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Ariane Web: Conseil d'État 410165, lecture du 9 novembre 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:410165.20171109

Décision n° 410165
9 novembre 2017
Conseil d'État

N° 410165
ECLI:FR:CECHS:2017:410165.20171109
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public


Lecture du jeudi 9 novembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 28 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Pays de la Loire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis n° 2017-021 de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières du 1er mars 2017 relatif au projet de décision de la région Pays de la Loire d'interdiction des services déclarés par la société Eurolines sur la liaison entre Angers et Nantes ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité de réexaminer le projet de la région d'interdiction des services déclarés par la société Eurolines et d'émettre un nouvel avis dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision du Conseil d'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des transports ;
- le décret n° 85-891 du 16 août 1985 ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;




1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3111-17 du code des transports, issu de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " Les entreprises de transport public routier de personnes établies sur le territoire national peuvent assurer des services réguliers interurbains " ; qu'aux termes de l'article L. 3111-18 de ce code : " Tout service assurant une liaison dont deux arrêts sont distants de 100 kilomètres ou moins fait l'objet d'une déclaration auprès de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, préalablement à son ouverture. L'autorité publie sans délai cette déclaration. / Une autorité organisatrice de transport peut, après avis conforme de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, dans les conditions définies à l'article L. 3111-19, interdire ou limiter les services mentionnés au premier alinéa du présent article lorsqu'ils sont exécutés entre des arrêts dont la liaison est assurée sans correspondance par un service régulier de transport qu'elle organise et qu'ils portent, seuls ou dans leur ensemble, une atteinte substantielle à l'équilibre économique de la ligne ou des lignes de service public de transport susceptibles d'être concurrencées ou à l'équilibre économique du contrat de service public de transport concerné " ;

2. Considérant que la société Eurolines a déposé auprès de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, le 3 novembre 2016, deux déclarations portant sur un service régulier interurbain de transport par autocar entre Angers et Nantes, se substituant à deux déclarations précédentes déposées le 4 décembre 2015, visant à réaliser trois dessertes par jour depuis chacune de ces villes ; que la région Pays de la Loire a saisi l'Autorité d'un projet d'interdiction de ces services ; que, par un avis n° 2017-021 du 1er mars 2017, l'Autorité a émis un avis défavorable sur le projet d'interdiction de la région ; que la région Pays de la Loire demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet avis ;

Sur la légalité externe de l'avis attaqué :

3. Considérant que, selon l'article L. 1261-2 du code des transports : " Les propositions, avis et décisions de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières sont motivés et rendus publics, sous réserve des secrets protégés par la loi " ; que, contrairement à ce que soutient la région Pays de la Loire, l'avis contesté précise les raisons pour lesquelles l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières a émis un avis défavorable sur le projet de la région d'interdire les services déclarés par la société Eurolines ; que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'avis contesté ne peut qu'être écarté ;

Sur la légalité interne de l'avis attaqué :

