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Ariane Web: Conseil d'État 393258, lecture du 14 juin 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:393258.20170614

Décision n° 393258
14 juin 2017
Conseil d'État

N° 393258
ECLI:FR:CECHS:2017:393258.20170614
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
Mme Suzanne Von Coester, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du mercredi 14 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le syndicat viticole AOC Languedoc, le syndicat viticole AOC Clairette du Languedoc, Mme F...D..., M. E...C..., M. et Mme A...B...et l'association Protection de Fontès et de son environnement ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 mai 2010 par lequel le préfet de l'Hérault a autorisé la société Languedoc Roussillon Matériaux à exploiter une carrière à ciel ouvert de basalte au lieu-dit " Le Péchet " sur le territoire de la commune de Fontès. Par un jugement nos 1004672, 1004927, 1004928 du 9 octobre 2012, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 12MA04547 du 7 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du syndicat viticole AOC Languedoc, annulé ce jugement et annulé l'arrêté du 11 mai 2010.

1° Sous le n° 393258, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 7 septembre et 7 décembre 2015, la société Languedoc Roussillon Matériaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du syndicat viticole AOC Languedoc ;

3°) de mettre à la charge du syndicat viticole AOC Languedoc une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 393287, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 8 septembre 2015 et 27 avril 2017, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 7 juillet 2015 de la cour administrative d'appel de Marseille ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du Syndicat viticole AOC Languedoc.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société Languedoc Roussillon Materiaux, à la SCP Didier, Pinet, avocat du syndicat viticole AOC Languedoc, de la commune de Fontès et de la société Cave coopérative agricole de vinification la Fontesole et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la société Coopérative agricole de vinification la Fontesole.



1. Considérant que les pourvois de la société Languedoc Roussillon Matériaux et du ministre chargé de l'environnement, de l'énergie et de la mer sont dirigés contre le même arrêt ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 123-6 du code de l'environnement, relatif aux enquêtes publiques portant sur les opérations susceptibles d'affecter l'environnement, dans sa rédaction alors applicable : " Le dossier soumis à l'enquête publique comprend les pièces suivantes (...) : / I. Lorsque l'opération n'est pas soumise à décision d'autorisation ou d'approbation : / (...) 8° Lorsqu'ils sont rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire, les avis émis par une autorité administrative sur le projet d'opération (...) / II. - Lorsque l'opération est soumise à décision d'autorisation ou d'approbation : / 1° Le dossier prévu par la réglementation relative à l'opération projetée ; / 2° Les pièces visées aux 2°, 7° et 8° du I ci-dessus. " ; qu'aux termes de l'article L. 512-6 du même code, applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à autorisation : " Dans les communes comportant une aire de production de vins d'appellation d'origine, l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation consulte l'Institut national de l'origine et de la qualité. (...). " ; qu'aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 515-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Toute autorisation ou enregistrement d'exploitation de carrières est soumise, dans les vignobles classés appellation d'origine contrôlée, vin délimité de qualité supérieure, et dans les aires de production de vins de pays, à l'avis de l'Institut national de l'origine et de la qualité et de l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l'horticulture. " ; qu'il résulte de ces dispositions combinées que, lorsqu'un projet d'exploitation de carrières est situé dans une commune dont le territoire comporte des vignobles classés appellation d'origine contrôlée, vin délimité de qualité supérieure ou des aires de production de vins de pays, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) doit être consulté et son avis figurer au dossier soumis à l'enquête publique ;

3. Considérant toutefois que les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative ;

4. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Marseille a estimé que le défaut de production, dans le dossier d'enquête publique, de l'avis émis par l'INAO sur le projet de carrière de la société Languedoc Roussillon Matériaux avait entaché d'illégalité l'arrêté litigieux ; qu'elle s'est fondée sur la circonstance que cet avis, défavorable au projet en raison des nuisances susceptibles de résulter, pour l'activité viticole et l'oenotourisme, de l'exploitation de cette carrière, avait eu pour effet de nuire à l'information complète de la population, eu égard au public concerné par le projet, principalement constitué d'exploitants viticoles ;

5. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'avis émis par l'INAO le 16 novembre 2009 et reçu par le commissaire-enquêteur le 24 novembre, jour de la clôture de l'enquête publique, se fonde, pour émettre une opinion défavorable au projet, sur les risques de " mitage " du vignoble, d'atteintes au paysage et au système hydrique locaux du fait de l'exploitation du dôme de lave basaltique du " Péchet " ainsi que sur la génération de poussière et l'augmentation du trafic routier susceptibles d'en résulter ; que ces éléments étaient déjà portés à la connaissance du public par l'étude d'impact jointe au dossier d'enquête publique, qui évoque ces nuisances au titre des incidences du projet sur l'environnement et les activités humaines ; que le rapport du commissaire-enquêteur fait ainsi ressortir ces inconvénients et indique qu'ils ont été mis en avant, dans leurs observations, par plusieurs communes et riverains du projet au cours de l'enquête, y compris dans le cadre d'une pétition consacrée à l'impact sur la viticulture, ainsi que par la lettre d'observations adressée par le syndicat viticole AOC Languedoc au commissaire-enquêteur, aux termes de laquelle " les syndicats d'appellation, les vignerons ainsi que l'INAO s'opposent catégoriquement à ce projet " ; que, par suite, en estimant que l'absence de l'avis de l'INAO dans le dossier soumis à l'enquête publique avait eu pour effet de nuire à l'information complète des personnes intéressées par l'opération, la cour a entaché son arrêt de dénaturation des pièces du dossier ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, que la société Languedoc Roussillon Matériaux et le ministre chargé de l'environnement sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent ;

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Languedoc Roussillon Matériaux et de l'Etat qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du syndicat viticole AOC Languedoc, la somme de 3 000 euros à verser à la société Languedoc Roussillon Matériaux, au titre des mêmes dispositions ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 16 juin 2015 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : Le syndicat viticole AOC Languedoc versera à la société Languedoc Roussillon Matériaux une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du syndicat viticole AOC Languedoc et autres présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Languedoc Roussillon Matériaux, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et au syndicat viticole AOC Languedoc, premier dénommé, pour l'ensemble des défendeurs.