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Ariane Web: Conseil d'État 379378, lecture du 8 février 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:379378.20170208

Décision n° 379378
8 février 2017
Conseil d'État

N° 379378
ECLI:FR:CECHR:2017:379378.20170208
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques Reiller, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
OCCHIPINTI, avocats


Lecture du mercredi 8 février 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A...C...a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 18 janvier 2013 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'admission au bénéfice de l'asile. Par une décision n° 13006768 du 28 octobre 2013, la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision et a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire à M.C....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 mai et 29 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision, en tant qu'elle ne l'a pas admis au bénéfice de l'asile ;

2°) réglant l'affaire au fond, de lui accorder le statut de réfugié ;

3°) de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 3 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacques Reiller, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Occhipinti, avocat de M. A...C...;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes des stipulations du paragraphe A, 2° de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui " craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle (...), ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ".

2. Un groupe social est, au sens de ces dispositions, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. En fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, à raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions. Il convient dès lors, dans l'hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié à raison de son orientation sexuelle, d'apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans le pays où elle avait sa résidence habituelle, permettent d'assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d'être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe.

3. Il résulte de ce qui précède que l'octroi du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l'appartenance à un groupe social fondé sur des orientations sexuelles communes ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié. D'une part, le groupe social n'est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l'existence objective de caractéristiques qu'on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions. D'autre part, il est exclu que le demandeur d'asile doive, pour éviter le risque de persécution dans son pays d'origine, dissimuler son homosexualité ou faire preuve de réserve dans l'expression de son orientation sexuelle. La circonstance que l'appartenance au groupe social ne fasse l'objet d'aucune disposition pénale répressive spécifique est sans incidence sur l'appréciation de la réalité des persécutions à raison de cette appartenance qui peut, en l'absence de toute disposition pénale spécifique, reposer soit sur des dispositions de droit commun abusivement appliquées au groupe social considéré, soit sur des comportements émanant des autorités, encouragés ou favorisés par ces autorités ou même simplement tolérés par elles.

4. Il appartient à la Cour nationale du droit d'asile de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties et, tout spécialement, du récit personnel du demandeur d'asile. Elle ne peut exiger de ce dernier qu'il apporte la preuve des faits qu'il avance et, en particulier, de son orientation sexuelle, mais elle peut écarter des allégations qu'elle jugerait insuffisamment étayées et rejeter, pour ce motif, le recours dont elle est saisie.

5. Il ressort des énonciations de la décision attaquée que, pour rejeter la demande de reconnaissance du statut de réfugié présentée par M.C..., la Cour nationale du droit d'asile, après avoir tenu pour établies son orientation sexuelle ainsi que les menaces dont il a fait l'objet de ce fait de la part de sa famille, s'est fondée sur la circonstance que l'intéressé n'aurait pas présenté d'élément suffisant afin d'établir la révélation de son orientation sexuelle au-delà du cercle familial. En en déduisant, alors même qu'elle avait relevé que les personnes homosexuelles sont exposées en Cisjordanie à des discriminations et à des violences sans pouvoir se prévaloir utilement de la protection des autorités, que les agissements dont le requérant avait été victime n'étaient pas liés à son appartenance à un groupe social et en refusant de lui octroyer, pour ce motif, le statut de réfugié, la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision d'une erreur de droit. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à demander l'annulation de la décision du 28 octobre 2013 en tant qu'elle lui refuse le bénéfice de l'asile.

6. M. C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Occhipinti renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le versement à l'avocat, de la somme de 3 500 euros.


D E C I D E :
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Article 1er : La décision n° 13006768 du 28 octobre 2013 de la Cour nationale du droit d'asile est annulée en tant qu'elle refuse à M. C...le bénéfice de l'asile.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera à Me B...Occhipinti, avocat de M.C..., une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Occhipinti renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...C...et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


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