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Ariane Web: Conseil d'État 399024, lecture du 7 juillet 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:399024.20170707

Décision n° 399024
7 juillet 2017
Conseil d'État

N° 399024
ECLI:FR:CECHR:2017:399024.20170707
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public


Lecture du vendredi 7 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 27 juin 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur une requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe n° 70 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-IS-AUT-30-20160302 formée par l'Association française des entreprises privées (AFEP) et les sociétés Axa, Compagnie générale des établissements Michelin, Danone, Engie, Eutelsat Communications, LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton, Orange, Sanofi, Suez Environnement Company, TechnipFMC plc, Total, Vivendi, Eurazeo, Safran, Scor SE, Unibail-Rodamco SE et Zodiac Aerospace, à l'appui de laquelle les requérants avaient présenté une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, a, en premier lieu, jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, en deuxième lieu, saisi la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles portant sur la conformité de l'imposition prévue à l'article 235 ter ZCA à la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents et, enfin, sursis à statuer sur la requête de l'AFEP et autres, y compris sur la recevabilité des interventions des sociétés Apsis et Parfininco, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions qui lui étaient posées.

Par un arrêt C-365/16 du 17 mai 2017, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.

Par deux mémoires, enregistrés les 19 mai et 13 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'AFEP, les sociétés mentionnées ci-dessus, ainsi que les sociétés Arkema, Bouygues, Capgemini, Compagnie de Saint-Gobain, Compagnie Plastic Omnium, Elior Group, FFP, Financière Pinault, Groupe Eurotunnel SE, Iliad, JCDecaux, Kering, Korian, l'Air liquide, Motier, Nexity, Pernod Ricard, Rémy Cointreau, Rexel, SEB, Sequana, Siemens France Holding, Thales, Vinci et Wendel demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts.




Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 27 juin 2016 ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011, modifiée par la directive 2014/861/UE du 8 juillet 2014 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 ;
- l'arrêt C-365/16 du 17 mai 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. À l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe n° 70 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-IS-AUT-30-20160302, l'Association française des entreprises privées (AFEP) et les sociétés requérantes ont soulevé, par deux mémoires enregistrés les 22 avril et 27 mai 2016, une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts sont contraires aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques découlant des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en raison de la discrimination à rebours que crée leur incompatibilité avec les dispositions de la directive du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents.

2. Aux termes du premier alinéa du I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, applicable au présent litige : " Les sociétés ou organismes français ou étrangers passibles de l'impôt sur les sociétés en France, à l'exclusion des organismes de placement collectif mentionnés au II de l'article L. 214-1 du code monétaire et financier ainsi que de ceux qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité sont assujettis à une contribution additionnelle à cet impôt au titre des montants qu'ils distribuent au sens des articles 109 à 117 du présent code ".

3. Par la décision n° 399024 du 27 juin 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a jugé que les questions de savoir si l'article 4 de la directive du 30 novembre 2011, notamment son paragraphe 1, sous a), s'opposait à une imposition telle que celle prévue à l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, qui est perçue à l'occasion de la distribution de bénéfices par une société passible de l'impôt sur les sociétés en France et dont l'assiette est constituée par les montants distribués et, en cas de réponse négative à la première question, si une imposition telle que celle prévue à l'article 235 ter ZCA du code général des impôts devait être regardée comme une " retenue à la source ", dont étaient exonérés les bénéfices distribués par une filiale en vertu de l'article 5 de la directive, soulevaient une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne et qu'il y avait lieu de les poser à la Cour de justice de l'Union européenne et de surseoir à statuer sur la requête de l'AFEP et autres.

4. Par la même décision, le Conseil d'Etat a jugé que, tant que l'interprétation des articles 4 et 5 de la directive n'aurait pas conduit le juge à écarter l'application des dispositions de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts aux redistributions de bénéfices reçus par une société mère française d'une filiale établie dans l'Union européenne relevant du régime mère-fille prévu par la directive, aucune différence dans le traitement fiscal des distributions n'était susceptible d'en résulter au détriment des redistributions par une société mère française de bénéfices de filiales françaises ou établies dans des Etats tiers à l'Union européenne et qu'ainsi, en l'état, la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ne pouvait être regardée comme revêtant un caractère sérieux justifiant qu'elle soit renvoyée au Conseil constitutionnel. Le Conseil d'Etat a enfin jugé que, dans le cas où, à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, les requérants présenteraient à nouveau la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, l'autorité de la chose jugée par la décision du 27 juin 2016 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux ne ferait pas obstacle au réexamen de la conformité à la Constitution du I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts.

5. Par l'arrêt du 17 mai 2017, Association française des entreprises privées e.a., la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, sous a) de la directive " mère-fille " devait être interprété en ce sens qu'il s'opposait à une mesure fiscale prévue par l'Etat membre d'une société mère, telle que celle prévue à l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, " prévoyant la perception d'un impôt à l'occasion de la distribution des dividendes par la société mère et dont l'assiette est constituée par les montants des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non-résidentes de cette société ".

6. Par un mémoire distinct, l'AFEP et autres soulèvent à nouveau la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts sont contraires aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques découlant des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en raison de la discrimination à rebours que crée leur incompatibilité avec l'article 4 de la directive du 30 novembre 2011.

7. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

8. Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne mentionné au point 5 ci-dessus que les dispositions précitées de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts ne peuvent être appliquées aux bénéfices redistribués par une société mère provenant d'une filiale établie dans un Etat de l'Union européenne autre que la France relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011 mais peuvent, en revanche, être appliquées à l'ensemble des autres bénéfices redistribués par cette société mère. Ces dispositions, telles qu'elles doivent être appliquées à la lumière de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, créent ainsi une différence de traitement entre les sociétés mères, selon que les bénéfices qu'elles redistribuent proviennent ou non de filiales relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011. Ces dispositions sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques découlant des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 présente un caractère sérieux. Toutefois, par sa décision n° 399757 du 7 juillet 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la même question prioritaire de constitutionnalité, posée par la société SOPARFI. Par suite, en application de l'article R. 771-18 du code de justice administrative, il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'AFEP et autres.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'AFEP et autres.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association française des entreprises privées et au ministre de l'action et des comptes publics. Les autres requérants seront informés de la présente décision par le cabinet Sullivan, Cromwell LLP ou le cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, qui les représentent devant le Conseil d'Etat.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.