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Ariane Web: Conseil d'État 389927, lecture du 7 juin 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:389927.20170607

Décision n° 389927
7 juin 2017
Conseil d'État

N° 389927
ECLI:FR:CECHR:2017:389927.20170607
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP LESOURD, avocats


Lecture du mercredi 7 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :


La Fondation Jean et Lili Delaby a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2007 à 2010. Par un jugement n° 1206373 du 13 novembre 2013, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14PA00342 du 31 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la requérante contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et nouveau mémoire en réplique, enregistrés les 4 mai, 4 août 2015 et 22 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fondation Jean et Lili Delaby demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de L'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité instituant la communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la Fondation Jean et Lili Delaby ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Fondation Jean et Lili Delaby, dont le siège est en Suisse, a pour objet de soutenir les activités de la Croix Rouge Suisse, section vaudoise et de la Fondation Pro Senectute, et qu'elle est propriétaire d'un immeuble situé 49 avenue de Wagram à Paris. La Fondation requérante se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 31 décembre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre le jugement du 13 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2007 à 2010 à raison des revenus issus de la location de cet immeuble.

2. Aux termes de l'article 206 du code général des impôts dans sa version applicable à l'exercice clos en 2007 : " 1 bis. (...) ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés (...) les fondations reconnues d'utilité publique, les fondations d'entreprise (...) dont la gestion est désintéressée, lorsque leurs activités non lucratives restent significativement prépondérantes et le montant de leurs recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année civile au titre de leurs activités lucratives n'excède pas 60 000 euros. / Les organismes mentionnés au premier alinéa deviennent passibles de l'impôt sur les sociétés prévu au 1 à compter du 1er janvier de l'année au cours de laquelle l'une des trois conditions prévues à l'alinéa précité n'est plus remplie. / Les organismes mentionnés au premier alinéa sont assujettis à l'impôt sur les sociétés (...) en raison des résultats de leurs activités financières lucratives et de leurs participations. / (...) 5. (...) les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition sont assujettis audit impôt en raison : / a. De la location des immeubles bâtis et non bâtis dont ils sont propriétaires ; (...) ". Aux termes de l'article 219 bis du même code dans sa rédaction applicable au même exercice : " I. Par dérogation aux dispositions de l'article 219, le taux de l'impôt sur les sociétés est fixé à 24 % en ce qui concerne les revenus visés au 5 de l'article 206, perçus par les établissements publics, associations et collectivités sans but lucratif. / (...) Les dispositions des premier à cinquième alinéas ne s'appliquent pas aux revenus de l'espèce qui se rattachent à une exploitation commerciale, industrielle ou non commerciale. / (...) III. Les fondations reconnues d'utilité publique sont exonérées d'impôt sur les sociétés pour les revenus mentionnés au I. ".

3. Aux termes de l'article 206 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux exercices clos en 2008, 2009 et 2010 : " 1 bis. (...) ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés (...) les fondations reconnues d'utilité publique, les fondations d'entreprise , les fonds de dotation (...), dont la gestion est désintéressée, lorsque leurs activités non lucratives restent significativement prépondérantes et le montant de leurs recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année civile au titre de leurs activités lucratives n'excède pas 60 000 euros. Sont réputées lucratives les activités de gestion et de capitalisation, par les fonds de dotation, de dons, droits et legs dont les fruits sont versés à des organismes autres que ceux mentionnés au présent alinéa ou à des organismes publics pour l'exercice d'activités lucratives. / (...) 5. (...) les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition, à l'exception, d'une part, des fondations reconnues d'utilité publique et, d'autre part, des fonds de dotation dont les statuts ne prévoient pas la possibilité de consommer leur dotation en capital, sont assujettis audit impôt en raison : / a. De la location des immeubles bâtis et non bâtis dont ils sont propriétaires (...). ".

