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Ariane Web: Conseil d'État 398121, lecture du 3 mars 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:398121.20170303

Décision n° 398121
3 mars 2017
Conseil d'État

N° 398121
ECLI:FR:CECHR:2017:398121.20170303
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Marie-Anne Lévêque, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP LE BRET-DESACHE ; BLONDEL, avocats


Lecture du vendredi 3 mars 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A...D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler le titre exécutoire n° 301 émis à son encontre le 26 octobre 2012 par le maire de Montreuil-sur-Ille pour le recouvrement de la somme de 33 890,52 euros résultant de l'illégalité de sa nomination au grade d'attaché territorial principal. Par un jugement n° 1205229 du 21 août 2014, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande

Par un arrêt n° 14NT02721 du 21 janvier 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par Mme D... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mars et 14 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Montreuil-sur-Ille la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Anne Lévêque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme D..., et à Me Blondel, avocat de la commune de Montreuil-sur-Ille.


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme D..., attachée territoriale, exerçait les fonctions de secrétaire de mairie de la commune de Montreuil-sur-Ille ; que, sur le fondement d'un document présenté comme un arrêté du 13 décembre 2010 la nommant attaché territorial principal à compter du 1er janvier 2008, elle a perçu un salaire correspondant à son nouveau grade jusqu'au 1er mai 2012, date à laquelle elle a fait valoir ses droits à la retraite ; que, le 26 octobre 2012, à la suite d'un contrôle de la chambre régionale des comptes de Bretagne, le maire de Montreuil-sur-Ille a émis à l'encontre de Mme D... un titre exécutoire d'un montant de 33 890,52 euros en raison de l'illégalité de sa nomination au grade d'attaché territorial principal ; que Mme D... a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de ce titre exécutoire ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 janvier 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel dirigé contre le jugement du 21 août 2014 par lequel le tribunal a rejeté sa demande ;

2. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que le document présenté comme un extrait de la délibération du conseil municipal du 21 décembre 2007, produit par Mme D..., autorisant la création du poste d'attaché principal, constituait, en l'absence de toute délibération prise en ce sens par le conseil municipal, un acte juridiquement inexistant ; qu'elle a jugé qu'il en allait de même pour le document présenté comme un arrêté du 13 décembre 2010 la promouvant au grade d'attaché principal, également produit par la requérante, dont elle a estimé qu'il n'avait pas été réellement signé par le maire, alors même qu'il était revêtu de la " griffe " représentant sa signature ;

3. Considérant, en premier lieu, que si Mme D... soutient que la cour a omis de répondre à son moyen tiré de ce que le maire n'a pu émettre légalement le titre de perception litigieux au motif qu'il ne pouvait ignorer la promotion dont elle avait fait l'objet puisqu'il ne s'était pas opposé au versement durant deux ans du traitement afférent à l'indice qu'elle détenait dans le grade d'attaché principal et qu'il avait signé l'arrêté la radiant des cadres sur lequel figure la mention de ce grade, un tel moyen était inopérant ; qu'en effet, de telles circonstances sont en tout état de cause sans incidence sur la légalité du titre de perception en litige dès lors que les sommes dont la répétition est demandée ont été versées sur le fondement d'un acte juridiquement inexistant ; que, par suite, la cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'irrégularité faute de répondre à un tel moyen ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que la cour administrative d'appel a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que Mme D..., qui disposait de la " griffe " du maire représentant sa signature, avait, en l'absence de toute délibération créant un emploi d'attaché principal, établi de manière frauduleuse cet arrêté du 13 décembre 2010 décidant sa promotion à ce grade ; que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que Mme D... ne pouvait se prévaloir de l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attacherait à un jugement du 24 novembre 2015 du tribunal correctionnel de Rennes prononçant sa relaxe du chef de détournement de fonds publics relatif aux rémunérations perçues en tant qu'attachée principale faute de preuve suffisante, dès lors, en tout état de cause, que ce jugement n'était pas définitif ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " (...) En application de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. / Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif adressé au redevable doit mentionner les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis et, d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de l'émetteur ;

6. Considérant que la cour administrative d'appel de Nantes a souverainement relevé, sans dénaturer les pièces du dossier, que si le volet du titre exécutoire destiné au débiteur formant avis des sommes à payer et adressé à Mme D... n'était pas signé et n'indiquait ni le nom, ni le prénom, ni la qualité de son auteur, il lui avait toutefois été notifié par une lettre du 16 novembre 2012 signée par M. B...C..., maire de Montreuil-sur-Ille, à laquelle était jointe le titre en litige et qu'il " n'en résultait pour Mme D..., secrétaire de mairie depuis 1974, aucune ambigüité quant à l'identité du signataire de cette décision " ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, dans ces conditions, l'absence de la signature et de la mention des nom, prénom et qualité de son auteur sur le titre exécutoire, prévues par les dispositions précitées de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, n'était pas de nature à en affecter sa régularité ;

7. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 81 du décret du 29 décembre 1962, portant règlement général sur la comptabilité publique, alors applicable : " Tout ordre de recettes doit indiquer les bases de la liquidation. " ; que la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant que le titre de perception contesté indiquait les bases de la liquidation en relevant notamment qu'un tableau indiquant précisément les bases de liquidation de la somme en litige était annexé à la lettre par laquelle le titre de perception a été notifié à Mme D... ;

8. Considérant en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 : " Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. / (...) / Les deux premiers alinéas ne s'appliquent pas aux paiements ayant pour fondement une décision créatrice de droits prise en application d'une disposition réglementaire ayant fait l'objet d'une annulation contentieuse ou une décision créatrice de droits irrégulière relative à une nomination dans un grade lorsque ces paiements font pour cette raison l'objet d'une procédure de recouvrement. " ;

9. Considérant, ainsi qu'il a été dit aux points 2 et 3, que la cour administrative d'appel a jugé que l'arrêté du 13 décembre 2010, pris sur le fondement d'une délibération du conseil municipal inexistante, constituait également un acte inexistant, établi au surplus de manière frauduleuse, qui était insusceptible de créer des droits au profit de Mme D... ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que Mme D... ne pouvait pas se prévaloir du délai de prescription de deux ans prévu par les dispositions précitées de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 qui ne sont pas applicables aux décisions non créatrices de droit ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Montreuil-sur-Ille qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Montreuil-sur-Ille sur le même fondement ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme D... est rejeté.
Article 2 : Mme D... versera à la commune de Montreuil-sur-Ille une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A...D... et à la commune de Montreuil-sur-Ille.


Voir aussi