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Ariane Web: Conseil d'État 408221, lecture du 19 juillet 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:408221.20170719

Décision n° 408221
19 juillet 2017
Conseil d'État

N° 408221
ECLI:FR:CECHR:2017:408221.20170719
Inédit au recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
M. Frédéric Pacoud, rapporteur
M. Charles Touboul, rapporteur public
HAAS, avocats


Lecture du mercredi 19 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 22 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2016-1797 du 20 décembre 2016 relatif aux modalités d'approbation par consultation des salariés de certains accords d'entreprise, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des quatrième et dernier alinéas de l'article L. 2232-12 du code du travail, des articles L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du même code et du cinquième alinéa du II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du travail ;
- le code rural et de la pêche maritime, notamment son article L. 514-3-1 ;
- l'article 21 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
- l'article 21 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;
- l'article 9 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de la Confédération générale du travail - Force ouvrière.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Le décret attaqué détermine les conditions de consultation des salariés pour l'approbation des accords d'entreprise prévus par les articles L. 2232-12, L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du code du travail. Par suite, les dispositions, seules critiquées, des quatrième et dernier alinéas de l'article L. 2232-12 du code du travail et des articles L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du même code sont applicables au présent litige. Il en va de même des dispositions du cinquième alinéa du II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime, relatif à la consultation des salariés pour l'approbation des accords d'établissement conclus au sein du réseau des chambres d'agriculture, qui prévoit des conditions d'application identiques à celles prévues pour l'application de l'article L. 2232-12 du code du travail. Ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

3. En premier lieu, la confédération requérante critique les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail et du cinquième alinéa du II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime, issus de l'article 21 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, qui prévoient que lorsque les salariés sont consultés sur un accord d'entreprise ou d'établissement signé par l'employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, à la demande d'une ou plusieurs organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages, la consultation " se déroule dans le respect des principes généraux du droit électoral et selon les modalités prévues par un protocole spécifique conclu entre l'employeur et les organisations signataires ". La question de savoir si ces dispositions, en réservant ainsi à l'employeur et aux organisations signataires de l'accord l'élaboration du protocole relatif aux modalités de la consultation des salariés visant à valider l'accord, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présente un caractère sérieux.

4. En deuxième lieu, la confédération requérante critique les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail, issu de l'article 21 de la loi du 8 août 2016, qui renvoient au pouvoir réglementaire la définition des conditions de la consultation des salariés organisée en application de cet article. Elle soutient que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence, dans des conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif des organisations représentatives et des salariés, en s'abstenant de préciser les voies de recours ouvertes en cas de désaccord sur les modalités d'organisation de la consultation, fixées par le protocole conclu entre l'employeur et les organisations syndicales signataires de l'accord soumis à la consultation des salariés. Toutefois, il résulte des articles 34 et 37 de la Constitution que les dispositions de la procédure à suivre devant les juridictions relèvent de la compétence réglementaire, dès lors qu'elles ne concernent pas la procédure pénale et qu'elles ne mettent pas en cause les règles ou les principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi. En ne fixant pas lui-même les conditions dans lesquelles le juge judiciaire peut être saisi d'une contestation portant sur les modalités d'organisation de la consultation des salariés, qui relèvent de la procédure civile, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux en tant qu'elle est dirigée contre le dernier alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail.

5. En dernier lieu, la confédération requérante critique les dispositions de l'article L. 2232-21-1 inséré dans le code du travail par l'article 21 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi et celles de l'article L. 2232-27 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'article 9 de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, qui prévoient que doivent avoir été approuvés par les salariés à la majorité des suffrages exprimés, dans des conditions déterminées par décret et dans le respect des principes généraux du droit électoral, d'une part, les accords signés, en application de l'article L. 2232-21 du même code, en l'absence de délégués syndicaux dans l'entreprise ou l'établissement ou de délégué du personnel désigné comme délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés, par un représentant élu du personnel au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel ou, à défaut, par un délégué du personnel mandaté, et, d'autre part, les accord signés, en application de l'article L. 2232-24 du même code, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, par un ou plusieurs salariés mandatés. La question de savoir si ces dispositions, en laissant le soin au pouvoir réglementaire de définir les conditions d'organisation de la consultation des salariés sur un accord d'entreprise ou d'établissement signé par un représentant élu du personnel au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel, par un délégué du personnel ou par un salarié mandaté, sont entachées d'incompétence négative, dans des conditions affectant les droits et libertés garantis par la Constitution, présente un caractère sérieux.

6. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée en tant qu'elle porte sur le quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail et sur le cinquième alinéa du II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime ainsi que sur les articles L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du code du travail. En revanche, le moyen tiré de ce que le dernier alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.


D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail, du cinquième alinéa du II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime et des articles L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du code du travail est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Confédération générale du travail - Force ouvrière en tant qu'elle porte sur le dernier alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de la Confédération générale du travail - Force ouvrière jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité mentionnée à l'article 1er de la présente décision.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail - Force ouvrière et à la ministre du travail.
Copie en sera adressée au Premier ministre.