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Ariane Web: Conseil d'État 407269, lecture du 17 juillet 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:407269.20170717

Décision n° 407269
17 juillet 2017
Conseil d'État

N° 407269
ECLI:FR:CECHR:2017:407269.20170717
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Cécile Isidoro, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP ODENT, POULET, avocats


Lecture du lundi 17 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 27 avril et 31 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Easyvista demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 16VE01537 de la cour administrative d'appel de Versailles rejetant son appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 12 avril 2012 qui avait fait droit à sa demande tendant à la décharge des retenues à la source ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2008, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du c du I de l'article 182 B du code général des impôts.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société Easyvista ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années en litige : " I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : (...) c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France (...). II. Le taux de la retenue est fixé à 33 1/3 %. (...)".

3. La société Easyvista soutient, en premier lieu, que les dispositions du c du I de l'article 182 B du code général des impôts, applicables en matière d'impôt sur les sociétés, sont entachées d'incompétence négative, au regard de l'article 34 de la Constitution, en tant qu'elles ne précisent pas la nature juridique de la retenue à la source instituée, une telle méconnaissance par le législateur de sa propre compétence affectant le droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, le droit de propriété ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

4. Aux termes, toutefois, de l'article 219 quinquies du code général des impôts : " La retenue à la source perçue en application de l'article 182 B est imputable sur le montant de l'impôt sur les sociétés éventuellement exigible à raison des revenus qui l'ont supportée. ". Il en résulte qu'à l'inverse, lorsque les revenus en cause ne sont pas assujettis à l'impôt sur les sociétés parce que la société qui les perçoit n'exploite pas d'entreprise en France au sens de l'article 209 du même code, la retenue à la source constitue non pas un acompte de cet impôt mais une imposition distincte. La société requérante n'est, par suite et en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le législateur aurait insuffisamment précisé sa nature juridique.

5. La société Easyvista soutient, en deuxième lieu, que les dispositions du c du I de l'article 182 B du code général des impôts méconnaissent le principe d'égalité devant la loi fiscale.

6. Le principe constitutionnel d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. Pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose.

7. La société requérante soutient que les dispositions litigieuses introduisent une différence de traitement entre les sociétés non-résidentes qui sont soumises à une taxation dans leur pays d'établissement et qui peuvent imputer la retenue à la source sur celle-ci en application des conventions bilatérales d'élimination des doubles impositions, et celles qui ne sont pas soumises à une telle taxation.

8. Les dispositions litigieuses sont, toutefois, applicables à toutes les sociétés qui n'ont pas d'installations professionnelles permanentes en France dès lors qu'elles perçoivent des sommes en rémunération de prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. Elles n'instaurent donc, par elles-mêmes, aucune différence de traitement selon que ces sociétés sont ou non assujetties à l'impôt dans leur Etat de résidence.

9. La société requérante soutient également, à titre subsidiaire, que les dispositions litigieuses portent atteinte au principe d'égalité devant la loi fiscale en tant qu'elles soumettent à la retenue à la source des rémunérations brutes alors que les sociétés résidant en France ne sont imposées qu'à raison de leurs bénéfices.

10. Les dispositions de l'article 182 B visent à imposer des personnes physiques ou morales à l'égard desquelles l'administration fiscale ne dispose pas de moyens de contrôle dès lors qu'elles ne résident pas sur le territoire national. Dès lors, la différence de traitement instituée par le c du I de cet article qui met à la charge des bénéficiaires de prestations fournies ou utilisées en France par des sociétés qui n'y ont pas d'installation professionnelle permanente une retenue à la source portant sur la totalité des sommes qu'ils ont payées, sans que puissent être déduites de celles-ci les charges exposées par le prestataire à raison de cette opération, est en rapport direct avec l'objet de la loi.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invooquée par la société Easyvista.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Easyvista.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Easyvista et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.