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Ariane Web: Conseil d'État 396333, lecture du 5 mai 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:396333.20170505

Décision n° 396333
5 mai 2017
Conseil d'État

N° 396333
ECLI:FR:CECHS:2017:396333.20170505
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
M. Xavier Domino, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du vendredi 5 mai 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Mme A...C...et M. B...C...ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Aude et la commune de Saint-Papoul à leur verser une indemnité de 123 583 euros au titre des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des nuisances résultant de la mise en service d'une déviation routière se traduisant par le passage de nombreux camions devant leur propriété.

Par un jugement n° 1201763 du 24 mars 2014, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 14MA01849 du 7 janvier 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement, condamné solidairement le département de l'Aude et la commune de Saint-Papoul à verser à M. et Mme C...une indemnité de 70 000 euros et mis les dépens à la charge solidaire de la commune et du département.

1° Sous le n° 396333, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 22 janvier et 22 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Papoul demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme C...et du département de l'Aude la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 397636, par un pourvoi enregistré le 4 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de l'Aude demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le même arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme C...une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de la commune de Saint-Papoul, à la SCP Zribi, Texier, avocat du département de l'Aude et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme C...;




1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. et Mme C...ont acquis en 2004 une propriété située sur le territoire de la commune de Saint-Papoul (Aude) ; qu'à la fin du mois d'avril 2010 a été mise en service une déviation dans le but de détourner du centre du village le passage des camions desservant une carrière d'argile exploitée au nord de la commune ; que la mise en service de cette déviation a eu pour conséquence de faire passer les camions sur la route départementale n° 126 devant la maison d'habitation de M. et Mme C...; que ces derniers ont mis en cause la responsabilité de la commune de Saint-Papoul et du département de l'Aude pour obtenir réparation de la perte de valeur vénale de leur propriété et de leur préjudice moral ; que, par arrêt du 7 janvier 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a condamné solidairement la commune et le département à verser à M. et Mme C...une indemnité d'un montant de 70 000 euros en réparation de leurs préjudices ; que la commune de Saint-Papoul et le département de l'Aude demandent l'annulation de cet arrêt, par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant que la responsabilité de l'administration peut être recherchée, en l'absence de faute, sur le fondement de l'égalité devant les charges publiques, à raison des dommages anormaux causés aux tiers par l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme C...ont recherché la responsabilité de la commune de Saint-Papoul et du département de l'Aude pour obtenir réparation des préjudices résultant de la mise en service de la déviation routière qui a détourné la circulation des camions desservant la carrière pour leur faire emprunter la route départementale passant le long de leur propriété ; que la cour a retenu la responsabilité solidaire de la commune et du département, en jugeant que le préjudice causé par la circulation des camions présentait, en l'espèce, un caractère spécial et anormal ; qu'en statuant ainsi sur la demande indemnitaire dont elle était saisie, la cour administrative d'appel ne s'est pas méprise sur la portée des écritures de M. et Mme C...et ne s'est pas placée d'office sur un terrain de responsabilité qui n'aurait pas été invoqué par les demandeurs ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que la cour a retenu la responsabilité conjointe de la commune de Saint-Papoul et du département de l'Aude pour les dommages anormaux causés aux demandeurs par l'existence et le fonctionnement des ouvrages que constituent la déviation routière du centre du village, dont le maître de l'ouvrage était la commune et qui a été réalisée avec l'aide financière et technique du département, et la route départementale 126 empruntée par les camions au droit de la propriété de M. et Mme C...; qu'en retenant, dans les circonstances de l'espèce, la responsabilité de la commune et du département, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'en retenant que le préjudice moral et la perte de valeur vénale de la propriété étaient susceptibles d'être indemnisés à raison des dommages anormaux résultant de l'existence et du fonctionnement d'ouvrages publics, la cour n'a pas davantage commis d'erreur de droit ;

5. Considérant, en troisième lieu, que la cour a souverainement constaté que 140 camions empruntent la déviation chaque jour du lundi au vendredi, entre 6 heures et 22 heures, et que le trafic des camions s'est fortement accru sur la route départementale 126 du fait de la création de la déviation ; qu'elle a relevé, en se fondant sur le rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, qu'au droit de la propriété des demandeurs ont été relevées des mesures de bruit supérieures à la valeur limite de 60 dB (A) représentant un niveau de bruit important ; qu'elle a constaté que le passage de camions transportant de l'argile provoque de la poussière et des dépôts de terre rouge ; qu'en jugeant, en l'état de ces constatations souveraines, que le préjudice moral de M. et Mme C...et la perte de valeur vénale de leur propriété revêtaient, en l'espèce, un caractère spécial et anormal, la cour administrative d'appel de Marseille a suffisamment motivé sa décision eu égard à la teneur de l'argumentation dont elle était saisie, n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce ;

6. Considérant, enfin, qu'en estimant à 60 000 euros la perte de valeur vénale, au vu notamment d'un rapport réalisé par un expert en 2010, et en relevant que cette estimation n'était pas sérieusement contestée, la cour administrative d'appel a suffisamment motivé sa décision et s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation, qui n'est pas susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Papoul et le département de l'Aude ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent ;

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit, à ce titre, mise à la charge de M. et Mme C... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du département de l'Aude et de la commune de Saint-Papoul le versement, chacun, d'une somme de 2 500 euros à M. et Mme C...;


D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la commune de Saint-Papoul et du département de l'Aude sont rejetés.

Article 2 : La commune de Saint-Papoul et le département de l'Aude verseront chacun à M. et Mme C...une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Papoul, au département de l'Aude, à Mme A...C...et à M. B...C....