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Ariane Web: Conseil d'État 394664, lecture du 27 mars 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:394664.20170327

Décision n° 394664
27 mars 2017
Conseil d'État

N° 394664
ECLI:FR:CECHS:2017:394664.20170327
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY ; LE PRADO, avocats


Lecture du lundi 27 mars 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Daufin Construction Métallique a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la société d'économie mixte d'aménagement de l'Est de Paris (SEMAEST) à lui verser la somme de 120 000 euros TTC, assortie des intérêts moratoires, au titre du paiement direct du prix des travaux dont l'exécution lui a été sous-traitée par la société Bacotra, titulaire d'un marché public, signé le 22 décembre 2005, portant sur la restructuration de la Maison des Métallos située 94 rue Jean-Pierre Timbaud à Paris (11ème arrondissement). Par un jugement n° 0909837 du 27 janvier 2014, ce tribunal a condamné la SEMAEST à verser à la société Daufin Construction Métallique la somme de 119 997,84 euros, sous déduction de la provision d'un montant de 25 063,22 euros déjà versée, assortie des intérêts moratoires, à compter du 6 janvier 2008, jusqu'au paiement effectif desdites sommes.

Par un arrêt n° 14PA01272 du 8 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la SEMAEST, ramené à 22 277,23 euros TTC la somme que celle-ci a été condamnée à verser à la société Daufin Construction Métallique et réformé ce jugement en ce qu'il avait de contraire.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 novembre 2015 et 18 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Daufin Construction Métallique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la société d'économie mixte d'aménagement de l'Est de Paris la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
- le décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de la société Daufin Construction Metallique, et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la société d'économie mixte d'aménagement de l'Est de Paris.


