Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 397774, lecture du 17 mars 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:397774.20170317

Décision n° 397774
17 mars 2017
Conseil d'État

N° 397774
ECLI:FR:CECHR:2017:397774.20170317
Inédit au recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
Mme Florence Marguerite, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public


Lecture du vendredi 17 mars 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 mars 2016 et 30 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie (CRPA) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-94 du 1er février 2016 portant application des dispositions de la loi du 27 septembre 2013 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, notamment son article 4 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. A la suite de l'abrogation, par la loi du 27 septembre 2013, de l'article L. 3222-3 du code de la santé publique prévoyant la possibilité de prendre en charge les personnes faisant l'objet de soins psychiatriques dans une unité pour malades difficiles, l'article 4 du décret du 1er février 2016, dont le Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie demande l'annulation pour excès de pouvoir, a modifié les articles R. 3222-1 et suivants du même code, relatifs à ces unités. L'article R. 3222-1, dans sa rédaction issue du décret attaqué, prévoit que : " Les unités pour malades difficiles accueillent des patients relevant de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète en application des chapitres III et IV du titre Ier du livre II de la troisième partie du présent code ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale et dont l'état de santé requiert la mise en oeuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières ". L'article R. 3222-4 crée dans chaque département d'implantation d'une telle unité une commission du suivi médical, composée d'un médecin représentant l'agence régionale de santé et de trois psychiatres n'exerçant pas dans cette unité. L'article R. 3222-2 prévoit que l'admission d'un patient en unité pour malades difficiles est prononcée par le préfet du département où se trouve l'établissement dans lequel est hospitalisé le patient, au vu notamment d'un certificat médical détaillé du psychiatre de l'établissement demandant le transfert et de l'accord du psychiatre de l'unité ou, à défaut, après que la commission du suivi médical s'est prononcée. L'article R. 3222-5 précise que cette commission peut se saisir à tout moment de la situation d'un patient hospitalisé dans l'unité pour malades difficiles, qu'elle examine au moins tous les six mois le dossier de chaque patient et qu'elle peut être saisie à tout moment, notamment par l'intéressé ou par un de ses proches. L'article R. 3222-6 prévoit enfin que, lorsque cette commission constate que les conditions mentionnées à l'article R. 3222-1 ne sont plus réunies, elle saisit le préfet du département d'implantation de l'unité afin qu'il prononce la sortie du patient de cette unité.

Sur la compétence du pouvoir réglementaire :

2. L'article 34 de la Constitution dispose que : " La loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques (...) ".

3. Par sa décision n° 2013-367 QPC du 14 février 2014, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 3222-3 du code de la santé publique applicables du 1er août 2011 au 29 septembre 2013, qui prévoyaient que les personnes admises en soins psychiatriques sans leur consentement en application des chapitres III ou IV du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique ou en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale pouvaient être prises en charge dans une unité pour malades difficiles lorsqu'elles présentaient pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance et les mesures de sûreté nécessaires ne pouvaient être mis en oeuvre que dans une unité spécifique et qui renvoyaient à un décret en Conseil d'Etat la définition des modalités d'admission dans ces unités. Il a considéré que, exception faite des règles qu'il avait déclarées contraires à la Constitution dans sa décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012 et dont il avait fixé la date d'abrogation au 1er octobre 2013, le régime juridique de privation de liberté auquel sont soumises les personnes prises en charge dans une unité pour malades difficiles n'est pas différent de celui qui est applicable aux autres personnes faisant l'objet de soins sans leur consentement sous la forme d'une hospitalisation complète et que, en particulier, leur sont applicables les dispositions de l'article L. 3211-3 du code de la santé publique, qui fixent les droits dont elles disposent à ce titre, et les dispositions de l'article L. 3211-12, qui leur reconnaissent le droit de saisir à tout moment le juge des libertés et de la détention aux fins d'ordonner, à bref délai, la mainlevée de la mesure quelle qu'en soit la forme. Il en a déduit qu'en renvoyant au décret le soin de fixer les modalités de prise en charge en unité pour malades difficiles de ces personnes, le législateur n'a privé de garanties légales ni la protection constitutionnelle de la liberté individuelle ni les libertés qui découlent des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

