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Ariane Web: Conseil d'État 411578, lecture du 28 juin 2017, ECLI:FR:CEORD:2017:411578.20170628

Décision n° 411578
28 juin 2017
Conseil d'État

N° 411578
ECLI:FR:CEORD:2017:411578.20170628
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mercredi 28 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil du commerce de France, l'association Perifem et l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2017-918 du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Les requérants soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors qu'ils justifient d'un intérêt à agir contre un décret qui lèse directement les intérêts des professionnels dont ils assurent la représentation ;
- la condition d'urgence est remplie, eu égard, en premier lieu, au court délai entre la date d'entrée en vigueur du décret et la date du 1er juillet 2017 fixée pour la production, par les opérateurs concernés, du plan d'actions et du rapport d'études énergétiques mentionnés dans le nouvel article R. 131-46 du code de la construction et de l'habitation, en deuxième lieu, à l'obligation d'engager rapidement des travaux pour respecter l'échéance du 1er janvier 2020 fixée par l'article R. 131-38 du même code, qui porte une atteinte grave et immédiate à leurs intérêts financiers en raison des coûts importants induits par ces travaux et de la fermeture des bâtiments qu'elle induira, en troisième lieu, à l'influence immédiate sur les transactions immobilières du non-respect de l'échéance du 1er juillet 2017 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 111-10-3 du code de la construction et de l'habitation, dont il résulte qu'un décret publié en 2017 ne pouvait porter que sur la décennie 2030-2040, alors que le décret attaqué comporte des obligations pour la décennie 2020-2030, et même des obligations applicables dès 2017 ;
- il méconnaît le principe de sécurité juridique en ce qu'il n'a pas prévu des délais permettant l'adaptation matérielle et financière des entreprises concernées à la nouvelle réglementation ;
- il méconnaît le principe d'égalité en ce qu'il crée une différence de traitement entre les bâtiments visés par le décret et ceux qui en sont exclus alors qu'ils appartiennent tous au secteur tertiaire, sans que cette différence soit justifiée par une différence de situation, un motif d'intérêt général ou qu'elle soit en rapport avec les objectifs fixés par les dispositions législatives ;
- il méconnaît le champ des dispositions de l'article L. 111-10-3 du code de la construction et de l'habitation en ce qu'il exclut de son champ d'application, en raison de leur destination, un certain nombre de bâtiments du secteur tertiaire, pourtant visé dans son ensemble par les dispositions législatives ;
- il méconnaît les dispositions du même article, qui impose une modulation des travaux, en ce qu'il ne tient pas compte des différences d'efforts qu'implique un même objectif de réduction de l'efficacité énergétique en fonction de la nature, de l'usage et de la destination du bâtiment ;
- il méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme en instaurant des règles dépourvues de clarté, eu égard, d'une part, à l'emploi des termes de " m2 utile ", d'" énergie primaire ", et de travaux réalisés " concomitamment " par le propriétaire bailleur du bâtiment et le preneur, et d'autre part, à la possibilité de choisir comme valeur de référence la dernière consommation connue avant la réalisation de travaux, alors que la preuve du niveau de la consommation est, sur ce point, très difficile à apporter.


Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2017, le ministre de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 ;
- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;
- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Conseil du commerce de France, l'association Perifem et l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie, d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de la cohésion des territoires ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 28 juin 2017 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du Conseil du commerce de France, de l'association Perifem et de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie ;

- les représentants du ministre de la cohésion des territoires ;


et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant que l'article 3 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement a introduit dans le code de la construction et de l'habitation un article L. 111-10-3, aux termes duquel : " Des travaux d'amélioration de la performance énergétique sont réalisés dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s'exerce une activité de service public dans un délai de huit ans à compter du 1er janvier 2012. / Un décret en Conseil d'Etat détermine la nature et les modalités de cette obligation de travaux, notamment les caractéristiques thermiques ou la performance énergétique à respecter, en tenant compte de l'état initial et de la destination du bâtiment, de contraintes techniques exceptionnelles, de l'accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite ou de nécessités liées à la conservation du patrimoine historique. Il précise également les conditions et les modalités selon lesquelles le constat du respect de l'obligation de travaux est établi et publié en annexe aux contrats de vente et de location " ; que l'article 17 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a complété le premier alinéa de l'article L. 111-10-3 pour prévoir que l'obligation de rénovation " est prolongée par périodes de dix ans à partir de 2020 jusqu'en 2050 avec un niveau de performance à atteindre renforcé chaque décennie, de telle sorte que le parc global concerné vise à réduire ses consommations d'énergie finale d'au moins 60 % en 2050 par rapport à 2010, mesurées en valeur absolue de consommation pour l'ensemble du secteur " ; qu'il a également complété le second alinéa de l'article L. 111-10-3 en précisant que l'obligation de travaux dont le décret en Conseil d'Etat doit déterminer la nature et les modalités est " applicable chaque décennie " et que " le décret en Conseil d'Etat applicable pour la décennie à venir est publié au moins cinq ans avant son entrée en vigueur " ;

