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Ariane Web: Conseil d'État 400112, lecture du 10 juillet 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:400112.20170710

Décision n° 400112
10 juillet 2017
Conseil d'État

N° 400112
ECLI:FR:CECHR:2017:400112.20170710
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Stéphane Hoynck, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du lundi 10 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mai 2016 et 12 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société civile des éditeurs de langue française (SCELF) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le 4° de l'article 19 de la délibération n° 2015/CA/19 du 26 novembre 2015 modifiant le règlement général des aides financières du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ainsi que la décision implicite par laquelle le CNC a rejeté son recours gracieux contre cette disposition ;

2°) de mettre à la charge du CNC la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Stéphane Hoynck, maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Centre national du cinéma et de l'image animée ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que les règles de quorum prévues par l'article R. 112-8 du code du cinéma et de l'image animée ont été respectées lors de la séance du 26 novembre 2015 au cours de laquelle a été adoptée la délibération litigieuse. En outre, les membres du conseil d'administration du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ayant siégé lors de cette séance ont été convoqués par courriel du 12 août 2015, sans qu'aucun texte ne précise les conditions d'une telle convocation. Ainsi, les moyens tirés des irrégularités qui entacheraient cette délibération ne peuvent qu'être écartés.

2. Aux termes, d'une part, de l'article L 111-2 du code du cinéma et de l'image animée : " Le Centre national du cinéma et de l'image animée a pour missions :/ ... 2° De contribuer, dans l'intérêt général, au financement et au développement du cinéma et des autres arts et industries de l'image animée et d'en faciliter l'adaptation à l'évolution des marchés et des technologies. A cette fin, il soutient, notamment par l'attribution d'aides financières :/ a) La création, la production, la distribution, la diffusion et la promotion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles et des oeuvres multimédia, ainsi que la diversité des formes d'expression et de diffusion cinématographique, audiovisuelle et multimédia et la formation professionnelle ... ". D'autre part, l'article 311-1 du règlement général des aides financières du CNC dispose que : " Des aides financières sont attribuées sous forme automatique et sous forme sélective au sens des articles D. 311-2 et D. 311-3 du code du cinéma et de l'image animée, afin de soutenir la production et la préparation des oeuvres audiovisuelles ". L'article 311-5 du même règlement rend éligibles à ces aides les oeuvres audiovisuelles appartenant au genre "animation ". Ces dernières bénéficient ainsi des " aides financières automatiques ", sous forme d'" allocations d'investissement ", instituées par l'article 311-26, qui permettent aux entreprises de production bénéficiaires d'investir ces sommes dans les dépenses énumérées à l'article 311-74. Leur montant est calculé en utilisant le coefficient défini par l'article 311-45, qui est déterminé notamment en fonction du montant de dépenses réalisées entrant dans les catégories définies à l'article 311-43, dites "dépenses horaires françaises ", parmi lesquelles figurent notamment les rémunérations et charges sociales des auteurs et les dépenses liées à l'acquisition de droits artistiques. Toutefois, s'agissant des aides accordées au genre " animation ", la délibération dont le refus d'abrogation est attaqué a prévu que : " les dépenses liées à l'acquisition des droits d'adaptation d'une oeuvre préexistante sont prises en compte au titre des dépenses horaires françaises dans la limite de 10 000 ? par heure ".

3. La société requérante soutient que ce plafond de 10 000 euros méconnaît le principe d'égalité, en traitant différemment les oeuvres d'animation qui adaptent une oeuvre préexistante, telle que celles qui sont éditées par les membres de la société requérante, et les oeuvres d'animation qui font l'objet d'une écriture originale, dont les dépenses correspondantes ne sont pas plafonnées pour ce calcul.

4. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

5. La disposition contestée, qui n'exclut pas les films d'animation issus de l'adaptation d'une oeuvre préexistante du régime d'aides financières automatiques, mais se borne à plafonner, en ce qui les concerne, dans la limite de 10 000 euros par heure, les droits d'acquisition pris en compte au titre des dépenses horaires françaises, ne trouve, par nature, pas à s'appliquer s'agissant des oeuvres audiovisuelles originales, qui ne nécessitent aucune dépense d'acquisition de droits d'adaptation d'une oeuvre préexistante. Elle répond à la différence de situation, au regard du risque économique couru par le producteur, qui existe entre les films issus de l'adaptation d'une oeuvre dont la notoriété justifie le versement de droits élevés, d'une part, et ceux qui sont issus de l'adaptation d'une oeuvre de moindre notoriété ou d'un scénario original, d'autre part. La différence de traitement résultant de ce plafond est, en outre, en rapport avec l'objet de la disposition adoptée par le CNC, qui tend à encourager la diversité des formes de création, et n'est pas manifestement disproportionnée au regard d'un tel objectif. Il suit de là que le moyen tiré de ce que cette mesure méconnaîtrait le principe d'égalité n'est pas fondé.

6. L'article L.113-7 du code de la propriété intellectuelle prévoit qu'ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre et que sont présumés coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration l'auteur du scénario, l'auteur de l'adaptation, l'auteur du texte parlé, l'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'oeuvre et le réalisateur. Si cet article dispose en outre que lorsque l'oeuvre audiovisuelle est tirée d'une oeuvre ou d'un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l'oeuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l'oeuvre nouvelle, cette disposition tend à garantir notamment que les auteurs de l'oeuvre existante bénéficieront de droits d'auteur au titre de l'oeuvre audiovisuelle et demeure sans incidence sur la légalité de la disposition litigieuse, qui contribue à définir l'intensité de l'aide accordée aux producteurs, sans remettre en cause l'assimilation au titre du droit d'auteur prévu par cette disposition.

7. Le moyen tiré de ce que la délibération serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société civile des éditeurs de langue française n'est pas fondée à demander l'annulation des dispositions contestées de la délibération du 26 novembre 2015 et du rejet de son recours gracieux. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à sa charge au même titre une somme de 2000 euros au titre des frais exposés par le CNC et non compris dans les dépens.




DECIDE :
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Article 1er : La requête de la société civile des éditeurs de langue française est rejetée.

Article 2 : La société civile des éditeurs de langue française versera la somme de 2000 euros au CNC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile des éditeurs de langue française et au centre national du cinéma et de l'image animé.