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Ariane Web: Conseil d'État 399163, lecture du 5 mai 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:399163.20170505

Décision n° 399163
5 mai 2017
Conseil d'État

N° 399163
ECLI:FR:CECHS:2017:399163.20170505
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Cécile Isidoro, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public


Lecture du vendredi 5 mai 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 18 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association des ingénieurs territoriaux de France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir :
- le décret n° 2016-201 du 26 février 2016 portant statut particulier du cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux ;
- le décret n° 2016-203 du 26 février 2016 portant échelonnement indiciaire applicable aux ingénieurs territoriaux ;
- le décret n° 2016-206 du 26 février 2016 fixant les conditions d'accès et les modalités d'organisation des concours pour le recrutement des ingénieurs territoriaux ;
- le décret n° 2016-207 du 26 février 2016 fixant les modalités d'organisation des examens professionnels pour l'accès au cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 4 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les fonctionnaires territoriaux appartiennent à des cadres d'emplois régis par des statuts particuliers, communs aux fonctionnaires des communes, des départements, des régions et de leurs établissements publics. / Ces statuts particuliers ont un caractère national. / Un cadre d'emplois regroupe les fonctionnaires soumis au même statut particulier, titulaires d'un grade leur donnant vocation à occuper un ensemble d'emplois. Chaque titulaire d'un grade a vocation à occuper certains des emplois correspondant à ce grade. / Le cadre d'emplois peut regrouper plusieurs grades. / Les grades sont organisés en grade initial et en grades d'avancement. / Les fonctionnaires territoriaux sont gérés par la collectivité ou l'établissement dont ils relèvent ; leur nomination est faite par l'autorité territoriale ". Aux termes de l'article 6 de la même loi, dans sa rédaction en vigueur à la date des décrets attaqués : " Les statuts particuliers sont établis par décret en Conseil d'Etat. Ils précisent notamment le classement de chaque cadre d'emplois, emploi ou corps, dans l'une des trois catégories mentionnées au premier alinéa de l'article 13 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée. / L'échelonnement indiciaire applicable aux cadres d'emplois et emplois de la fonction publique territoriale est fixé par décret ".

2. Par le décret n° 2016-201 du 26 février 2016, le Premier ministre a abrogé le décret n° 90-126 du 9 février 1990 portant statut particulier du cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux et a créé un nouveau statut particulier pour ce cadre d'emplois. Le décret n° 2016-203 du 26 février 2016 fixe l'échelonnement indiciaire applicable aux ingénieurs territoriaux. Le décret n° 2016-206 du 26 février 2016 fixe les conditions d'accès et les modalités d'organisation des concours pour le recrutement des ingénieurs territoriaux. Le décret n° 2016-207 du 26 février 2016 fixe les modalités d'organisation des examens professionnels pour l'accès au cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux. L'Association des ingénieurs territoriaux de France demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces décrets.

Sur la légalité externe :

3. Aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui sont compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de cet acte. Les décrets attaqués ont été contresignés par le ministre de la fonction publique, le ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales et le ministre de l'intérieur. Les décrets n° 2016-201 et n° 2016-203 ont en outre été contresignés par le ministre des finances et des comptes publics et le secrétaire d'Etat chargé du budget. Il ne ressort pas des pièces du dossier que d'autres ministres auraient été appelés à signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que l'exécution des décrets attaqués comportait nécessairement. Dès lors, le moyen tiré du défaut de contreseing de ceux-ci doit être écarté.

Sur la légalité interne :

4. Si l'Association des ingénieurs territoriaux de France conclut à l'annulation de l'ensemble des dispositions des décrets attaqués, les moyens qu'elle soulève ne sont assortis de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé qu'en ce qui concerne l'article 25 du décret n° 2016-201 et l'article 1er du décret n° 2016-206. Les conclusions de sa requête, en tant qu'elles sont dirigées contre les autres dispositions des décrets attaqués, ne peuvent par suite qu'être rejetées.

En ce qui concerne l'article 25 du décret n° 2016-201 du 26 février 2016 :

5. Aux termes du I de l'article 25 du décret n° 2016-201 : " Peuvent être nommés au grade d'ingénieur hors classe, au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, les ingénieurs principaux ayant atteint au moins le 6e échelon de leur grade. / Les intéressés doivent justifier : / 1° Soit de six années de détachement dans un ou plusieurs emplois culminant au moins à l'indice brut 1015 durant les dix années précédant la date d'établissement du tableau d'avancement ; / 2° Soit de huit années de détachement sur un ou plusieurs emplois culminant au moins à l'indice brut 966 durant les douze années précédant la date d'établissement du tableau d'avancement. / Les années de détachement dans un emploi culminant au moins à l'indice brut 1015 peuvent être prises en compte pour le décompte mentionné au 2° ci-dessus. / Les périodes de référence de dix ans et douze ans précédant la date d'établissement du tableau d'avancement, mentionnées aux 1° et 2° sont prolongées des périodes de congé mentionnées aux 5° et 10° de l'article 57, à l'article 60 sexies et à l'article 75 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée ainsi que de la disponibilité mentionnée au 1° de l'article 24 du décret du 13 janvier 1986 susvisé dont a bénéficié l'agent et au cours desquelles les intéressés n'ont pas été détachés dans un emploi fonctionnel mentionné au présent article ".

