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Ariane Web: Conseil d'État 408059, lecture du 21 juillet 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:408059.20170721

Décision n° 408059
21 juillet 2017
Conseil d'État

N° 408059
ECLI:FR:CECHS:2017:408059.20170721
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
Mme Marie Sirinelli, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du vendredi 21 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 16 mai et 30 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale de l'architecture et des maîtres d'oeuvre (UNAMO) demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du décret n° 2016-1738 du 14 décembre 2016 relatif à des dispenses de recours à un architecte, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 4 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture et de l'article L. 431-3 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction issue de l'article 82 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 ;
- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Union nationale de l'architecture et des maîtres d'oeuvre.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 3 de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture : " Quiconque désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation de construire doit faire appel à un architecte pour établir le projet architectural faisant l'objet de la demande de permis de construire, sans préjudice du recours à d'autres personnes participant, soit individuellement, soit en équipe, à la conception. Cette obligation n'exclut pas le recours à un architecte pour des missions plus étendues. / Le projet architectural mentionné ci-dessus définit par des plans et documents écrits l'implantation des bâtiments, leur composition, leur organisation et l'expression de leur volume ainsi que le choix des matériaux et des couleurs (...) ". Aux termes de l'article L. 431-1 du code de l'urbanisme : " Conformément aux dispositions de l'article 3 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, la demande de permis de construire ne peut être instruite que si la personne qui désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation a fait appel à un architecte pour établir le projet architectural faisant l'objet de la demande de permis de construire ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 3 janvier 1977, dans sa rédaction issue de l'article 82 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine : " Par dérogation à l'article 3 ci-dessus, ne sont pas tenues de recourir à un architecte les personnes physiques ou exploitations agricoles qui déclarent vouloir édifier ou modifier, pour elles-mêmes, une construction de faible importance dont les caractéristiques, et notamment la surface maximale de plancher, sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. Ces caractéristiques peuvent être différentes selon la destination des constructions. / (...) Pour les constructions édifiées ou modifiées par les personnes physiques, à l'exception des constructions à usage agricole, la surface maximale de plancher déterminée par ce décret ne peut être supérieure à 150 mètres carrés ". L'article L. 431-3 du code de l'urbanisme, également dans sa rédaction issue de l'article 82 de la loi du 7 juillet 2016, déroge dans les mêmes termes à l'article L. 431-1 de ce code.

4. L'Union nationale de l'architecture et des maîtres d'oeuvre soutient qu'en abaissant à 150 mètres carrés de surface de plancher le seuil au-dessous duquel les personnes physiques qui déclarent vouloir édifier ou modifier, pour elles-mêmes, une construction, à l'exception d'une construction à usage agricole, ne sont pas tenues de recourir à un architecte, les dispositions des articles 4 de la loi du 3 janvier 1977 et L. 431-3 du code de l'urbanisme, tels que modifiés par l'article 82 de la loi du 7 juillet 2016, portent une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre.

5. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

6. Il résulte des dispositions des articles 4 de la loi du 3 janvier 1977 et L. 431-3 du code de l'urbanisme, éclairées notamment par les travaux préparatoires de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine qui les a complétées, que le législateur a entendu encadrer la dérogation, consentie en faveur des constructions de faible importance, à l'obligation de faire appel à un architecte pour les travaux soumis à permis de construire, dans l'intérêt de la qualité des constructions et de leur insertion dans les paysages naturels ou urbains. Le législateur a ainsi, d'une part, dans le souci de la lisibilité et de l'intelligibilité du droit, déterminé un critère simple d'appréciation de la superficie des constructions en cause, en choisissant de se référer à leur surface de plancher, et, d'autre part, fixé le seuil maximal de superficie qui s'impose au pouvoir réglementaire.

7. Le législateur a ainsi poursuivi un but d'intérêt général. En fixant à 150 mètres carrés de surface de plancher le seuil maximal de la dérogation à l'obligation de recourir à un architecte, les dispositions législatives critiquées n'ont pas, au regard notamment de la surface moyenne de plancher des maisons individuelles faisant l'objet de permis de construire délivrés à des particuliers, porté à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de cet objectif.

8. Au surplus, contrairement à ce que soutient l'Union nationale de l'architecture et des maîtres d'oeuvre, les dispositions issues de l'article 82 de la loi du 7 juillet 2016 apportent une modification très limitée au seuil antérieurement en vigueur, fixé par l'article R. 431-2 du code de l'urbanisme à 170 mètres carrés, mais applicable, jusqu'au 1er mars 2012, à la surface de plancher hors oeuvre nette, notion plus large que celle de surface de plancher, et en dernier lieu, tant à la surface de plancher qu'à l'emprise au sol, définie comme la projection verticale du volume de la construction, tous débords et surplombs inclus, de la partie de la construction constitutive de surface de plancher.

9. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Union nationale de l'architecture et des maîtres d'oeuvre, le moyen tiré de ce que les dispositions des articles 4 de la loi du 3 janvier 1977 et L. 431-3 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction issue de l'article 82 de la loi du 7 juillet 2016, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Union nationale de l'architecture et des maîtres d'oeuvre.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale de l'architecture et des maîtres d'oeuvre et à la ministre de la culture.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de la cohésion des territoires.