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la ville de Paris a confié à la société d'économie mixte d'aménagement de l'Est de Paris (SEMAEST) la restructuration de la Maison des Métallos, située 94 rue Jean-Pierre Timbaud à Paris (11ème arrondissement) ; que, par un marché public en date du 22 décembre 2005, la SEMAEST a chargé la société Bacotra de l'exécution du lot n° 1 de l'opération de travaux portant sur la restructuration du bâtiment ; que la SEMAEST a signé, le 18 septembre 2006, un acte spécial annexé au marché conclu avec la société Bacotra afin d'accepter la société Daufin Construction Métallique en qualité de sous-traitant chargé de l'exécution du lot technique " métallerie, menuiseries métalliques, verrières ", d'un montant de 598 500 euros HT, et d'agréer ses conditions de paiement ; que, par un premier acte spécial modificatif signé le 28 mai 2007 par la SEMAEST, le montant des travaux faisant l'objet d'un paiement direct à la société Daufin Construction Métallique a été ramené à la somme de 560 645 euros HT ; que, par un second acte spécial modificatif signé le 18 septembre 2007, la SEMAEST et la société Bacotra ont réduit ce montant à 532 000 euros HT pour tenir compte de l'absence d'exécution de certaines prestations par la société Daufin Construction Métallique ; que, par deux demandes reçues par la société Bacotra les 24 juillet et 22 août 2007, la société Daufin Construction Métallique a engagé la procédure de paiement direct correspondant aux situations de travaux de juillet et août de cette même année ; que, par une lettre du 21 novembre 2007, la société Daufin Construction Métallique a demandé à la SEMAEST de lui verser la somme de 119 997,84 euros au titre du solde des sommes dues dans le cadre du paiement direct des situations de travaux précitées ; que, devant le refus de celle-ci, elle a saisi la juridiction administrative en vue d'obtenir la condamnation de la SEMAEST à lui verser cette somme ; que, par une ordonnance du 3 novembre 2008, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a condamné la SEMAEST à verser à la société Daufin Construction Métallique une provision d'un montant de 25 013,22 euros, porté à 25 063,22 euros par une ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris du 28 avril 2009 ; que, par un jugement du 27 janvier 2014, le tribunal administratif de Paris a condamné la SEMAEST à verser à la société Daufin Construction Métallique, au titre du paiement direct des prestations exécutées par celle-ci, la somme de 119 997,84 euros, sous déduction de la provision déjà versée, assortie des intérêts moratoires ; que, par un arrêt du 8 octobre 2015, contre lequel la société Daufin Construction Métallique se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la SEMAEST, ramené à 22 277,23 euros TTC la somme que celle-ci a été condamnée à verser à la société Daufin Construction Métallique ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, applicable, dans sa rédaction alors en vigueur, aux marchés passés par l'Etat, les collectivités locales, les établissements et entreprises publics : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution " ; qu'aux termes de l'article 15 de la même loi : " Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi " ; qu'aux termes de l'article 112 du code des marchés publics dans sa version, alors applicable, issue du décret du 7 janvier 2004 : " Le titulaire d'un marché public de travaux ou d'un marché public de services peut sous-traiter l'exécution de certaines parties de son marché à condition d'avoir obtenu de la personne publique contractante l'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement " ; que selon l'article 114 du même code : " L'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement doivent être demandés dans les conditions suivantes : 1. Dans le cas où la demande de sous-traitance intervient au moment du dépôt de l'offre ou de la proposition, le candidat doit fournir à la personne publique contractante une déclaration mentionnant : a) La nature des prestations dont la sous-traitance est prévue ; (...) c) Le montant prévisionnel des sommes à payer directement au sous-traitant ; d) Les conditions de paiement prévues par le projet de contrat de sous-traitance et, le cas échéant, les modalités de variation des prix (...) / 3. Si, postérieurement à la notification du marché, le titulaire envisage de confier à des sous-traitants bénéficiant du paiement direct l'exécution de prestations pour un montant supérieur à celui qui a été indiqué dans le marché, il doit obtenir la modification de l'exemplaire unique prévu à l'article 106 du présent code (...). Toute modification dans la répartition des prestations entre le titulaire et les sous-traitants payés directement ou entre les sous-traitants eux-mêmes exige également la modification de l'exemplaire unique ou, le cas échéant, la production d'une attestation ou d'une mainlevée du ou des cessionnaires. (...) / 5. L'acceptation du sous-traitant et l'agrément des conditions de paiement sont constatés par un acte spécial signé des deux parties. Y sont précisés : - la nature des prestations sous-traitées (...) - le montant prévisionnel des sommes à payer directement au sous-traitant ; - les modalités de règlement de ces sommes " ;

3. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 et de l'article 114 du code des marchés publics qu'en l'absence de modification des stipulations du contrat de sous-traitance relatives au volume des prestations du marché dont le sous-traitant assure l'exécution ou à leur montant, le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal ne peuvent, par un acte spécial modificatif, réduire le droit au paiement direct du sous-traitant dans le but de tenir compte des conditions dans lesquelles les prestations sous-traitées ont été exécutées ; qu'ainsi, en jugeant que le droit au paiement direct de la société Daufin Construction Métallique était celui qui résultait de l'acte spécial tel qu'il avait été modifié par la SEMAEST et la société Bacotra, quand bien même cette modification était intervenue alors que les stipulations du contrat de sous-traitance étaient demeurées identiques, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que, par suite, la société Daufin Construction Métallique est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre branche du moyen présentée au soutien de son pourvoi, à en demander l'annulation ;

4. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Daufin Construction Métallique, qui n'est pas la partie perdante, le versement des sommes que demande, à ce titre, la SEMAEST ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière la somme de 3 000 euros à verser à la société Daufin Construction Métallique au titre des mêmes dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 octobre 2015 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La société d'économie mixte d'aménagement de l'Est de Paris versera la somme de 3 000 euros à la société Daufin Construction Métallique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la société d'économie mixte d'aménagement de l'Est de Paris au même titre sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Daufin Construction Métallique et à la société d'économie mixte d'aménagement de l'Est de Paris.