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Ariane Web: Conseil d'État 386430, lecture du 22 février 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:386430.20170222

Décision n° 386430
22 février 2017
Conseil d'État

N° 386430
ECLI:FR:CECHR:2017:386430.20170222
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du mercredi 22 février 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Gecop a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de l'obligation de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2008, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 avril 2009 et les majorations correspondantes, ainsi que l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts, mis à la charge de la société Pep 75 et dont le paiement lui a été réclamé en sa qualité de débiteur solidaire de cette société sur le fondement de l'article 1724 quater du code général des impôts. Par un jugement n° 1106590 du 30 octobre 2012, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12VE04204 du 16 octobre 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Gecop contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés respectivement le 15 décembre 2014, les 9 mars et 7 septembre 2015 et le 25 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Gecop demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 62 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision du 5 juin 2015 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Gecop ;
- la décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Gecop ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la Societe Gecop ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 février 2017, présentée par la société Gecop ;



Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l'article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code précité ".

2. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 8222-1 du code du travail que toute personne qui conclut un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu'à la fin de son exécution, que son cocontractant s'acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l'article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ; / [...] ". Aux termes de l'article L. 8222-3 du même code : " Les sommes dont le paiement est exigible en application de l'article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ".

3. Par la décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, citées ci-dessus, sous la réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que les pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue de la vérification de comptabilité dont la société Pep 75, sous-traitant de la société Gecop, a fait l'objet, l'administration a mis à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2008, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 avril 2009, les pénalités correspondantes ainsi que l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts en l'absence de désignation des bénéficiaires des revenus distribués dans le délai imparti au titre de l'année 2008. En application des dispositions précitées de l'article 1724 quater du code général des impôts, deux avis de mise en recouvrement ont été émis le 25 mai 2011 à l'encontre de la société Gecop afin de lui réclamer, en sa qualité de débiteur solidaire, le paiement des impositions, pénalités et amende dues par la société Pep 75, en proportion du chiffre d'affaires réalisé avec celle-ci. La société Gecop se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 16 octobre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel dirigé contre le jugement du 30 octobre 2012 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer les impositions et amende litigieuses.

5. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la cour, qui n'était pas tenue de répondre à tous les arguments invoqués devant elle, a suffisamment motivé son arrêt s'agissant des moyens tirés de ce que la société Gecop n'avait pas été préalablement informée de la procédure intentée contre la société Pep 75 et n'avait pas reçu, en temps utile, communication des pièces nécessaires à sa défense, de la méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la méconnaissance du principe de responsabilité personnelle en matière répressive garanti par l'article 6 § 2 de cette même convention.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux avis de mise en recouvrement litigieux : " L'avis de mise en recouvrement individuel prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / (...) ". Aux termes de l'article R. 256-2 du même livre : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement ".

7. Il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration adresse un avis de mise en recouvrement par lequel elle met en oeuvre une solidarité de paiement, telle que celle qui est prévue par l'article 1724 quater du code général des impôts à l'encontre d'une société qui n'a pas procédé aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail, elle est tenue de lui adresser un avis de mise en recouvrement individuel qui doit comporter les indications prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. Ces mentions permettent au débiteur solidaire d'obtenir, à sa demande, la communication des documents mentionnés dans cet avis de mise en recouvrement ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations correspondantes au paiement solidaire desquels il est tenu. Il suit de là que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'administration de communiquer au codébiteur solidaire, préalablement à l'avis de mise en recouvrement qui lui est adressé en vertu de l'article R. 256-2 du livre des procédures fiscales, les éléments de la procédure d'imposition menée à l'encontre du débiteur principal.

8. En troisième lieu, la solidarité instituée par l'article 1724 quater du code général des impôts, qui constitue une garantie pour le recouvrement des créances du Trésor public et des organismes de protection sociale, ne présente pas le caractère d'une sanction ayant le caractère d'une punition. Ces dispositions ne relevant pas des accusations en matière pénale au sens des stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations était, dès lors, inopérant. Ce motif, qui n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait de la part du juge de cassation, doit être substitué à ceux retenus par la cour dans l'arrêt attaqué, dont il justifie légalement le dispositif.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". La cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article 1724 quater du code général des impôts ne méconnaissent pas ces stipulations, au motif que le mécanisme de solidarité financière qu'il institue est justifié par des objectifs d'intérêt général tenant à la lutte contre la dissimulation du travail et au recouvrement de l'impôt et qu'il est proportionné à ces objectifs, dès lors que cette solidarité est limitée dans les conditions fixées à l'article L. 8222-3 du code du travail cité au point 2 ci-dessus et que le donneur d'ordre dispose d'une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires, conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Gecop n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Dès lors, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Gecop est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Gecop et au ministre de l'économie et des finances.


Voir aussi