Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 392510, lecture du 9 mai 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:392510.20170509

Décision n° 392510
9 mai 2017
Conseil d'État

N° 392510
ECLI:FR:CECHR:2017:392510.20170509
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public
SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats


Lecture du mardi 9 mai 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 15 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Norma demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 14PA03849 du 9 juillet 2015 de la cour administrative d'appel de Paris, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 124 du code général des impôts. Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité. Il soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux.

Le mémoire de la société Norma a été communiqué au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société Norma ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. " Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...). ". Il résulte de ces dispositions que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 124 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus au sens du présent article, lorsqu'ils ne figurent pas dans les recettes provenant de l'exercice d'une profession industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ou d'une exploitation minière, les intérêts, arrérages, primes de remboursement et tous autres produits : / (...) 2° Des dépôts de sommes d'argent à vue ou à échéance fixe, quel que soit le dépositaire et quelle que soit l'affectation du dépôt. ".

3. La société Norma soutient qu'en qualifiant de revenus de capitaux mobiliers les intérêts versés au vendeur par le séquestre désigné en justice à la demande de l'acquéreur et procurés par le placement par le séquestre du prix de cession de titres dont la propriété a été contestée, alors que les intérêts moratoires que le vendeur perçoit directement de l'acquéreur à raison du paiement différé du prix de cession par ce dernier sont imposés dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières, l'article 124 du code général des impôts soumet à un régime fiscal différent des intérêts ayant une vocation commune à compenser un paiement tardif par l'acquéreur et méconnaît de ce fait le principe d'égalité devant la loi qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. (...). ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. Aux termes de l'article 1961 du code civil : " La justice peut ordonner le séquestre : / (...) 3° Des choses qu'un débiteur offre pour sa libération. ". Aux termes de l'article 1963 du même code : " Le séquestre judiciaire est donné, soit à une personne dont les parties intéressées sont convenues entre elles, soit à une personne nommée d'office par le juge. / Dans l'un et l'autre cas, celui auquel la chose a été confiée est soumis à toutes les obligations qu'emporte le séquestre conventionnel. ". Aux termes de l'article 1956 du même code : " Le séquestre conventionnel est le dépôt fait par une ou plusieurs personnes, d'une chose contentieuse, entre les mains d'un tiers qui s'oblige de la rendre, après la contestation terminée, à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir. ". Aux termes de l'article 1153 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. / (...) Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit. / (...). ".

6. Il résulte des dispositions citées ci-dessus que ni l'acquéreur des titres, qui est, en vertu de l'article 1961 du code civil, libéré lorsqu'il remet au séquestre désigné par justice le prix de vente convenu, ni la personne à laquelle cette somme d'argent a été confiée en application de l'article 1963 du même code ne doivent au vendeur des intérêts au taux légal pendant la durée du séquestre. Les intérêts produits par le placement de la somme d'argent pendant la durée du séquestre judiciaire, remis au vendeur avec la somme elle-même à l'issue de la contestation, ne sont pas dus, en application de l'article 1153 du même code, à raison du versement différé des sommes par la personne à laquelle le séquestre judiciaire a été donné, mais en tant que fruits de la somme séquestrée. Par suite, le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose pas à ce que l'article 124 du code général des impôts qualifie ces intérêts de revenus de capitaux mobiliers alors que les intérêts au taux légal dus à raison du paiement différé du prix de cession de titres par l'acquéreur, qui constituent pour le vendeur un élément accessoire de ce prix, relèvent du régime des plus-values de cession de valeurs mobilières.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.




D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Norma.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Norma, au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Voir aussi