Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 399757, lecture du 7 juillet 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:399757.20170707

Décision n° 399757
7 juillet 2017
Conseil d'État

N° 399757
ECLI:FR:CECHR:2017:399757.20170707
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public


Lecture du vendredi 7 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par trois mémoires, enregistrés les 1er et 23 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société de participations financière (SOPARFI) demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes nos 1 et 70 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-IS-AUT-30-20160504, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011, modifiée par la directive 2014/86/UE du 8 juillet 2014 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 ;
- l'arrêt C-365/16 du 17 mai 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du premier alinéa du I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, applicable au présent litige : " Les sociétés ou organismes français ou étrangers passibles de l'impôt sur les sociétés en France, à l'exclusion des organismes de placement collectif mentionnés au II de l'article L. 214-1 du code monétaire et financier ainsi que de ceux qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité sont assujettis à une contribution additionnelle à cet impôt au titre des montants qu'ils distribuent au sens des articles 109 à 117 du présent code ".

3. Par l'arrêt du 17 mai 2017, Association française des entreprises privées e.a., rendu à la suite d'une saisine par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, sous a) de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, telle que modifiée par la directive 2014/86/UE du Conseil, du 8 juillet 2014, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une mesure fiscale prévue par l'Etat membre d'une société mère, telle que celle prévue à l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, " prévoyant la perception d'un impôt à l'occasion de la distribution des dividendes par la société mère et dont l'assiette est constituée par les montants des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non-résidentes de cette société ".

4. La société SOPARFI soulève une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions précitées de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts. Ces dispositions sont applicables au présent litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Sur l'interprétation des dispositions précitées de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts :

5. Dans un mémoire complémentaire à l'appui de sa demande d'annulation des paragraphes nos 1 et 70 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-IS-AUT-30-20160504, la société SOPARFI soutient que ces dispositions doivent être lues comme ne s'appliquant pas aux bénéfices en provenance de ses filiales redistribués par une société mère, que ces filiales soient situées en France, dans un autre pays de l'Union européenne, ou dans un Etat tiers à l'Union européenne.

6. Elle soutient, à titre principal, que cette lecture résulte directement de ce qu'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt mentionné au point 3. Il ressort des motifs de la décision n° 399024 du 27 juin 2016 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, que la question posée à la Cour de justice de l'Union européenne portait sur le point de savoir si les dispositions de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts devaient être regardées comme incompatibles avec la directive du 30 novembre 2011 en tant qu'elles ne prévoyaient pas de règles spécifiques pour les redistributions de bénéfices reçus par une société mère française d'une filiale établie dans l'Union européenne relevant du régime mère-fille prévu par la directive. En réponse à cette question, la Cour a jugé, dans l'arrêt mentionné au point 3, que la contribution prévue à l'article 235 ter ZCA du code général des impôts ne pouvait être appliquée aux bénéfices redistribués par une société mère en provenance d'une filiale établie dans l'Union européenne relevant du régime mère-fille au sens de la directive du 30 novembre 2011. Elle n'a, en revanche, pas entendu juger que cette taxe ne pouvait être appliquée aux bénéfices redistribués par cette société mère en provenance d'une filiale résidente de France ou d'un Etat tiers à l'Union européenne.

7. La société SOPARFI soutient, à titre subsidiaire, qu'à supposer même que la Cour de justice de l'Union européenne ne se soit prononcée que sur la question des bénéfices redistribués par une société mère en provenance de ses filiales entrant dans le champ de la directive du 30 novembre 2011, il y a lieu, afin d'assurer sa conformité avec cette directive, d'adopter une interprétation de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts selon laquelle il ne vise pas les redistributions par une société mère de bénéfices provenant de ses filiales, quel que soit l'Etat dans lequel ces dernières sont situées. Il résulte, toutefois, des termes mêmes de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, qui n'a pas été adopté pour la transposition de la directive et qui prévoit que la contribution s'applique aux montants distribués " au sens des articles 109 à 117 " du code général des impôts, qu'il n'établit aucune distinction selon l'origine des bénéfices distribués, notamment selon qu'ils correspondent ou non à des bénéfices en provenance des filiales de la société distributrice.

8. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la société SOPARFI, les dispositions de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts citées au point 2 ne peuvent être appliquées aux bénéfices redistribués par une société mère provenant d'une filiale établie dans un pays de l'Union européenne autre que la France relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011, mais peuvent, en revanche, être appliquées à l'ensemble des autres bénéfices distribués par cette société mère.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

9. D'une part, les dispositions de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, qui doivent être lues ainsi qu'il est jugé au point 8, créent une différence de traitement entre les sociétés mères, selon que les bénéfices qu'elles redistribuent proviennent ou non de filiales relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011. Le moyen tiré de ce qu'elles portent ainsi atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques découlant des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 présente un caractère sérieux. D'autre part, le moyen tiré de ce que ces mêmes dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, au motif que, en tout état de cause, sont imposables les dividendes distribués par la société provenant de son propre profit d'exploitation, soulève également une question qui présente un caractère sérieux. Il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.


D E C I D E :
--------------

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du premier alinéa du I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société SOPARFI jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Société de participations financière, au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.