, a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le Port autonome de Marseille, devenu Grand port maritime de Marseille, à lui verser la somme de 83 651,80 euros TTC assortie des intérêts moratoires depuis le 9 mars 2007 au titre de son droit au paiement direct ainsi que la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts. Par un jugement n° 0801521 du 27 décembre 2011, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 12MA01073 du 26 mai 2014, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la requête de la société Baudin Châteauneuf Dervaux tendant à l'annulation de ce jugement.

Par une décision n° 382826 du 23 mars 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société Baudin Châteauneuf Dervaux tendant au paiement direct des sommes réclamées au titre du marché de travaux de construction d'un atelier confié à la société Gardiol et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d'appel de Marseille.

Par un arrêt n° 15MA01485 du 28 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté de nouveau la requête de la société Baudin Châteauneuf Dervaux.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 février, 24 mai et 18 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Baudin Châteauneuf Dervaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt n° 15MA01485 de la cour administrative d'appel de Marseille ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du Grand port maritime de Marseille la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Baudin Châteauneuf Dervaux et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Grand port maritime de Marseille.


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Port autonome de Marseille a conclu avec la société Gardiol un marché public de travaux portant sur la construction d'un atelier destiné aux lamaneurs ; que la société Baudin Châteauneuf Dervaux, venant aux droits de la société Dervaux, sous-traitante de la société Gardiol, a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le Port autonome de Marseille, devenu Grand port maritime de Marseille, à lui verser la somme de 83 651,80 euros TTC assortie des intérêts moratoires depuis le 9 mars 2007 au titre du droit au paiement direct des prestations qu'elle avait effectuées ; que, par un jugement du 27 décembre 2011, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 décembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, après l'annulation partielle par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux de l'arrêt qu'elle avait rendu le 26 mai 2014, a de nouveau rejeté sa requête d'appel dirigée contre le jugement du 27 décembre 2011 en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives au paiement direct ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, applicable, dans sa rédaction alors en vigueur, aux marchés passés par l'Etat, les collectivités locales, les établissements et entreprises publics : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution " ; qu'aux termes de l'article 15 de la même loi : " Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi " ; qu'aux termes de l'article 112 du code des marchés publics alors applicable : " Le titulaire d'un marché public de travaux, d'un marché public de services ou d'un marché industriel peut sous-traiter l'exécution de certaines parties de son marché à condition d'avoir obtenu du pouvoir adjudicateur l'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement " ; que selon l'article 114 du même code : " L'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement sont demandés dans les conditions suivantes : 1. Dans le cas où la demande de sous-traitance intervient au moment du dépôt de l'offre ou de la proposition, le candidat fournit au pouvoir adjudicateur une déclaration mentionnant : a) La nature des prestations dont la sous-traitance est prévue ; (...) c) Le montant prévisionnel des sommes à payer directement au sous-traitant ; d) Les conditions de paiement prévues par le projet de contrat de sous-traitance et, le cas échéant, les modalités de variation des prix (...) / 3. Si, postérieurement à la notification du marché, le titulaire envisage de confier à des sous-traitants bénéficiant du paiement direct l'exécution de prestations pour un montant supérieur à celui qui a été indiqué dans le marché, il doit obtenir la modification de l'exemplaire unique prévu à l'article 106 du présent code (...). Toute modification dans la répartition des prestations entre le titulaire et les sous-traitants payés directement ou entre les sous-traitants eux-mêmes exige également la modification de l'exemplaire unique ou, le cas échéant, la production d'une attestation ou d'une mainlevée du ou des cessionnaires. (...) / 5. L'acceptation du sous-traitant et l'agrément des conditions de paiement sont constatés par un acte spécial signé des deux parties. Y sont précisés : - la nature des prestations sous traitées (...) - le montant prévisionnel des sommes à payer directement au sous-traitant ; - les modalités de règlement de ces sommes " ;

3. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 et de l'article 114 du code des marchés publics qu'en l'absence de modification des stipulations du contrat de sous-traitance relatives au volume des prestations du marché dont le sous-traitant assure l'exécution ou à leur montant, le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal ne peuvent, par un acte spécial modificatif, réduire le droit au paiement direct du sous-traitant dans le but de tenir compte des conditions dans lesquelles les prestations sous-traitées ont été exécutées ; qu'ainsi, en jugeant que le droit au paiement direct de la société Dervaux était celui qui résultait de l'acte spécial tel qu'il avait été modifié par le Port autonome de Marseille et la société Gardiol, quand bien même cette modification était intervenue alors que les stipulations du contrat de sous-traitance étaient demeurées identiques, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que, par suite, la société Baudin Châteauneuf Dervaux est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à en demander l'annulation ;


4. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;

Sur la recevabilité :

