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Ariane Web: Conseil d'État 383048, lecture du 7 juin 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:383048.20170607

Décision n° 383048
7 juin 2017
Conseil d'État

N° 383048
ECLI:FR:CECHR:2017:383048.20170607
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du mercredi 7 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La commune de Gouvieux a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 014 614 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2009, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'omissions et d'erreurs dans les bases d'imposition à la taxe professionnelle sur son territoire au titre des années 2005 à 2008. Par un jugement n° 1001057 du 18 octobre 2012, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12DA01907 du 28 mai 2014, la cour administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement, partiellement fait droit à l'appel de la commune en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 488 323 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 18 écembre 2009, et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique enregistrés le 24 juillet 2014 et le 3 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1, 2 et 4 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la commune de Gouvieux ;

3°) de déclarer irrecevable le pourvoi incident formé par la commune de Gouvieux contre l'article 3 de cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts ;
- le code de l'éducation ;
- le code rural ;
- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de M. A...commune de Gouvieux ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Gouvieux, estimant à la suite d'un audit qu'elle avait commandé que les bases d'imposition à la taxe professionnelle de plusieurs établissements situés sur le territoire de la commune avaient été omises ou sous-évaluées entre 2005 et 2009, a présenté à l'administration fiscale, le 18 décembre 2009, une demande tendant au versement d'une indemnité d'un montant correspondant aux recettes fiscales perdues de ce fait. Après le rejet implicite de cette réclamation par le directeur des services fiscaux de l'Oise, elle a saisi le tribunal administratif d'Amiens qui, par un jugement du 18 octobre 2012, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État. Par un arrêt du 28 mai 2014, la cour administrative d'appel de Douai a fait partiellement droit aux prétentions de la commune en condamnant l'État à lui verser la somme de 488 323 euros, majorée des intérêts au taux légal, ceux-ci étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts. Cet arrêt, dont le ministre des finances et des comptes publics demande l'annulation des articles 1, 2 et 4, est également frappé d'un pourvoi incident par la commune de Gouvieux, qui demande l'annulation de son article 3.

Sur le pourvoi principal :

2. D'une part, une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement. S'il appartient, en principe, à la victime d'un dommage d'établir la réalité du préjudice qu'elle invoque, le juge ne saurait toutefois lui demander des éléments de preuve qu'elle ne peut apporter.

3. D'autre part, aux termes de l'article 1447 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " La taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée. ". Pour l'application de ces dispositions, les associations sont exonérées de la taxe professionnelle dès lors, d'une part, que leur gestion présente un caractère désintéressé et, d'autre part, que les services qu'elles rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique. Toutefois, même dans le cas où l'association intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, l'exonération de la taxe professionnelle lui reste acquise si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'État avait commis une faute en n'assujettissant pas à la taxe professionnelle au titre des années 2005 à 2009 les associations " Centre médico-chirurgical des jockeys " et " Le pavillon de la chaussée " ainsi que la fondation " Alphonse de Rothschild ", et, au titre des années 2008 et 2009, l'association " Le club du Lys Chantilly ", la cour a relevé que l'administration fiscale ne justifiait pas que ces associations remplissaient les conditions de leur exonération. En statuant ainsi, alors que la commune s'était bornée à invoquer la forme et l'objet social de ces organismes et s'était abstenue de produire les éléments qu'elle était en mesure de connaître relativement au caractère concurrentiel des services qu'ils rendaient dans la zone géographique concernée et qui permettaient de rendre vraisemblable l'existence de l'exonération fautive dont elle se prévalait, la cour a méconnu les règles d'administration de la preuve.

5. Au surplus, il ressort des énonciations de l'arrêt que la cour administrative d'appel de Douai a omis de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre à la requête de la commune de Gouvieux alors qu'elle a partiellement fait droit à cette requête et condamné l'État à indemniser son préjudice.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1, 2 et 4 de l'arrêt attaqué.

Sur le pourvoi incident :

7. Le pourvoi incident formé par la commune de Gouvieux, enregistré après l'expiration du délai de recours en cassation, dirigé contre l'arrêt de la cour en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à des préjudices distincts de ceux en cause dans le pourvoi principal, et qui ne se rattachent pas aux mêmes faits générateurs, soulève un litige distinct de celui qui fait l'objet du pourvoi principal du ministre. Les conclusions de la commune sont, par suite, irrecevables et doivent être rejetées.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1, 2 et 4 de l'arrêt du 28 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Douai sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : Le pourvoi incident de la commune de Gouvieux est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Gouvieux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la commune de Gouvieux.


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