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Ariane Web: Conseil d'État 369311, lecture du 26 juin 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:369311.20170626

Décision n° 369311
26 juin 2017
Conseil d'État

N° 369311
ECLI:FR:CECHR:2017:369311.20170626
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Séverine Larere, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP BOULLEZ, avocats


Lecture du lundi 26 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Par une décision du 30 décembre 2015 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi enregistré sous le n° 369311, présenté par la société Euro Park Service venant aux droits de la société Cairnbulg Nanteuil et tendant à l'annulation de l'arrêt n° 11PA03449 du 11 avril 2013 de la cour administrative d'appel de Paris relatif aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle sur cet impôt, ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles la société a été assujettie au titre de l'exercice clos le 26 novembre 2004, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) Lorsqu'un Etat membre fait usage de la faculté offerte par le 1 de l'article 11 de la directive du 23 juillet 1990, y a-t-il place pour un contrôle des actes pris pour la mise en oeuvre de cette faculté au regard du droit primaire de l'Union européenne '

2°) En cas de réponse positive à la première question, les stipulations de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doivent elles être interprétées comme faisant obstacle à ce qu'une législation nationale, dans un but de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscale, subordonne le bénéfice du régime fiscal commun applicable aux fusions et opérations assimilées à une procédure d'agrément préalable en ce qui concerne les seuls apports faits à des personnes morales étrangères, à l'exclusion des apports faits à des personnes morales de droit national '

Par un arrêt C- 14/16 du 8 mars 2017, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 19 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Euro Park Service reprend les conclusions de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué, à ce qu'il fait droit à son appel et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par les mêmes moyens.


Vu les autres pièces du dossier, y compris les pièces visées par la décision du Conseil d'Etat du 30 décembre 2015 ;

Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive n° 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boullez, avocat de la societe Euro Park Service venant aux droits de Cairnbulg Nanteuil ;



Considérant ce qui suit :

1. La directive n° 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents vise à garantir que les opérations de restructuration de sociétés de différents Etats membres, telles que les fusions, les scissions, les apports d'actifs et les échanges d'actions, ne soient pas entravées par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des Etats membres. A cet effet, elle instaure un régime suivant lequel ces opérations ne peuvent pas, en elles-mêmes, donner lieu à une imposition. Les éventuelles plus-values afférentes à ces opérations peuvent, en principe, être imposées, mais seulement à la date où elles sont effectivement réalisées. L'article 4, paragraphe 1, de cette directive dispose ainsi que " La fusion ou la scission n'entraîne aucune imposition des plus-values qui sont déterminées par la différence entre la valeur réelle des éléments d'actif et de passif transférés et leur valeur fiscale. (...) ". Son article 11 énonce, toutefois, que " 1. Un Etat membre peut refuser d'appliquer tout ou partie des dispositions des titres II, III et IV ou en retirer le bénéfice lorsque l'opération de fusion, de scission d'apport d'actifs ou d'échange d'actions : a) a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscale ; le fait qu'une des opérations visées à l'article 1er n'est pas effectuée pour des motifs économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l'opération, peut constituer une présomption que cette opération a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscale ".

2. L'article 210 A du code général des impôts dispose, pour sa part, que : " 1. Les plus-values nettes et les profits dégagés sur l'ensemble des éléments d'actif apportés du fait d'une fusion ne sont pas soumis à l'impôt sur les sociétés. (...) . 3. L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que la société absorbante s'engage, dans l'acte de fusion, à respecter les prescriptions suivantes : (...) ". L'article 210 B du même code prévoit que : " (...) 3. Lorsque les conditions mentionnées au 1 ne sont pas remplies, les dispositions de l'article 210 A s'appliquent aux apports partiels d'actif et aux scissions sur agrément délivré dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies. / L'agrément est délivré lorsque, compte tenu des éléments faisant l'objet de l'apport : / a. L'opération est justifiée par un motif économique, se traduisant notamment par l'exercice par la société bénéficiaire de l'apport d'une activité autonome ou l'amélioration des structures, ainsi que par une association entre les parties ; / b. L'opération n'a pas comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales ; / c. Les modalités de l'opération permettent d'assurer l'imposition future des plus-values mises en sursis d'imposition. ". Enfin, l'article 210 C prévoit que : " 1. Les dispositions des articles 210 A et 210 B s'appliquent aux opérations auxquelles participent exclusivement des personnes morales ou organismes passibles de l'impôt sur les sociétés. / 2. Ces dispositions ne sont applicables aux apports faits à des personnes morales étrangères par des personnes morales françaises que si ces apports ont été préalablement agréés dans les conditions prévues au 3 de l'article 210 B. (...) ".

3. Dans l'arrêt du 8 mars 2017 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, d'une part, que, dans la mesure où l'article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents, n'opère pas une harmonisation exhaustive, le droit de l'Union permet d'apprécier la compatibilité d'une législation nationale au regard du droit primaire, alors que cette législation a été adoptée pour transposer en droit interne la faculté offerte par cette disposition de la directive et, d'autre part, que l'article 49 TFUE et l'article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale qui, dans le cas d'une opération de fusion transfrontalière, soumet l'octroi des avantages fiscaux applicables à une telle opération en vertu de cette directive, en l'occurrence le report de l'imposition des plus-values afférentes aux biens apportés à une société établie dans un autre Etat membre par une société française, à une procédure d'agrément préalable dans le cadre de laquelle le contribuable doit démontrer, pour obtenir cet agrément, que l'opération concernée est justifiée par un motif économique, qu'elle n'a pas comme objectif principal ou comme l'un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscale et que ses modalités permettent d'assurer l'imposition future des plus-values mises en report d'imposition, alors que, dans le cas d'une opération de fusion interne, un tel report est accordé sans que le contribuable ne soit soumis à une telle procédure.

4. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que les dispositions combinées du 2 de l'article 210 C et de l'article 210 B du code général des impôts, qui soumettent à une procédure d'agrément préalable les seuls apports faits à des personnes morales étrangères à l'exclusion des apports faits à des personnes morales françaises, instituent une discrimination contraire au droit de l'Union et qu'en écartant le moyen tiré de cette méconnaissance soulevé par la société Euro Park Service, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit. Il suit de là que la société Euro Park Service est fondée à demander l'annulation de cet arrêt.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus que l'administration ne pouvait se fonder sur les dispositions combinées du 2 de l'article 210 C et de l'article 210 C du code général des impôts pour procéder aux redressements en litige. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, la société Euro Park Service est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de l'Etat, pour l'ensemble de la procédure, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt n° 11PA03449 de la cour administrative d'appel de Paris du 11 avril 2013 et le jugement n° 0901424 du tribunal administratif de Paris du 6 juillet 2011 sont annulés.
Article 2 : La société Euro Park Services venant aux droits de la société Cairnbulg Nanteuil est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle sur cet impôt, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 26 novembre 2004.
Article 3 : L'Etat versera à la société Euro Park Service une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Société Euro Park Service et au ministre de l'action et des comptes publics.