5. Considérant, d'une part, que la fin de non recevoir tirée de ce que la société Baudin Châteauneuf Dervaux ne justifierait pas venir aux droits de la société Dervaux manque en fait ; que, d'autre part, il résulte des dispositions alors applicables de l'article R. 421-1 du code de justice administrative que le délai de deux mois qu'il fixe ne s'applique pas aux demandes présentées en matière de travaux publics, même lorsqu'elles sont dirigées contre une décision notifiée au demandeur ; que, par suite, la fin de non recevoir tirée de ce que la demande de la société Baudin Châteauneuf Dervaux n'aurait pas été présentée dans les délais prescrits par ces dispositions ne peut qu'être écartée ;

Sur le fond :

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un acte spécial du 28 février 2003, le Port autonome de Marseille a accepté l'intervention de la société Dervaux en tant que sous-traitant de la société Gardiol, entrepreneur principal, a agréé ses conditions de paiement et lui a ouvert le bénéfice du paiement direct pour un montant de 116 375 euros HT ; que le 21 janvier 2005, le Port autonome de Marseille a conclu avec la société Gardiol un acte spécial modificatif ramenant à la somme de 59 796,25 euros HT le montant du droit au paiement direct ouvert à la société Dervaux ;

7. Considérant, en premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, qu'en l'absence de modification du contrat de sous-traitance, le Port autonome de Marseille et la société Gardiol ne pouvaient, par acte spécial modificatif, diminuer le droit au paiement direct ouvert à la société Dervaux pour la part du marché dont elle assurait l'exécution par l'acte spécial initial, comme ils l'ont fait, pour tenir compte des conditions dans lesquelles les prestations sous-traitées avaient été, selon eux, exécutées ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que dans l'hypothèse d'une rémunération directe du sous-traitant par le maître d'ouvrage, ce dernier peut contrôler l'exécution effective des travaux sous-traités et le montant de la créance du sous-traitant ; que si le Grand port maritime de Marseille, venant aux droits du Port autonome de Marseille, soutient que la société Dervaux n'aurait pas assuré l'exécution de la part du marché qui lui avait été confiée, il se borne, à l'appui de cette allégation, d'une part, à se prévaloir des déclarations de la société Gardiol selon lesquelles la défaillance de la société Dervaux l'avait conduite à confier les prestations de menuiserie aluminium à un autre sous-traitant et, d'autre part, à se référer, sans davantage de précisions, aux réserves émises lors de la réception de l'ouvrage ; que s'il ressort de l'annexe 1 à la proposition d'avenant n° 1 au contrat de sous-traitance datée du 2 décembre 2003 que la société Dervaux n'a pas effectué les prestations de menuiserie aluminium d'un montant de 3 869 euros HT, ce que cette société ne conteste d'ailleurs pas, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle n'aurait pas effectué les autres prestations demandées, alors que l'annexe en cause avait pour objet de récapituler toutes les " incidences financières liées à l'entreprise Dervaux " ;

9. Considérant, en dernier lieu, qu'il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage ; qu'il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs, notamment de sous-traitants ; que s'il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles ; que si le Grand port maritime de Marseille fait valoir que la société Dervaux aurait exécuté les travaux avec retard, d'une part, il ne soutient pas que la responsabilité contractuelle de la société Gardiol, entrepreneur principal, n'aurait pu être utilement recherchée à ce titre et, d'autre part, il n'apporte en tout état de cause aucun élément de nature à établir que ce retard, à le supposer établi, aurait été, compte tenu de circonstances particulières, constitutif d'une violation des règles de l'art ;

10. Considérant qu'il suit de là que les sommes dues à la société Dervaux au titre du paiement direct des travaux effectués s'élèvent à la somme de 112 506 euros HT ; que, compte tenu de la somme de 60 377,02 euros HT déjà versée le 30 septembre 2003 par le Port autonome de Marseille à la société Dervaux, il y a lieu de condamner le Grand port maritime de Marseille à verser la somme de 52 128,98 euros HT à la société Baudin Châteauneuf Dervaux ; que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 9 mars 2007, date de la réception de la demande d'indemnisation ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 27 décembre 2011, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la société Baudin Châteauneuf Dervaux tendant à la condamnation du Grand port maritime de Marseille au titre du paiement direct ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Baudin Châteauneuf Dervaux, qui n'est pas la partie perdante, le versement des sommes que demande, à ce titre, le Grand port maritime de Marseille ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Grand port maritime de Marseille le versement d'une somme de 6 000 euros à la société Baudin Châteauneuf Dervaux au titre des frais exposés tant devant les premiers juges que devant le Conseil d'Etat ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 28 décembre 2015 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : Le jugement du 27 décembre 2011 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il rejette la demande de la société Baudin Châteauneuf Dervaux au titre du paiement direct.
Article 3 : Le Grand port maritime de Marseille est condamné à verser la somme de 52 128,98 euros à la société Baudin Châteauneuf Dervaux. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 9 mars 2007.
Article 4 : Le Grand port maritime de Marseille versera la somme de 6 000 euros à la société Baudin Châteauneuf Dervaux en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par le Grand port maritime de Marseille sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Baudin Châteauneuf Dervaux et au Grand port maritime de Marseille.


Voir aussi