4. Les dispositions critiquées du décret du 1er février 2016 déterminent les critères et la procédure d'admission en unité pour malades difficiles, définie à l'article R. 3221-6 du code de la santé publique comme un service à vocation interrégionale implanté dans un établissement chargé d'assurer les soins psychiatriques sans consentement, et prévoient qu'une commission composée de médecins est chargée d'assurer le suivi de la situation des patients hospitalisés dans une telle unité et de vérifier que les conditions mises à cette hospitalisation restent réunies. Elles ne modifient pas le régime juridique de privation de liberté auquel sont soumises les personnes prises en charge dans une telle unité, qui reste défini par les dispositions applicables à l'ensemble des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques sans leur consentement sous la forme d'une hospitalisation complète, prévues notamment aux articles L. 3211-3 et L. 3211-12 du code de la santé publique relatifs aux droits dont elles disposent et à la mainlevée de la mesure par le juge des libertés et de la détention. Si elles prévoient que le préfet prononce la sortie du patient de l'unité pour malades difficiles lorsque la commission du suivi médical constate que les conditions de l'hospitalisation dans l'unité ne sont plus remplies, elles sont sans incidence sur la procédure au terme de laquelle le préfet, en vertu des articles L. 3213-3 et L. 3213-9-1 du même code, maintient l'hospitalisation complète, décide d'une prise en charge sous une autre forme ou ordonne la levée de la mesure de soins sans consentement, s'agissant des personnes admises en soins psychiatriques sur décision du préfet, ou bien maintient l'hospitalisation complète ou ordonne la levée de la mesure, s'agissant des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Elles sont de même sans incidence sur le régime applicable aux personnes admises en soins psychiatriques en cas de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Enfin, si l'admission dans une unité pour malades difficiles est susceptible d'éloigner le patient de sa famille, les dispositions attaquées sont, par elles-mêmes, dépourvues d'incidence sur le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que, par l'article 4 du décret attaqué, le pouvoir réglementaire aurait adopté des règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, relevant de la seule compétence du législateur.

Sur le respect du droit au recours :

5. D'une part, aux termes l'article L. 3216-1 du code de la santé publique : " La régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. / Le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites en application des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1. (...) ". L'article L. 3211-12-2 du même code précise la procédure applicable lorsque le juge des libertés et de la détention est saisi en application des articles L. 3211-12 ou L. 3211-12-1, soit à tout moment aux fins d'ordonner la mainlevée d'une mesure de soins psychiatriques, soit avant l'expiration de certains délais, pour statuer sur la poursuite de l'hospitalisation complète d'un patient.

6. Les dispositions de l'article 4 du décret attaqué ne font en rien obstacle à la saisine du juge des libertés et de la détention prévue par les articles L. 3211-12 ou L. 3211-12-1 du code de la santé publique et au respect de la procédure applicable devant lui. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elles auraient méconnu les dispositions des articles L. 3216-1 et L. 3211-12-2 du même code.

7. D'autre part, il résulte de l'article R. 3221-6 du code de la santé publique et de l'article R. 3222-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret attaqué, que l'hospitalisation dans une unité pour malades difficiles, à vocation interrégionale, se caractérise, par rapport à une prise en charge dans le cadre de la psychiatrie de secteur, par des mesures de sécurité particulières imposées aux personnes hospitalisées sans leur consentement et peut s'accompagner d'un éloignement important de l'établissement d'origine. Ainsi, eu égard aux effets d'une admission en unité pour malades difficiles ou d'un refus de sortie d'une telle unité sur la situation des personnes hospitalisées sans leur consentement, une telle décision doit pouvoir faire l'objet d'un recours juridictionnel. En prévoyant l'existence d'une commission du suivi médical, qui peut, d'office ou sur demande notamment du patient ou de l'un de ses proches, le cas échéant assisté ou représenté par un avocat en vertu de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971, saisir le préfet du département d'implantation de l'unité pour malades difficiles afin qu'il prononce la sortie du patient de cette unité, le décret attaqué n'a exclu, contrairement à ce que soutient l'association requérante, ni la possibilité d'exercer un recours devant le juge compétent, ni le droit à l'assistance d'un avocat lors de l'exercice de ce recours.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'article 4 du décret attaqué.

Sur les frais exposés par l'association requérante à l'occasion du litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
--------------

Article 1er : La requête de l'association Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.