4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3111-18 du code des transports que les autorités organisatrices de transport peuvent limiter ou interdire des services librement organisés de transport par autocar lorsque ceux-ci portent " une atteinte substantielle à l'équilibre économique de la ligne ou des lignes de service public de transport susceptibles d'être concurrencées " ; qu'aux termes de l'article R. 3111-48 du code des transports, dans sa version applicable au litige, le dossier adressé par l'autorité organisatrice de transport lorsqu'elle saisit l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières d'un projet de décision d'interdiction ou de limitation d'un service déclaré comprend, outre le projet de décision d'interdiction ou de limitation, : " 1° Le trafic connu ou les estimations motivées du trafic des prestations de service public susceptibles d'être concurrencées et les ressources générées ; ces données sont détaillées par groupe tarifaire si cette information est disponible ; / 2° Les données de comptage et la répartition horaire du trafic de la liaison concernée ; / 3° Le trafic, les revenus et la contribution publique relatifs au périmètre retenu par l'autorité organisatrice pour apprécier l'atteinte portée aux services qu'elle organise et, si elles sont disponibles sur ce périmètre, les données relatives aux coûts supportés par l'exploitant ; / 4° L'évaluation motivée de l'atteinte substantielle portée à ces services par les services routiers librement organisés entrant dans le champ du projet de décision, en termes de trafic et de ressources ; / 5° La justification du champ d'application du projet de décision, en ce qui concerne en particulier les liaisons similaires à celle de l'autorité organisatrice et les liaisons dont la jonction permet d'assurer celle-ci ; / 6° Si le projet de décision couvre des liaisons dont la jonction permet d'assurer avec correspondance la liaison de l'autorité organisatrice, les raisons d'intérêt général motivant la portée de la décision sur chacune de ces liaisons " ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 3111-18 du code des transports que l'exploitation d'un service de transport par autocar n'est susceptible d'être limitée ou interdite par l'autorité organisatrice de transport que si cette exploitation conduit à porter une atteinte substantielle à l'équilibre économique non d'un simple segment de ligne de transport, mais d'une ligne dans son ensemble, voire de plusieurs lignes ; que, pour l'application de ces dispositions, une ligne de transport régulier se caractérise par une autonomie de fonctionnement résultant de ses conditions d'exploitation, faisant l'objet d'un traitement comptable spécifique dans le cadre de la convention de service public ;

6. Considérant que pour apprécier le caractère substantiel de l'atteinte à l'équilibre économique des services organisés par la région, l'Autorité a retenu comme périmètre d'analyse la ligne ferroviaire conventionnée Nantes - Le Mans via Angers et non, comme l'a fait la région, le seul segment de cette ligne allant d'Angers à Nantes ; que l'Autorité a comparé la perte de recettes commerciales induite par le report de clientèle du service de transport organisé par la région vers le service déclaré par la société Eurolines avec, d'une part, les recettes commerciales de l'ensemble de la ligne Nantes - Le Mans, d'autre part, le montant de la compensation versée par la région au titre de cette ligne ; que si la région soutient que l'Autorité aurait commis une erreur de fait en n'appréciant l'atteinte substantielle à l'équilibre économique qu'à l'égard de la ligne Nantes - Le Mans et pas à l'égard d'une ligne Angers - Nantes qui en serait distincte, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que cette liaison constituerait, au regard de ses conditions d'exploitation et de son traitement comptable, une ligne de transport pour l'application des dispositions de l'article L. 3111-18 du code des transports ; que, par suite, en procédant comme elle l'a fait, l'Autorité n'a entaché son avis ni d'erreur de droit ni d'erreur de fait ;

7. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'avis attaqué s'appuie sur une analyse circonstanciée de la substituabilité du service envisagé par la société Eurolines avec celui qu'organise la région ; que les hypothèses retenues par l'Autorité pour estimer la part des voyageurs qui n'auraient pas voyagé sans la création du service déclaré se fondent sur des constats objectifs et n'apparaissent pas sérieusement contestables ; qu'il en va de même de la recette moyenne par voyageur retenue par l'Autorité pour estimer la perte de recettes commerciales induite par le report de clientèle du service de transport organisé par la région vers le service déclaré par la société Eurolines ; que si l'Autorité doit, dans son analyse de l'atteinte à l'équilibre économique de la ligne de service public qui est concurrencée, tenir compte des effets cumulés de l'ensemble des services proposés qui sont susceptibles de la concurrencer, elle ne peut prendre en considération les services qui ont fait l'objet d'une décision d'interdiction ayant donné lieu à un avis favorable de l'Autorité ; qu'il appartient à l'Autorité d'apprécier l'existence d'une atteinte à l'équilibre économique d'une ligne de transport, pour l'application de l'article L. 3111-18 du code des transports, au regard des circonstances propres à chaque espèce ; qu'au cas présent, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que l'Autorité a rendu un avis défavorable sur le projet de la région d'interdire les services déclarés par la société Eurolines ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la région Pays de la Loire n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'avis qu'elle attaque ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières ;


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la région Pays de la Loire est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la région Pays de la Loire, à la société Eurolines et à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
Copie en sera adressée au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


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