4. Il résulte de la combinaison des dispositions citées aux points 2 et 3 ci-dessus que les fondations reconnues d'utilité publique, dont la gestion est désintéressée, dont les activités non lucratives sont significativement prépondérantes et dont le montant des recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année précédente et issues des activités lucratives est inférieur à 60 000 euros, sont exonérées de l'impôt sur les sociétés pour les revenus qu'elles tirent de la location des immeubles bâtis et non bâtis. A compter de l'exercice clos en 2008, la même exonération est applicable aux fonds de dotation, dont la gestion est désintéressée, dont les activités non lucratives sont significativement prépondérantes, dont le montant des recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année précédente et issues des activités lucratives est inférieur à 60 000 euros, et dont les statuts ne prévoient pas la possibilité de consommer leur dotation en capital.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour, après avoir jugé que la fondation requérante n'était pas fondée, en raison de son statut, à se prévaloir de l'exonération ainsi accordée par la loi fiscale aux fondations reconnues d'utilité publique et aux fonds de dotation, a écarté les moyens tirés de ce qu'une telle différence de traitement était incompatible d'une part avec le principe de libre circulation des capitaux énoncé à l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne devenu article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'autre part avec l'article 26 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966.

Sur les motifs de l'arrêt attaqué relatifs au droit de l'Union européenne :

6. Aux termes de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne devenu l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites (...) " ; qu'aux termes de l'article 58 du même traité, devenu l'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis (...). ". Lorsqu'un Etat membre exerce sa compétence fiscale à l'égard de contribuables résidents et non résidents, pour que la réglementation fiscale nationale qu'il applique à ces contribuables puisse être regardée comme compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, une différence de traitement entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général. Le régime d'exonération résultant des dispositions citées aux points 2 et 3 ci-dessus étant applicable aux fondations reconnues d'utilité publique et aux fonds de dotation à raison du caractère non lucratif de leur activité et non d'une charge d'intérêt général qui pèserait sur les seuls organismes résidents de France, il ne saurait être refusé à des organismes similaires établis dans un autre Etat membre ou en Suisse qu'à raison de l'existence d'une différence de situation objective entre les organismes français et ceux de l'Etat de résidence, sauf à méconnaître la liberté de circulation des capitaux.

7. La fondation requérante soutenait en premier lieu devant la cour qu'elle se trouve dans une situation objectivement comparable à celle d'une fondation reconnue d'utilité publique.

8. Aux termes de l'article 18 de la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat : " La fondation est l'acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d'une oeuvre d'intérêt général et à but non lucratif. / Lorsque l'acte de fondation a pour but la création d'une personne morale, la fondation ne jouit de la capacité juridique qu'à compter de la date d'entrée en vigueur du décret en Conseil d'Etat accordant la reconnaissance d'utilité publique. Elle acquiert alors le statut de fondation reconnue d'utilité publique. / La reconnaissance d'utilité publique peut être retirée dans les mêmes formes. ". Aux termes de l'article 20 de cette même loi : " Seules les fondations reconnues d'utilité publique peuvent faire usage, dans leur intitulé, leurs statuts, contrats, documents ou publicité, de l'appellation de fondation. (...). ". Il résulte de ces dispositions que seules les fondations dont l'objet est l'affectation de manière irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d'activités ayant un caractère d'intérêt général et à but non lucratif peuvent obtenir la reconnaissance d'utilité publique par décret en Conseil d'Etat. Ces fondations sont soumises au contrôle de l'autorité publique. Leurs statuts doivent respecter les principes généraux auxquels est subordonnée la reconnaissance d'utilité publique d'une fondation, au nombre desquels figure l'administration par un organe collégial dont la composition doit refléter les particularités propres à la fondation et assurer une présence suffisante de représentants qualifiés de l'intérêt général.

9. L'exonération résultant des dispositions analysées aux points 2 à 4 ci-dessus ne saurait être refusée à une fondation établie en Suisse qui apporte la preuve qu'elle pourrait bénéficier, si elle était établie en France, de l'exonération d'impôt sur les sociétés reconnue aux fondations reconnues d'utilité publique. Il appartient, à cette fin, à cette fondation d'établir que sa gestion présente un caractère désintéressé, qu'elle affecte de manière irrévocable ses biens, droits ou ressources à la réalisation d'activités d'intérêt général et à but non lucratif, qu'elle est soumise au contrôle des autorités publiques de son Etat d'établissement et qu'elle est administrée par un organe collégial dont la composition reflète les particularités propres à la fondation et assure une présence suffisante de représentants qualifiés de l'intérêt général.

10. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé que la fondation requérante a pour seul objet de soutenir financièrement les activités de la Croix Rouge Suisse, section vaudoise, et de la fondation Pro Senectute. Elle en a déduit que la fondation requérante n'était pas dans une situation comparable à celles des fondations reconnues d'utilité publique dès lors qu'elle exerçait un simple rôle d'intermédiaire auprès d'organismes dont il n'était au demeurant pas allégué que chacun d'entre eux serait lui-même dans une situation comparable à celle des fondations reconnues d'utilité publique. Il résulte de ce qui est dit au point 9 ci-dessus que la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit.

11. La fondation requérante soutenait en second lieu devant la cour qu'elle se trouve dans une situation objectivement comparable à celle d'un fonds de dotation.

12. Aux termes de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie : " I. - Le fonds de dotation est une personne morale de droit privé à but non lucratif qui reçoit et gère, en les capitalisant, des biens et droits de toute nature qui lui sont apportés à titre gratuit et irrévocable et utilise les revenus de la capitalisation en vue de la réalisation d'une oeuvre ou d'une mission d'intérêt général ou les redistribue pour assister une personne morale à but non lucratif dans l'accomplissement de ses oeuvres et de ses missions d'intérêt général. (...) III. - (...) Il ne peut disposer des dotations en capital dont il bénéficie ni les consommer et ne peut utiliser que les revenus issus de celles-ci. / Toutefois, par dérogation aux dispositions du premier alinéa du I et de l'alinéa précédent, les statuts peuvent fixer les conditions dans lesquelles la dotation en capital peut être consommée. ".

13. L'exonération résultant des dispositions analysées aux points 2 à 4 ci-dessus ne saurait être refusée à une fondation établie en Suisse qui apporte la preuve qu'elle pourrait bénéficier, si elle était établie en France, de l'exonération d'impôt sur les sociétés reconnue aux fonds de dotation dont les statuts ne prévoient pas la possibilité de consommer la dotation en capital. Il appartient, à cette fin, à cette fondation d'établir que sa gestion présente un caractère désintéressé, qu'elle affecte de manière irrévocable ses biens, droits ou ressources à la réalisation d'activités d'intérêt général et à but non lucratif ou les redistribue pour assister une personne morale à but non lucratif dans l'accomplissement de ses activités d'intérêt général et que ses statuts ne prévoient pas la possibilité de consommer sa dotation en capital. Lorsqu'elle affecte ses ressources à une autre personne morale, il lui appartient également d'établir, d'une part, que la gestion de cette autre personne morale présente un caractère désintéressé et, d'autre part, que les services que cette autre personne morale rend ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ou, si elle intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, qu'elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et, à tout le moins, des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'elle offre.

14. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la fondation requérante se bornait à soutenir en appel que la fondation Pro-Senectute, à laquelle elle affecte une partie des ressources dont elle dispose, a pour objet de maintenir et d'améliorer le bien-être des personnes âgées, sans apporter aucune précision quant à la nature et aux conditions dans lesquelles les prestations sont fournies par cette dernière. Il résulte de ce qui a été dit au point 13 ci-dessus que la cour n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis en jugeant que la fondation requérante n'établissait pas qu'elle affecte de manière irrévocable les ressources des loyers perçus à des activités d'intérêt général.

Sur les motifs de l'arrêt attaqué relatifs à la convention conclue entre la France et la Suisse :

15. Aux termes de l'article 26 de la de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 : " 1. Les nationaux d'un Etat contractant ne sont soumis dans l'autre Etat contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre Etat se trouvant dans la même situation (...) 2. Le terme " nationaux " désigne pour chaque Etat contractant : a) toutes les personnes physiques qui possèdent la nationalité de cet Etat ; b) toutes les personnes morales, sociétés de personnes et associations constituées conformément à la législation dudit Etat (...). ". Au regard de ces stipulations, une fondation établie en Suisse qui n'apporte pas la preuve qu'elle pourrait bénéficier, si elle était établie en France, de l'exonération d'impôt sur les sociétés reconnue aux fondations reconnues d'utilité publique et aux fonds de dotation, ne se trouve pas, du point de vue de ces exonérations, dans la même situation qu'une fondation reconnue d'utilité publique ou qu'un fonds de dotation établis en France. Il résulte de ce qui est dit aux points 10 et 14 ci-dessus que la fondation requérante n'apportait pas cette preuve. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la fondation requérante n'était pas fondée à se prévaloir des stipulations citées ci-dessus.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la fondation requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la fondation Jean et Lili Delaby est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la fondation Jean et Lili Delaby et au ministre de l'action et des comptes publics.


Voir aussi