Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 405711, lecture du 1 mars 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:405711.20170301

Décision n° 405711
1 mars 2017
Conseil d'État

N° 405711
ECLI:FR:CECHS:2017:405711.20170301
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Géraud Sajust de Bergues, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP ORTSCHEIDT, avocats


Lecture du mercredi 1 mars 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Mme A...a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2003 à 2010, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement 1424085/1-1 du 25 novembre 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Mme A...a fait appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Paris.

Par une ordonnance n° 16PA00417 du 1er décembre 2016, enregistrée le 6 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Paris, avant qu'il ne soit statué sur la requête de MmeA..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du quatrième et du cinquième alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales dans leur rédaction, issue respectivement de l'article 52 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 et de l'article 58 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011.

Par un mémoire, enregistré le 5 janvier 2017, Mme A...soutient que les dispositions litigieuses sont applicables au litige, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, et méconnaissent :
- le principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que par l'article 1er de la Constitution et le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la même déclaration ;
- le principe de bonne foi et la présomption d'innocence ;
- le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par deux mémoires, enregistrés le 26 décembre 2016 et le 19 janvier 2017, le ministre de l'économie et des finances soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question posée ne revêt aucun caractère nouveau et ne présente pas un caractère sérieux.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, notamment son article 52 ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, notamment son article 18
- la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, notamment son article 58 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ortscheidt, avocat de Mme A...;




Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes, d'une part, des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, qui sont issues de l'article 52 de la loi de finances rectificative pour 2008 et qui ont été déplacées au cinquième alinéa du même article par l'article 18 de la loi de finances rectificatives pour 2009 : " Le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles 123 bis, 209 B, 1649 A et 1649 AA du même code n'ont pas été respectées et concernent un Etat ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales permettant l'accès aux renseignements bancaires. Ce droit de reprise concerne les seuls revenus ou bénéfices afférents aux obligations déclaratives qui n'ont pas été respectées ". Aux termes, d'autre part, des dispositions de ce 5ème alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, issues de l'article 58 de la loi de finances rectificative pour 2011 : " Le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles 123 bis, 209 B, 1649 A, 1649 AA et 1649 AB du même code n'ont pas été respectées. Toutefois, en cas de non-respect de l'obligation déclarative prévue à l'article 1649 A, cette extension de délai ne s'applique pas lorsque le contribuable apporte la preuve que la totalité des soldes créditeurs de ses comptes à l'étranger est inférieur à 50 000 ? au 31 décembre de l'année au titre de laquelle la déclaration devait être faite. Le droit de reprise de l'administration concerne les seuls revenus ou bénéfices afférents aux obligations déclaratives qui n'ont pas été respectées ".

3. Il résulte, en premier lieu, des dispositions précitées qu'elles ont pour seul objet d'allonger le délai de reprise dont dispose l'administration lorsqu'un contribuable, titulaire de comptes bancaires à l'étranger, a omis de respecter ses obligations déclaratives. Elles n'ont donc pas le caractère d'une sanction. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne présente pas de caractère sérieux.

4. En deuxième lieu, les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques ne s'opposent ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. Pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Par ailleurs, cette appréciation ne doit pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. Mme A...soutient que les dispositions contestées méconnaissent les principes visés au point précédent, au motif qu'elles instituent un délai de reprise de dix ans au profit de l'administration alors que le délai de reprise de droit commun est en principe de trois ans. Toutefois, un contribuable titulaire de comptes bancaires à l'étranger ne se trouve pas dans la même situation que celui dont les comptes ne sont détenus que sur le territoire français et pour lesquels l'administration peut se faire communiquer les relevés en exerçant le droit de communication qui lui est ouvert par l'article L. 83 du livre des procédures fiscales. Il en va, a fortiori, ainsi, lorsque les comptes en cause n'ont pas été déclarés et, s'agissant des dispositions issues de la loi de finances rectificative pour 2008, lorsque l'Etat ou le territoire étranger en cause n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales permettant l'accès aux renseignements bancaires. Dans ces conditions, l'extension du délai de reprise, qui ne s'applique pas, s'agissant des dispositions issues de la loi de finances rectificative pour 2011, lorsque le contribuable apporte la preuve que la totalité des soldes créditeurs de ses comptes à l'étranger est inférieur à 50 000 euros au 31 décembre de l'année au titre de laquelle la déclaration devait être faite, est en rapport avec l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale des lois qui l'ont instituée puis modifiée. Et l'allongement de trois à dix ans, qui concerne les seuls revenus ou bénéfices afférents aux obligations déclaratives qui n'ont pas été respectées, n'est pas manifestement disproportionné avec cet objectif. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, d'égalité entre les citoyens et d'égalité devant les charges publiques ne présente pas de caractère sérieux.

6. En troisième lieu, les dispositions contestées ne dispensent pas, d'une part, l'administration d'établir que le contribuable était soumis aux obligations déclaratives relatives aux comptes qu'il détient à l'étranger et qu'il n'a pas satisfait à celles-ci et ne créent, d'autre part, aucune présomption quant au caractère imposable des sommes portées au crédit de ces comptes. Ainsi le moyen tiré d'une méconnaissance de la présomption d'innocence ne présente pas de caractère sérieux. Il en va de même du moyen tiré d'une violation du principe de bonne foi du contribuable, qui n'a pas, à ce jour, été consacré en tant que principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel.

7. En quatrième et dernier lieu, les dispositions contestées n'interdisent pas aux contribuables d'ouvrir des comptes à l'étranger et ne les privent pas des sommes qui y sont inscrites. Le moyen tiré de ce qu'elles porteraient atteinte au droit de propriété ne peut, dès lors, qu'être regardé comme dépourvu de sérieux.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Madame A..., au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la cour administrative d'appel de Paris.