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Ariane Web: Conseil d'État 392758, lecture du 7 février 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:392758.20170207

Décision n° 392758
7 février 2017
Conseil d'État

N° 392758
ECLI:FR:CECHR:2017:392758.20170207
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 4ème chambres réunies
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
Mme Laurence Marion, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mardi 7 février 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association AIDES, l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués - Service oecuménique d'entraide (CIMADE), l'association Collectif Haïti de France, l'association Comité médical pour les exilés (COMEDE), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), le Groupe d'information et de soutien aux immigré-e-s (GISTI), l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, dite Ligue des droits de l'homme, et l'association Médecins du monde ont demandé au tribunal administratif de Cayenne d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 août 2013 par lequel le préfet de Guyane a prorogé l'arrêté du 8 mars 2013 réglementant la circulation sur la route nationale RN2, du point repère 108 + 300 au point repère 108 + 700, et l'arrêté du 13 février 2014 par lequel il a prorogé l'arrêté du 20 août 2013. Par un jugement n° 1301028, 1400525 du 18 décembre 2014, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 15BX00342 du 18 juin 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel des associations AIDES et autres contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 18 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations AIDES et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de l'association AIDES, de l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués - Service oecuménique d'entraide CIMADE, de l'association Collectif Haïti de France, de l'association Comité médical pour les exilés (COMEDE), de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), du Groupe d'information et de soutien aux immigré-e-s (GISTI), de l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, dite Ligue des droits de l'homme et de l'association Médecins du monde.



1. Considérant que, pour confirmer le rejet pour irrecevabilité de la demande de l'association AIDES, de l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués - Service oecuménique d'entraide (CIMADE), de l'association Collectif Haïti de France, de l'association Comité médical pour les exilés (COMEDE), de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), du Groupe d'information et de soutien aux immigré-e-s (GISTI), de l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, dite Ligue des droits de l'homme et de l'association Médecins du monde tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du préfet de la Guyane du 8 mars 2013 portant réglementation de la circulation sur la route nationale n° 2 du point repère 108 + 300 au point repère 108 + 700, à proximité du pont de Régina, sur le fleuve Approuague, et de l'arrêté du même préfet du 13 février 2014 prorogeant l'arrêté précédent, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, dans l'arrêt attaqué, rappelé l'objet social défini par les statuts des requérantes et jugé qu'" eu égard à la généralité de tels objets et à leur champ d'action national, ces huit associations ne justifient pas, chacune, d'un intérêt leur donnant qualité à agir contre les arrêtés contestés du préfet de la Guyane qui n'ont d'effet, en réglementant la circulation sur une portion de la route nationale n°2 et en prévoyant l'installation d'un poste de gendarmerie, que dans une aire géographique limitée " ;

2. Considérant que si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les deux arrêtés attaqués, qui s'inscrivent dans une succession ininterrompue depuis 2006 d'arrêtés ayant le même objet, ont contribué à la présence durable d'un barrage filtrant sur la route nationale 2 qui relie Cayenne à Saint-Georges-de-l'Oyapock, situé à la frontière avec le Brésil ; qu'ils ont instauré une restriction à la libre circulation des personnes sur une route qui commande l'accès à Cayenne depuis le sud-est de la Guyane et le Brésil, est empruntée par une partie importante de la circulation automobile en Guyane et dessert une zone géographique très vaste ; que les associations requérantes faisaient notamment valoir que les arrêtés étaient susceptibles d'avoir un impact sur l'accès à Cayenne de personnes malades nécessitant des soins ; qu'en se fondant, pour dénier aux associations un intérêt leur donnant qualité pour agir, sur la généralité de l'objet social et le champ d'action national de chacune d'elles et sur la circonstance que les arrêtés attaqués ne produisaient des effets de droit que sur la portion de la route nationale n° 2 qu'ils visaient, sans rechercher si ces arrêtés soulevaient des questions qui, par leur nature et leur objet, excédaient les seules circonstances locales, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, l'annulation de son arrêt ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

5. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, les arrêtés litigieux maintiennent une restriction durable à la libre circulation de l'ensemble des personnes empruntant un axe routier majeur d'un territoire très vaste et sont, de ce fait, susceptibles d'avoir, à l'échelle de l'ensemble de ce territoire, un effet sur les personnes que les associations requérantes ont vocation à défendre, notamment en ce qu'ils sont susceptibles de compliquer l'accès de ces personnes aux soins disponibles dans l'agglomération desservie par cet axe ; qu'ils soulèvent ainsi des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ; qu'il s'en suit qu'alors même qu'elles présentent un objet social large et un champ d'action national, les associations requérantes justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre ces arrêtés ; qu'elles sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement dont elles relèvent appel, le tribunal administratif de Cayenne, faisant droit à la fin de non-recevoir soulevée par le préfet de la Guyane, s'est fondé sur ce qu'elles ne justifiaient pas d'un tel intérêt pour rejeter leurs conclusions comme irrecevables ; qu'il y a lieu, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, d'annuler ce jugement ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacune des huit associations requérantes, au titre de l'instance de cassation et de l'instance d'appel, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 18 juin 2015 de la cour administrative d'appel de Bordeaux et le jugement du 18 décembre 2014 du tribunal administratif de Cayenne sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Cayenne.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à chacune des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association AIDES, à l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués - Service oecuménique d'entraide (CIMADE), à l'association Collectif Haïti de France, à l'association Comité médical pour les exilés (COMEDE), à la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), au Groupe d'information et de soutien aux immigré-e-s (GISTI), à l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, dite Ligue des droits de l'homme, à l'association Médecins du monde et au ministre de l'intérieur.


Voir aussi