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Ariane Web: Conseil d'État 397846, lecture du 24 février 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:397846.20170224

Décision n° 397846
24 février 2017
Conseil d'État

N° 397846
ECLI:FR:CECHR:2017:397846.20170224
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
M. Marc Thoumelou, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
SCP BOUTET-HOURDEAUX ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du vendredi 24 février 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association Bretagne Ateliers a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 10 octobre et 22 novembre 2011 par lesquelles l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) a rejeté ses demandes de reconnaissance de la lourdeur du handicap pour vingt-huit de ses salariés handicapés, ainsi que les décisions des 3 novembre 2011 et 3 février 2012 rejetant ses recours gracieux et hiérarchique contre ces décisions. Par un jugement n°s 1201469, 1201473 du 13 mars 2014, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14NT01235 du 12 janvier 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par l'association Bretagne Ateliers contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 mars et 18 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Bretagne Ateliers demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'AGEFIPH la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Thoumelou, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de l'association Bretagne Ateliers et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

Une note en délibéré, enregistrée le 6 février 2017, a été présentée par l'AGEFIPH.



Considérant ce qui suit :

1. D'une part, en vertu de l'article L. 5213-7 du code du travail, applicable à l'ensemble des entreprises, le salaire des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés bénéficiaires de l'obligation d'emploi, instituée à l'article L. 5212-2 de ce code, ne peut être inférieur à celui qui résulte de l'application des dispositions légales ou des stipulations de la convention ou de l'accord collectif de travail. L'article L. 5213-11 du même code prévoit cependant que : " Pour l'application des dispositions de l'article L. 5213-7 relatives au salaire du travailleur handicapé, une aide financée par le fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés peut être attribuée sur décision de l'association [de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées]. / Cette aide, demandée par l'employeur, peut être allouée en fonction des caractéristiques des bénéficiaires. / Elle ne peut être cumulée avec la minoration de la contribution prévue pour l'embauche d'un travailleur mentionnée à l'article L. 5212-9 ". L'article R. 5213-40 du même code précise que : " La modulation de la contribution annuelle et l'attribution de l'aide à l'emploi prévues aux articles L. 5212-9 et L. 5213-11 ont pour objet de compenser la lourdeur du handicap d'un bénéficiaire de l'obligation d'emploi. / La lourdeur du handicap est évaluée, au regard du poste de travail, après aménagement optimal de ce dernier ".

2. D'autre part, l'article L. 5213-13 du code du travail prévoit la possibilité de créer des entreprises adaptées, dont les effectifs de production " comportent au moins 80 % de travailleurs handicapés orientés vers le marché du travail par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées et qui soit sont recrutés sur proposition du service public de l'emploi ou d'un organisme de placement spécialisé, soit répondent aux critères fixés par arrêté du ministre chargé de l'emploi ". L'article L. 5213-14 de ce code précise que les dispositions du code du travail sont applicables aux travailleurs handicapés salariés des entreprises adaptées et il résulte de l'article L. 5213-18 du même code que les entreprises adaptées bénéficient de l'ensemble des dispositifs en faveur de l'emploi du livre Ier de la même partie de ce code destinés aux entreprises et à leurs salariés, sous la seule réserve que " le bénéfice de ces dispositifs ne peut se cumuler, pour un même poste, ni avec l'aide au poste mentionnée à l'article L. 5213-19, ni avec aucune aide spécifique portant sur le même objet ". Enfin, aux termes de l'article L. 5213-19 du code du travail : " Les entreprises adaptées (...) perçoivent pour chaque travailleur handicapé employé, dès lors que celui-ci remplit les conditions mentionnées à l'article L. 5213-13, une aide au poste forfaitaire versée par l'Etat, dans la limite d'un effectif de référence fixé annuellement par la loi de finances (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, créant les entreprises adaptées, que ces entreprises, dont le législateur a voulu un rattachement au milieu ordinaire de travail, sont notamment éligibles à l'ensemble des aides spécifiques à l'emploi des travailleurs handicapés dès lors qu'elles en remplissent les conditions, sous réserve de ne pas les cumuler, pour un même poste, avec l'aide au poste versée par l'Etat en application de l'article L. 5213-19 du code du travail ou avec des aides portant sur le même objet. Si, dès lors, une entreprise adaptée ne saurait cumuler, pour un même poste, le bénéfice de l'aide à l'emploi, instituée à l'article L. 5213-11 en vue de compenser la charge induite par la lourdeur du handicap d'un bénéficiaire de l'obligation d'emploi, en raison de l'obligation pour son employeur de lui verser un salaire qui ne soit pas inférieur à celui qui résulte de l'application des dispositions légales ou des stipulations de la convention ou de l'accord collectif de travail, avec celui de l'aide au poste, versée par l'Etat aux mêmes fins aux seules entreprises adaptées dans la limite d'un effectif de référence fixé annuellement par la loi de finances, ces dispositions ne font en revanche pas obstacle à ce qu'une entreprise adaptée bénéficie de l'aide à l'emploi au titre de ses salariés qui en rempliraient les conditions et pour le poste desquels aucune aide au poste ne leur aurait été versée par l'Etat non plus qu'aucune aide spécifique qui porterait sur le même objet.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 29 juin 2011, l'association Bretagne Ateliers a sollicité, en vue d'obtenir le bénéfice de l'aide à l'emploi prévue par l'article L. 5213-11 du code du travail, la reconnaissance de la lourdeur du handicap de vingt-huit de ses salariés handicapés pour les postes desquels elle n'a pas perçu en 2011 d'aides au poste, le contingent qui lui avait été alloué ayant été atteint. Par décisions des 10 octobre et 22 novembre 2011, l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), en charge de l'instruction des demandes d'aide à l'emploi, a rejeté ses demandes au motif que la mission des entreprises adaptées ainsi que les aides spécifiques dont elles bénéficient rendent ces entreprises inéligibles au dispositif de reconnaissance de la lourdeur du handicap. Par des décisions du 3 novembre 2011 et du 3 février 2012, l'AGEFIPH a rejeté respectivement les recours gracieux et hiérarchique formés par la requérante contre ces décisions.

