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Ariane Web: Conseil d'État 393761, lecture du 20 mars 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:393761.20170320

Décision n° 393761
20 mars 2017
Conseil d'État

N° 393761
ECLI:FR:CECHR:2017:393761.20170320
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Christian Fournier, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du lundi 20 mars 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler l'arrêté du maire d'Orléans du 28 janvier 2011 mettant fin à son contrat de travail, d'autre part, de condamner la commune d'Orléans à lui verser les sommes de 79 535 euros au titre des salaires restant à courir, de 7 953 euros au titre de l'indemnité de congés payés, de 27 266 euros, à parfaire, au titre de l'indemnité de précarité, et de 90 900 euros en réparation de son préjudice moral. Par un jugement n° 1100589 du 5 février 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses demandes.

M. B...a interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt n° 13NT01016 du 24 mars 2015, la cour administrative d'appel de Nantes l'a annulé et a jugé la décision d'éviction illégale, condamné la commune d'Orléans à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi, rejeté ses conclusions tendant à ce que la commune soit condamnée à lui verser une indemnité de précarité et, enfin, ordonné un supplément d'instruction pour lui permettre de produire dans le délai d'un mois tous documents relatifs aux rémunérations ou allocations qu'il a perçues au cours de la période du 25 janvier 2011 au 22 octobre 2012 et pour permettre à la commune d'Orléans de fournir dans le même délai toutes informations utiles relatives aux rémunérations que l'intéressé aurait perçues pendant la période en cause.

Par un second arrêt, sous le même numéro, en date du 28 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a condamné la commune d'Orléans à verser à M. B...la somme de 37 403,37 euros en réparation du préjudice financier subi et rejeté le surplus de sa demande.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 25 septembre 2015 et le 26 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt du 28 juillet 2015 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire intégralement droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Orléans la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. B...et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune d'Orléans ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a été recruté par la commune d'Orléans à compter du 23 octobre 2006 en qualité d'agent contractuel pour une durée de trois ans. Cet engagement a été renouvelé pour la même durée à compter du 23 octobre 2009. Le maire de la commune d'Orléans a toutefois mis fin à l'exécution de ce contrat par arrêté du 28 janvier 2011 avec effet au 25 janvier 2011. M. B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler cet arrêté, d'autre part, de condamner la commune d'Orléans à lui verser diverses sommes en réparation du préjudice subi, notamment une somme de 79 535 euros au titre des salaires qu'il aurait perçus s'il avait été maintenu dans son emploi jusqu'à la fin de la période d'exécution du contrat. Le tribunal d'Orléans a rejeté ses demandes. M. B...ayant interjeté appel du jugement, la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir jugé illégale la décision d'éviction, a, notamment, par l'arrêt attaqué, condamné la commune d'Orléans à lui verser une indemnité de 37 403,37 euros en réparation du préjudice financier subi au titre de la perte de salaires. M. B... se pourvoit en cassation contre l'article 2 de cet arrêt rejetant le surplus de ses conclusions sur ce point.

2. D'une part, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent.dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle

3. D'autre part, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction. La réparation intégrale du préjudice de l'intéressé peut également comprendre, à condition que l'intéressé justifie du caractère réel et certain du préjudice invoqué, celle de la réduction de droits à l'indemnisation du chômage qu'il a acquis durant la période au cours de laquelle il a été employé du fait de son éviction de son emploi avant le terme contractuellement prévu.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a soutenu devant ces juges qu'il avait acquis, compte tenu de la durée de la période durant laquelle il avait exercé des fonctions au sein des services de la commune d'Orléans, conformément aux dispositions des articles L. 5424-1 et L. 5424-2 du code du travail et du règlement général annexé à la convention relative à l'indemnisation du chômage en vigueur, des droits à indemnisation du chômage durant une période pouvant aller jusqu'à 730 jours. Selon M. B..., l'éviction illégale a eu pour effet direct que la période d'indemnisation du chômage a commencé prématurément à compter du 25 janvier 2011, date de son éviction illégale, au lieu du 22 octobre 2012, terme de la période d'emploi prévue par le contrat, et pris fin prématurément dans la même mesure. Le requérant a soutenu devant la cour qu'il avait été ainsi privé, du fait de son éviction, de l'exercice d'une partie de ses droits à indemnisation du chômage.

5. L'exercice effectif des droits à l'indemnisation du chômage suppose que l'intéressé remplisse les conditions posées par le règlement général annexé à la convention relative à l'indemnisation du chômage en vigueur, notamment celles de ne pas avoir retrouvé un emploi et d'être en recherche active d'emploi. Il appartient à la victime d'une éviction illégale de son emploi de justifier du caractère certain du préjudice invoqué. En jugeant que le moyen de M. B..., exposé ci-dessus, relevait d'un litige distinct et que l'indemnité réparant la réduction de ses droits à indemnisation du chômage du fait de l'éviction illégale était sans incidence sur le montant de la réparation de son préjudice sans avoir recherché si le préjudice invoqué avait ou non pour origine l'éviction illégale et alors qu'elle a statué à une date postérieure à l'expiration de la période d'indemnisation du chômage courant à compter du terme normal de la période d'exécution du contrat de l'intéressé et qu'il lui incombait ainsi d'examiner si l'intéressé justifiait ou non avoir rempli durant tout ou partie de cette période les conditions posées à l'indemnisation du chômage dans le règlement général mentionné ci-dessus, la cour administrative d'appel a méconnu le principe de réparation intégrale d'un dommage.

6. Il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Orléans la somme de 3 000 euros à verser à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M.B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 28 juillet 2015 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : La commune d'Orléans versera à M. B...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la commune d'Orléans présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à la commune d'Orléans.



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