3. Considérant que le décret d'application de l'article L. 111-10-3, dont le Conseil du commerce de France, l'association Perifem et l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie demandent la suspension, a été pris le 9 mai 2017 ; que ce décret a créé, dans le chapitre I du titre III du livre Ier de la partie réglementaire du code de la construction et de l'habitation, une section 8, intitulée " Obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments à usage tertiaire ", comprenant les articles R. 131-38 à R. 131-50 ;

4. Considérant que l'article R. 131-42 du code de la construction et de l'habitation impose la réalisation, dans l'ensemble des bâtiments entrant dans le champ d'application du nouveau dispositif - bureaux, hôtels, commerces, établissements d'enseignement et bâtiments administratifs, dès lors qu'ils regroupent des locaux d'une surface supérieure ou égale à 2 000 m2 de surface utile - d'une étude énergétique destinée à évaluer les actions à entreprendre pour atteindre les objectifs de réduction de la consommation énergétique fixés par l'article R. 131-39 ; que l'article R. 131-43 impose que le prestataire chargé de la réalisation de l'étude énergétique satisfasse à des critères relatifs notamment à son expérience professionnelle, son niveau d'études et ses références ; que le I de l'article R. 131-44 prévoit que les propriétaires occupants ou, dans le cas des locaux pris à bail, les bailleurs et preneurs concomitamment, définissent et mettent en oeuvre, sur la base des résultats de l'étude énergétique, un plan d'actions permettant d'atteindre les objectifs de réduction des consommations énergétiques ; que l'article R. 131-45 permet aux personnes concernées, si l'étude énergétique révèle que le plan d'actions envisagé présente un temps de retour sur investissement trop long ou un coût trop élevé, de définir un nouveau plan d'action sur la base d'un nouvel objectif de diminution des consommations énergétiques ; qu'en vertu de l'article R.131-49, dans le cas d'un changement de propriétaire ou de preneur, l'ancien propriétaire ou l'ancien preneur doit fournir au propriétaire, au plus tard lors de la cession du bâtiment ou à l'échéance du bail, le rapport d'étude énergétique et le plan d'actions ;

5. Considérant que l'article R. 131-46 du code de la construction et de l'habitation impose aux propriétaires occupants ou, dans le cas de locaux pris à bail, aux bailleurs et preneurs concomitamment, de transmettre à un organisme désigné par le ministre en charge de la construction, avant le 1er juillet 2017, les rapports d'études énergétiques conformes aux dispositions de l'article R. 131-42 et le plan d'actions visés au I de l'article R. 131-44 ainsi, le cas échéant, que le nouveau plan d'actions et le nouvel objectif de consommation énergétique déterminés conformément à l'article R. 131-45 ;

6. Considérant, d'une part, que le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaît le principe de sécurité juridique, en tant qu'il implique, à l'article R. 131-46, que les rapports d'étude énergétique et les plans d'actions soient élaborés avant le 1er juillet 2017, est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ces dispositions, compte tenu du très bref délai ainsi laissé aux opérateurs concernés ; qu'au demeurant, à la date de la présente ordonnance, l'arrêté interministériel qui, aux termes de l'article R. 131-50, doit notamment préciser le contenu et les modalités de réalisation des études énergétiques n'a pas encore été pris ; que n'est pas davantage intervenue la désignation par le ministre de l'organisme auquel doivent être adressés ces documents ;

7. Considérant, d'autre part, que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant et aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il est avéré, à la date de la présente ordonnance, et dès lors que n'a pas été pris l'arrêté prévu à l'article R. 131-50, que le délai fixé par l'article R. 131-46 du code de la construction et de l'habitation est impossible à respecter et que les acteurs économiques des secteurs représentés par les associations requérantes ne pourront donc se conformer à cette obligation ; que si la méconnaissance de ce délai n'est pas assortie de sanctions administratives ou pénales, elle risque, notamment, de porter atteinte au bon déroulement des transactions immobilières engagées à compter du 1er juillet 2017, compte tenu des obligations imposées par l'article R. 131-49 et, ainsi, de préjudicier de manière grave et immédiate aux intérêts des entreprises concernées ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, dès à présent, de suspendre l'exécution du décret attaqué en tant qu'il comporte, à l'article R. 131-46 du code de la construction et de l'habitation nouvellement créé, les mots " avant le 1er juillet 2017, " ; qu'il est sursis à statuer sur les autres conclusions de la requête pour permettre la poursuite de l'instruction de l'affaire ;


O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution du décret du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire est suspendue en tant qu'il comporte, à l'article R. 131-46 du code de la construction et de l'habitation, les mots " avant le 1er juillet 2017, ".
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les autres conclusions de la requête.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au Conseil du commerce de France, à l'association Perifem et à l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de la cohésion des territoires.