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Ariane Web: Conseil d'État 377439, lecture du 7 juin 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:377439.20170607

Décision n° 377439
7 juin 2017
Conseil d'État

N° 377439
ECLI:FR:CECHR:2017:377439.20170607
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Stéphane Hoynck, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats


Lecture du mercredi 7 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 avril 2014 et 4 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale de la psychiatrie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite par laquelle la ministre des affaires sociales et de la santé a rejeté sa demande tendant à l'abrogation du point 6 de la partie I de l'annexe II de l'arrêté du 29 juillet 2006 relatif au recueil et au traitement des données d'activité médicale des établissements de santé publics ou privés ayant une activité en psychiatrie et à la transmission de données issues de ce traitement, portant " guide méthodologique du recueil d'informations médicalisé en psychiatrie " et référencé 2014/4 bis ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le code de justice administrative.



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Stéphane Hoynck, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de l'Union syndicale de la psychiatrie ;


Considérant ce qui suit :

1. Le deuxième alinéa de l'article L. 6113-7 du code de la santé publique dispose que les établissements de santé publics et privés mettent en oeuvre, dans le respect du secret médical et des droits des malades " des systèmes d'information qui tiennent compte notamment des pathologies et des modes de prise en charge en vue d'améliorer la connaissance et l'évaluation de l'activité et des coûts et de favoriser l'optimisation de l'offre de soins. ". Le premier alinéa de l'article L. 6113-8 du même code dispose que : " Les établissements de santé transmettent aux agences régionales de santé, à l'Etat ou à la personne publique qu'il désigne et aux organismes d'assurance maladie les informations relatives à leurs moyens de fonctionnement, à leur activité, à leurs données sanitaires, démographiques et sociales qui sont nécessaires à l'élaboration et à la révision du projet régional de santé, à la détermination de leurs ressources, à l'évaluation de la qualité des soins, à la veille et la vigilance sanitaires, ainsi qu'au contrôle de leur activité de soins et de leur facturation. ". Aux termes l'article R. 6113-1 de ce code : " Pour l'analyse de leur activité médicale, les établissements de santé, publics et privés, procèdent, dans les conditions fixées par la présente section, à la synthèse et au traitement informatique de données figurant dans le dossier médical mentionné à l'article L. 1112-1 qui sont recueillies, pour chaque patient, par le praticien responsable de la structure médicale ou médico-technique ou par le praticien ayant dispensé des soins au patient et qui sont transmises au médecin responsable de l'information médicale pour l'établissement, mentionné à l'article L. 6113-7. / Ces données ne peuvent concerner que : (...) 3° L'environnement familial ou social du patient en tant qu'il influe sur les modalités du traitement de celui-ci ; ". Enfin, l'article R. 6113-2 du même code dispose que : " Des arrêtés des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale déterminent, en fonction de la catégorie de l'établissement dans lesquels les soins sont dispensés et de la nature de ces soins tels qu'ils sont définis à l'article L. 6113-2 ;1° Les données dont le recueil et le traitement ont un caractère obligatoire ; 2°Les nomenclatures et classification à adopter ; 3° Les modalités et la durée minimale de conservation des fichiers. ".

2. Par un arrêté du 29 juin 2006, pris pour l'application des dispositions précitées de l'article R. 6113-1 du code de la santé publique, le ministre chargé de la santé et de la sécurité sociale a déterminé les données d'activité médicale des établissements de santé publics ou privés ayant une activité en psychiatrie qui doivent être obligatoirement recueillies par ces établissements ainsi que les conditions de recueil et de traitement de ces données ainsi que celles de leur transmission aux agences régionales de santé, à l'Etat et aux organismes d'assurance maladie. Les dispositions de cet arrêté sont complétées, en annexe, par un " guide méthodologique de production du recueil d'informations médicalisé en psychiatrie ", qui prévoit notamment, au point 6 de sa première partie, le recueil obligatoire de données relatives aux caractéristiques sociales des patients traités en psychiatrie susceptibles d'influer sur leurs modalités de traitement. L'Union syndicale de la psychiatrie demande l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision implicite par laquelle le ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de ces dispositions réglementaires du point 6 de la première partie du " guide méthodologique ", dans sa version référencée 2014/4 bis.

Sur le non-lieu :

3. Lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus d'abroger des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de ce refus d'abroger perd son objet. Il en va toutefois différemment lorsque cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme. Il n'y a plus lieu de statuer, en revanche, sur la légalité de dispositions reprises avec des modifications qui ne sont pas de pure forme.

4. Postérieurement à l'introduction de la présente requête, le " guide méthodologique " référencé 2014/4 bis constituant l'annexe II de l'arrêté du 29 juin 2006 relatif au recueil et au traitement des données d'activité médicale des établissements de santé publics ou privés ayant une activité en psychiatrie a été abrogé et remplacé par le " guide méthodologique " référencé 2015/4 bis, par la suite abrogé et remplacé par le " guide méthodologique " référencé 2016/4 bis. L'arrêté du 29 juin 2006 a ensuite lui-même été abrogé et remplacé par un arrêté du 23 décembre 2016 ayant le même objet, auquel a été annexé le " guide méthodologique " référencé 2017/4 bis. Les dispositions du point 6 de la première partie du guide référencé 2014/4 bis figurent désormais au point 3 de la première partie du guide référencé 2017/4 bis. Elles n'ont fait l'objet d'aucune modification autre que cette modification de pure forme. Il suit de là que le litige né du refus d'abroger ces dispositions n'a pas perdu son objet.

Sur la légalité du refus d'abroger :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. En premier lieu, le traitement des données personnelles mis en place par l'arrêté du 29 juin 2006, dont il ressort des pièces du dossier qu'il a été pris sur autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), n'avait pas à faire l'objet d'un avis motivé et publié de celle-ci . En effet, un tel avis, prévu par l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, ne vise que les traitements intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté.

