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Ariane Web: Conseil d'État 395602, lecture du 23 octobre 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:395602.20171023

Décision n° 395602
23 octobre 2017
Conseil d'État

N° 395602
ECLI:FR:CECHR:2017:395602.20171023
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Marie Gautier-Melleray, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats


Lecture du lundi 23 octobre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 395602, par une requête, enregistrée le 28 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité de défense et de Soutien pour la protection de l'environnement et du cadre de vie aux Pennes Mirabeau (CDS Environnement Pennes Mirabeau) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-1369 du 28 octobre 2015 portant simplification des procédures d'établissement de certains ouvrages d'acheminement de l'électricité.

2° Sous le n° 395641, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 29 décembre 2015 et le 30 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Avenir Haute Durance et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-1369 du 28 octobre 2015 portant simplification des procédures d'établissement de certains ouvrages d'acheminement de l'électricité ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la société Réseau transport d'électricité ;



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes du CDS Environnement Pennes Mirabeau et de l'association Avenir Haute Durance et autres sont dirigées contre le même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe :

2. L'absence de mention, dans les visas du décret du 28 octobre 2015 portant simplification des procédures d'établissement de certains ouvrages d'acheminement de l'électricité, des dispositions du livre V du code de l'environnement est sans incidence sur sa la légalité. Au demeurant, ce décret n'a ni pour objet, ni pour effet de déroger aux dispositions du code de l'environnement relatives aux installations classées.

3. Les décrets du Premier ministre doivent être contresignés par les ministres qui seront compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de ces actes. L'article 1er du décret du 28 octobre 2015, qui dispense sous certaines conditions les projets de ligne électrique aérienne d'autorisation d'urbanisme n'appelle aucune mesure d'exécution et l'article 2, qui indique que les déclarations d'utilité publique de certains ouvrages du réseau d'alimentation générale en énergie électrique et de distribution d'électricité aux services publics de tension supérieure ou égale à 225 kV sont prononcées par le seul ministre chargé de l'électricité n'appelle de mesures d'exécution que de ce dernier ministre. Par suite, le moyen tiré de ce que l'absence de contreseing du ministre chargé de l'urbanisme entacherait le décret attaqué d'illégalité doit être écarté.

Sur la légalité interne :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 422-2 du code de l'urbanisme : " Par exception aux dispositions du a de l'article L. 422-1, l'autorité administrative de l'Etat est compétente pour se prononcer sur un projet portant sur : (...) /b) Les ouvrages de production, de transport, de distribution et de stockage d'énergie, ainsi que ceux utilisant des matières radioactives ; un décret en Conseil d'Etat détermine la nature et l'importance de ces ouvrages... ". Aux termes de l'article R*422-2 du même code : " Le préfet est compétent pour délivrer le permis de construire, d'aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable dans les communes visées au b de l'article L. 422-1 et dans les cas prévus par l'article L. 422-2 dans les hypothèses suivantes : (...) / b) Pour les ouvrages de production, de transport, de distribution et de stockage d'énergie lorsque cette énergie n'est pas destinée, principalement, à une utilisation directe par le demandeur... ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'avant l'entrée en vigueur du décret attaqué, les autorisations d'urbanisme que devaient obtenir les projets de ligne électrique aérienne visés par ce décret étaient délivrées par l'Etat et non par les communes. Par suite, en dispensant ces ouvrages d'autorisation d'urbanisme, le décret du 28 octobre 2015 n'a, en tout état de cause, pas porté atteinte aux compétences confiées aux communes par les dispositions législatives du code de l'urbanisme, ni au principe de libre administration des collectivités locales.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 421-5 du code de l'urbanisme : " Un décret en Conseil d'Etat arrête la liste des constructions, aménagements, installations et travaux qui, par dérogation aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4, sont dispensés de toute formalité au titre du présent code en raison : (...) d) Du fait que leur contrôle est exclusivement assuré par une autre autorisation ou une autre législation ". L'article 1er du décret contesté, pris sur le fondement de cette disposition, dispose que : " Lorsque le projet porte sur une ligne électrique aérienne et ses supports, l'approbation de projet d'ouvrage prévue au 1° de l'article L. 323-11 du code de l'énergie dispense de la déclaration préalable ou du permis de construire dès lors que sont prises en compte les règles du code de l'urbanisme applicables à ce projet ". L'article L. 323-11 du code de l'énergie prévoit que l'exécution des travaux de construction des ouvrages de transport et de distribution d'électricité déclarés d'utilité publique ne peut avoir lieu qu'après approbation du projet de détail des tracés par l'autorité administrative et que les ouvrages dont la tension maximale est supérieure à 50 kilovolts doivent faire l'objet d'une approbation par l'autorité administrative.

