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Ariane Web: Conseil d'État 402162, lecture du 29 mars 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:402162.20170329

Décision n° 402162
29 mars 2017
Conseil d'État

N° 402162
ECLI:FR:CECHR:2017:402162.20170329
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Vincent Villette, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats


Lecture du mercredi 29 mars 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 janvier et 1er mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société IKB Deutsche Industriebank demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa défense tendant au rejet du pourvoi du ministre des finances et des comptes publics contre l'arrêt n° 15VE02356 du 19 juillet 2016 de la cour administrative d'appel de Versailles, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux impositions litigieuses.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts ;
- les décisions n° 395015 et n° 396160 du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 9 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 mars 2017, présentée par la société IKB Deutsche Industriebank ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la société Ikb deutsche industriebank ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " I.-Les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables, aux taux mentionnés à l'article 219, des exercices clos à compter du 31 décembre 2011 et jusqu'au 30 décembre 2013 / Cette contribution est égale à 5 % de l'impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature. (...) / Le chiffre d'affaires mentionné au premier alinéa du présent I s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant ".

3. En premier lieu, il ressort des dispositions contestées, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 de laquelle elles sont issues, que le législateur a entendu soumettre les grandes entreprises à une contribution supplémentaire, compte tenu de leurs capacités contributives plus fortes. A cette fin, il a prévu un seuil de chiffre d'affaires de 250 millions d'euros, au-delà duquel cette contribution est due. Ce seuil, ainsi que l'ont jugé les décisions du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 9 décembre 2016, s'apprécie par référence aux recettes tirées de l'ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle, exercée en France et hors de France, quel que soit le régime fiscal du résultat des opérations correspondant à ce chiffre d'affaires. Par ailleurs, les dispositions contestées prévoient, d'une part, que cette contribution est exceptionnelle et, d'autre part, qu'elle est limitée à 5 % de l'impôt sur les sociétés dû au titre d'un exercice. Par suite, elles ne présentent aucune difficulté particulière d'interprétation et ne sont entachés d'aucune incompétence négative qui affecterait par elle-même le droit de propriété.

4. En deuxième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. S'il existe, pour l'application des dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, une différence entre les chiffres d'affaires à prendre en compte, selon qu'une société étrangère exerce des activités en France dans le cadre d'une succursale ou dans le cadre d'une filiale, elle est la conséquence nécessaire de l'absence de personnalité propre de la succursale et ne peut être regardée comme portant elle-même atteinte à l'égalité devant la loi ou devant les charges publiques.

6. En troisième lieu, la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il est toutefois loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

7. En admettant même que la différence, mentionnée au point 5 ci-dessus, entre une filiale française et une succursale française d'une société étrangère soit susceptible d'influer sur les conditions dans lesquelles cette société est susceptible de s'implanter en France, cette seule circonstance ne porte, en tout état de cause, pas une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.




D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société IKB Deutsche Industriebank.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société IKB Deutsche Industriebank, au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.