6. En second lieu, le décret n°2005-333 du 7 avril 2005 relatif au Conseil national de l'information statistique et au comité du secret statistique, aujourd'hui abrogé, prévoyait qu'un traitement automatisé de données devait être soumis au visa préalable du Conseil national de l'information statistique prévu par la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, uniquement lorsque la réalisation de ce traitement, décidée dans le cadre de cette loi, entraînait soit l'exploitation à des fins d'intérêt général de données issues d'une administration, soit la création d'un traitement à cette fin, soumis en tant que tel à avis de la CNIL. Il en résulte que la simple mise en oeuvre, ainsi que l'autorise le 2° de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, d'une fonction statistique d'un traitement automatisé de données par l'administration concernée ne relevait pas du champ des avis du Conseil national de l'information statistique. Il suit de là que le moyen tiré du défaut de consultation de ce conseil doit, en tout état de cause, être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. L'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose : " I - Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci (...) ". En revanche, le II de ce même article prévoit que ne sont pas soumis à cette interdiction : " 6° Les traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l'administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé et mis en oeuvre par un membre d'une profession de santé, ou par une autre personne à laquelle s'impose en raison de ses fonctions l'obligation de secret professionnel prévue par l'article 226-13 du code pénal ".

8. Les dispositions règlementaires du point 6 de la première partie du " guide méthodologique " en litige prévoient le recueil, par les établissements de santé publics ou privés ayant une activité en psychiatrie, de différentes données relatives aux caractéristiques sociales des patients qui sont susceptibles d'influer sur leurs modalités de traitement. Ces données concernent la nature de leur domicile, leur mode de vie, leur situation scolaire ou professionnelle, le bénéfice d'une prestation liée à un handicap, d'un minimum social et de la couverture maladie universelle, leur régime de responsabilité légale et enfin leur protection juridique.

9. En premier lieu, d'une part, l'article 62 de la loi du 6 janvier 1978 prévoyait, dans sa rédaction applicable au litige et dont les dispositions figurent désormais à l'article 53 de la même loi, que : " Les dispositions du présent chapitre ne s'appliquent ni aux traitements de données à caractère personnel effectuées à des fins de remboursement ou de contrôle par les organismes chargés de la gestion d'un régime de base d'assurance maladie, ni aux traitements effectués au sein des établissements de santé par les médecins responsables de l'information médicale dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 6113-7 du code de la santé publique ". Il suit de là que l'union requérante ne saurait utilement invoquer la méconnaissance de cet article, ni celle des articles dont il définit le champ d'application, à l'encontre de l'arrêté litigieux en tant qu'il prévoit le traitement des données à l'intérieur des établissements de santé. D'autre part, l'article 63 de la loi du 6 janvier 1978 prévoyait, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Les données issues des systèmes d'information visés à l'article L. 6113-7 du code de la santé publique (...) ne peuvent être communiquées à des fins statistiques d'évaluation ou d'analyse des pratiques et des activités de soins et de prévention que sous la forme de statistiques agrégées ou de données par patient constituées de telle sorte que les personnes concernées ne puissent être identifiées. Il ne peut être dérogé aux dispositions de l'alinéa précédent que sur autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés dans les conditions prévues aux articles 64 à 66. Dans ce cas, les données utilisées ne comportent ni le nom, ni le prénom des personnes, ni leur numéro d'inscription au Répertoire national d'identification des personnes physiques. ". Dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que le traitement de données que constituent les éléments collectés en application de l'article R. 6113-1 du code de la santé publique et que les établissements de santé doivent transmettre aux agences régionales de santé, à l'Etat et aux organismes d'assurance maladie, fait l'objet d'une anonymisation préalable au moyen de la création d'un numéro anonyme par patient, l'union requérante ne saurait utilement invoquer, en tout état de cause, la méconnaissance des conditions prévues à l'article 66 de la loi du 6 janvier 1978 qui ne s'imposent que s'il est dérogé à l'exigence de ne pouvoir identifier les personnes concernées.

10. En deuxième lieu, s'il est soutenu qu'en prévoyant le recueil systématique, par les établissements de santé ayant une activité en psychiatrie, de toutes les données relatives aux caractéristiques sociales des patients qui sont susceptibles d'influer sur leurs modalités de traitement, les dispositions litigieuses méconnaîtraient les dispositions de l'article R. 6113-1 du code de la santé publique, qui réservent la collecte de telles données aux seuls cas où ces dernières ont influé sur les modalités de traitement d'un patient, il résulte des dispositions combinées de l'article R.6113-1 précité et de l'arrêté litigieux que l'ensemble des données à recueillir pour chaque patient doivent nécessairement l'être au terme du traitement qui a été dispensé. Il s'ensuit que les dispositions litigieuses n'ont pas la portée que leur donne les requérants et n'ont pas pour effet d'imposer le recueil d'autres caractéristiques sociales des patients que celles ayant eu effectivement une incidence sur les modalités de leur traitement. Dans ces conditions, l'union requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions litigieuses auraient illégalement organisé le recueil de données inutiles au regard des finalités assignées au système d'information des établissements de santé par l'article L. 6113-8 du code de la santé publique cité au point 1, en violation du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En dernier lieu, et contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions litigieuses ont ni pour objet ni pour effet d'instituer une discrimination entre les patients en permettant de faire varier le traitement qui leur est dispensé en fonction de leurs caractéristiques sociales et familiales.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le ministre des affaires sociales et de la santé, l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Union syndicale de la psychiatrie est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale de la psychiatrie et à la ministre des solidarités et de la santé.
Copie sera transmise à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.