5. Pour confirmer le rejet par le tribunal administratif de Rennes de la demande d'annulation de ces décisions, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que les entreprises adaptées bénéficient d'aides spécifiques attachées à leur mission et que l'association Bretagne Ateliers, compte tenu de sa qualité d'entreprise adaptée, ne saurait pour cette raison être regardée comme figurant au nombre des employeurs susceptibles de bénéficier pour certains de leurs salariés de la reconnaissance de la lourdeur du handicap conditionnant l'attribution éventuelle de l'aide à l'emploi. En excluant ainsi toute possibilité pour une entreprise adaptée de recevoir l'aide à l'emploi, alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, la qualité d'entreprise adaptée ne fait pas obstacle à ce qu'une entreprise bénéficie de l'aide à l'emploi au titre de ses salariés qui en rempliraient les conditions et pour les postes desquels aucune aide au poste ne leur aurait été versée par l'Etat non plus qu'aucune aide spécifique qui porterait sur le même objet, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que l'association Bretagne Ateliers est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient l'AGEFIPH, l'association Bretagne Ateliers a présenté, dans le délai de recours devant la cour administrative d'appel de Nantes, un mémoire d'appel qui ne se borne pas à reproduire la demande formulée devant les juges de première instance. Par suite, l'AGEFIPH n'est pas fondée à soutenir que l'appel serait irrecevable faute d'avoir été motivé dans le délai de recours.

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l'AGEFIPH ne pouvait légalement rejeter les demandes de l'association Bretagne Ateliers tendant à la reconnaissance de la lourdeur du handicap de vingt-huit de ses salariés, en vue de se voir attribuer l'aide à l'emploi, au motif que la mission des entreprises adaptées ainsi que les aides spécifiques dont elles bénéficient rendraient ces entreprises inéligibles à ce dispositif. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'association Bretagne Ateliers est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions des 10 octobre et 22 novembre 2011 confirmées les 3 novembre 2011 et 3 février 2012.

10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". La présente décision implique seulement que l'AGEFIPH se prononce à nouveau sur les demandes présentées par l'association Bretagne Ateliers. Les conclusions de cette dernière tendant à ce qu'il soit enjoint à l'AGEFIPH de prendre, pour chacun des salariés considérés, une décision reconnaissant la lourdeur du handicap et évaluant le montant des charges induites à plus de 50 % du produit du salaire horaire minimum de croissance par le nombre d'heures correspondant à la durée collective du travail applicable dans l'établissement ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AGEFIPH, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 6 000 euros à verser à l'association Bretagne Ateliers au titre des frais exposés par elle tant devant les juges du fond que devant le Conseil d'Etat. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'association Bretagne Ateliers, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 12 janvier 2016 et le jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 mars 2014 sont annulés.
Article 2 : Les décisions de l'AGEFIPH des 10 octobre et 22 novembre 2011 ainsi que les décisions des 3 novembre 2011 et 3 février 2012 rejetant les recours gracieux et hiérarchique de l'association Bretagne Ateliers contre ces décisions sont annulées.
Article 3 : L'AGEFIPH versera à l'association Bretagne Ateliers une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par l'association Bretagne Ateliers est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de l'AGEFIPH présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'association Bretagne Ateliers et à l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.
Copie en sera adressée à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et au Défenseur des droits.


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