7. Dès lors que le décret attaqué a été pris sur le fondement de l'article L. 421-5 du code de l'urbanisme, par lequel le pouvoir législatif a autorisé le pouvoir réglementaire à écarter, sous certaines conditions, l'exigence d'autorisation d'urbanisme posée par les dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 du même code, les moyens tirés de ce que le décret attaqué violerait ces dernières dispositions et violerait le principe d'indépendance des législations ne sont, alors que les requérants ne soutiennent pas qu'il ne respecterait pas les conditions posées par l'article L. 421-5 précité, pas fondés.

8. En troisième lieu, il résulte des dispositions rappelées au point 6 que si le décret contesté modifie l'autorité compétente pour prononcer les déclarations d'utilité publique de certains ouvrages du réseau d'alimentation électrique, il n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les conséquences attachées aux déclarations d'utilité publique. Il n'a notamment pas pour effet de permettre sur le seul fondement d'une telle déclaration d'utilité publique la construction d'ouvrages électriques dès lors qu'une autorisation administrative préalable est nécessaire, ni de diminuer les garanties offertes aux personnes intéressées qui pourront, le cas échéant, contester devant le juge cette autorisation administrative, qui porte notamment sur le détail du tracé finalement retenu. En outre, si l'article 1er du décret attaqué a effectivement pour conséquence de modifier pour l'avenir les effets attachés aux autorisations administratives des ouvrages électriques visés par cette disposition, il ne s'applique qu'aux autorisations administratives délivrées après son entrée en vigueur. Ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'une rétroactivité illégale ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir présentée par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret attaqué.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'une part, de mettre à la charge du Comité de défense et de Soutien pour la protection de l'environnement et du cadre de vie aux Pennes Mirabeau la somme de 1 500 euros à verser à RTE, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, d'autre part, de mettre à la charge des associations Avenir Haute Durance, France Nature Environnement PACA et Les Hauts des Granes, des communes de Reallon, La Roche de Rame et la Bâtie la Neuve, de MM. K...L..., M...B..., I...A..., H...G..., D...F...et J...F...et P...C...E...et N...O... la somme globale de 1 500 euros à verser à RTE au titre des mêmes dispositions. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes du Comité de défense et de Soutien pour la protection de l'environnement et du cadre de vie aux Pennes Mirabeau et de l'association Avenir Haute Durance et autres sont rejetées.
Article 2 : Le Comité de défense et de Soutien pour la protection de l'environnement et du cadre de vie aux Pennes Mirabeau versera la somme de 1 500 euros à la société Réseau Transport d'Electricité au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les associations Avenir Haute Durance, France Nature Environnement PACA et Les Hauts des Granes, les communes de Reallon, La Roche de Rame et la Bâtie la Neuve, MM. K...L..., M...B..., I...A..., H...G..., D...F...et J...F...et C...E...et N...O...verseront la somme globale de 1 500 euros à la société Réseau Transport d'Electricité au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Comité de défense et de Soutien pour la protection de l'environnement et du cadre de vie aux Pennes Mirabeau, à l'association Avenir Haute Durance, première requérante dénommée sous le n° 395641, à la société Réseau Transport d'Electricité, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.