6. D'une part, aux termes de l'article 6 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leur sexe ". Aux termes de l'article 25 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction en vigueur à la date des décrets attaqués : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 5° Au congé pour maternité, ou pour adoption, avec traitement, d'une durée égale à celle prévue par la législation sur la sécurité sociale. (...) ". Il suit de là que, pendant son congé pour maternité, une fonctionnaire en activité conserve le bénéfice de ses droits à l'avancement et à la promotion, de telle sorte que la maternité n'ait pas à cet égard d'incidence sur le déroulement de sa carrière. Le sixième alinéa de l'article 25 du décret n° 2016-201 a pour effet de neutraliser les périodes de congés mentionnées, notamment de congé pour maternité, en prolongeant les périodes de référence durant lesquelles doit s'apprécier la condition de détachement, condition exigée pour pouvoir être inscrit au tableau d'avancement annuel. Ainsi l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret critiqué serait à ce titre entaché d'une discrimination illégale fondée sur le sexe.

7. D'autre part, aux termes de l'article 77 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction en vigueur à la date des décrets attaqués : " L'avancement des fonctionnaires comprend l'avancement d'échelon et l'avancement de grade ". Aux termes de l'article 79 de la même loi : " L'avancement de grade a lieu de façon continue d'un grade au grade immédiatement supérieur. Il peut être dérogé à cette règle dans les cas où l'avancement est subordonné à une sélection professionnelle. / Il a lieu suivant l'une ou plusieurs des modalités ci-après :/ 1° Soit au choix par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents (...) Pour les fonctionnaires relevant des cadres d'emplois de catégorie A, il peut également être subordonné à l'occupation préalable de certains emplois ou à l'exercice préalable de certaines fonctions correspondant à un niveau particulièrement élevé de responsabilité et définis par un décret en Conseil d'Etat (...) ". La disposition contestée, relative à l'avancement des fonctionnaires du cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux pour l'accès au grade d'ingénieur hors classe, est également applicable à tous les agents de ce cadre d'emplois. Il ressort des termes mêmes de l'article 25 du décret n° 2016-201 que l'avancement doit s'effectuer au choix, permettant ainsi de tenir compte de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents. Pour l'appréciation de l'expérience professionnelle de ceux-ci, aucune disposition législative ne fait obstacle à ce que le pouvoir réglementaire édicte une disposition prévoyant l'accomplissement d'une période de détachement, pouvant inclure le détachement sur des emplois fonctionnels des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, par les agents ayant vocation à être promus au grade supérieur d'ingénieur hors classe, eu égard aux emplois d'un niveau élevé de responsabilité que les titulaires de ce grade sont appelés à occuper. En outre il ne ressort pas des pièces du dossier que la durée de la période de détachement ainsi requise, d'une durée de six ou huit ans, soit entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Dès lors, le moyen tiré de ce que la disposition critiquée serait illégale, au motif qu'elle méconnaitrait le principe d'égalité et ne permettrait pas de tenir compte de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents doit être écarté.

En ce qui concerne l'article 1er du décret n° 2016-206 du 26 février 2016 :

8. Aux termes de l'articler 1er du décret n° 2016-206 : " Les candidats au concours externe sur titres avec épreuves d'accès au cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux doivent être titulaires d'un diplôme d'ingénieur délivré dans les conditions prévues aux articles L. 642-1 et suivants du code de l'éducation susvisé, ou d'un diplôme d'architecte, ou d'un autre diplôme scientifique ou technique sanctionnant une formation d'une durée au moins égale à cinq années d'études supérieures après le baccalauréat, correspondant à l'une des spécialités mentionnées à l'article 2 et reconnu comme équivalent dans les conditions fixées par le décret du 13 février 2007 susvisé ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Les concours d'accès au cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux comprennent un concours externe et un concours interne. Chacun des concours comprend une ou plusieurs des spécialités suivantes : / - ingénierie, gestion technique et architecture ; / - infrastructures et réseaux ; / - prévention et gestion des risques ; / - urbanisme, aménagement et paysages ; / - informatique et systèmes d'information. (...) ". L'Association des ingénieurs territoriaux de France soutient que l'article 1er du décret n° 2016-206 est entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'en exigeant des candidats au concours externe d'accès au cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux d'être titulaires d'un diplôme scientifique " ou " technique, il contreviendrait à la nature de ce cadre d'emplois qui est, selon les termes de l'article 1er du décret n° 2016-201 du 26 février 2016, " scientifique et technique ". Il résulte toutefois des dispositions combinées des articles 1er et 2 du décret n° 2016-206 attaqué que les conditions de diplôme exigées visent à tenir compte de la diversité des spécialités prévues pour le concours externe et qu'elles correspondent aux domaines dans lesquels les ingénieurs territoriaux sont appelés à exercer leurs fonctions. Il suit de là que ce moyen ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que l'Association des ingénieurs territoriaux de France n'est pas fondée à demander l'annulation des décrets n° 2016-201, n° 2016-203, n° 2016-206 et n° 2016-207 du 26 février 2016.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme qui est demandée à ce titre par l'Association des ingénieurs territoriaux de France soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.


D E C I D E :
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Article 1 : La requête de l'Association des ingénieurs territoriaux de France est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association des ingénieurs territoriaux de France, au Premier ministre, à la ministre de la fonction publique, au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.