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Ariane Web: Conseil d'État 414658, lecture du 30 octobre 2017, ECLI:FR:CEORD:2017:414658.20171030

Décision n° 414658
30 octobre 2017
Conseil d'État

N° 414658
ECLI:FR:CEORD:2017:414658.20171030
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du lundi 30 octobre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 27 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société FNAC Darty demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des décisions du 28 juillet 2017 par lesquelles la présidente de l'Autorité de la concurrence a, d'une part, rejeté sa demande de prolongation des délais d'exécution des engagements annexés à la décision n° 16-DCC-111 du 27 juillet 2016 par laquelle l'Autorité a autorisé, sous réserve de ces engagements, la prise de contrôle exclusif de Darty par la FNAC et, d'autre part, mis fin, à compter du 31 juillet 2017, à la mission du mandataire indépendant chargé du suivi desdits engagements ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de réexaminer la demande de prolongation de la durée d'exécution des engagements ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.



La société requérante soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la combinaison des décisions contestées avec celle, dont la suspension est également demandée, de refus de la présidente de l'Autorité de la concurrence d'agréer la cession au groupe Dray de deux points de vente devant être cédés en exécution des engagements, préjudicie de manière grave et immédiate à ses intérêts économiques en ce qu'elle la place en situation d'inexécution de ses engagements, alors que l'Autorité de la concurrence a annoncé son intention de tirer les conséquences d'une telle situation par la mise en oeuvre des prérogatives qui lui sont reconnues par l'article L. 430-8 du code de commerce ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus de sa demande de prolongation des délais d'exécution des engagements souscrits dans le cadre de la prise de contrôle de Darty ;
- cette décision est entachée d'un vice de procédure en ce que la présidente de l'Autorité de la concurrence n'a pas respecté le caractère contradictoire de la procédure ni les droits de la défense ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une dénaturation des pièces du dossier en ce qu'elle justifie le refus de prolongation par l'absence de circonstances exceptionnelles et indépendantes de la volonté de la FNAC ainsi que par le caractère prétendument tardif d'une demande de substitution de magasins dans la zone de Beaugrenelle ;
- en ce qu'elle se fonde sur la méthode dite du " scoring " pour estimer que le groupe Dray ne saurait être considéré comme un repreneur susceptible d'être agréé en vue de la reprise des magasins FNAC ou Darty de Beaugrenelle, elle repose sur une appréciation erronée du rôle conféré à cette méthode par la décision d'autorisation du 27 juillet 2016 pour le choix des cessionnaires ;
- à supposer que le recours à la méthode du " scoring " soit pertinent, la décision contestée procède d'une mise en oeuvre erronée de cette méthode au cas d'espèce ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision de mettre fin à la mission du mandataire indépendant en ce qu'elle est la conséquence directe et nécessaire de la décision de refus de prolongation de la durée d'exécution des engagements.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2017, l'Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.




Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société FNAC Darty, d'autre part, l'Autorité de la concurrence ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 20 octobre 2017 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Texidor, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Darty Fnac ;

- les représentants de la société FNAC Darty ;

- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction jusqu'au vendredi 27 octobre à 18 heures.

Vu les pièces nouvelles enregistrées les 23 et 24 octobre 2017, présentés respectivement par l'autorité de la concurrence et pour la société FNAC Darty ;

Vu le nouveau mémoire présenté par la société FNAC Darty le 25 octobre 2017 qui persiste dans ses précédentes écritures ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative ;



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 430-1 du code de commerce : " I. - Une opération de concentration est réalisée :1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ; / 2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises. (...) " ; qu'il appartient à l'Autorité de la concurrence, saisie d'une opération de concentration, à partir d'une analyse prospective tenant compte de l'ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération et d'apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte ; que l'Autorité de la concurrence, à laquelle une opération de concentration entrant dans le champ défini par les articles L. 430-1 et L. 430-2 du code commerce a été notifiée, peut, en vertu des dispositions de l'article L. 430-5 du même code, soit autoriser l'opération en la subordonnant éventuellement à la réalisation effective d'engagements pris par les parties, soit, si elle estime qu'il existe un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, engager un examen approfondi au terme duquel elle prend une décision qui peut être d'autorisation, le cas échéant assortie d'engagements, de prescriptions ou d'injonctions, ou d'interdiction, dans les conditions prévues aux articles L. 430-6 et L. 430-7 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 430-8 du code de commerce " IV. - Si elle estime que les parties n'ont pas exécuté dans les délais fixés une injonction, une prescription ou un engagement figurant dans sa décision, l'Autorité de la concurrence constate l'inexécution. Elle peut : /1° Retirer la décision ayant autorisé la réalisation de l'opération. A moins de revenir à l'état antérieur à la concentration, les parties sont tenues de notifier de nouveau l'opération dans un délai d'un mois à compter du retrait de la décision, sauf à encourir les sanctions prévues au I ; / 2° Enjoindre sous astreinte, dans la limite prévue au II de l'article L. 464-2, aux parties auxquelles incombait l'obligation non exécutée d'exécuter dans un délai qu'elle fixe les injonctions, prescriptions ou engagements figurant dans la décision ; / 3° Enjoindre sous astreinte, dans la limite prévue au II de l'article L. 464-2, aux parties auxquelles incombait l'obligation, d'exécuter dans un délai qu'elle fixe des injonctions ou des prescriptions en substitution de l'obligation non exécutée. / En outre, l'Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes auxquelles incombait l'obligation non exécutée une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I " ;

3. Considérant que par une décision du 27 juillet 2016, l'Autorité de la concurrence a autorisé, sous réserve du respect des engagements souscrits par la partie notifiante et annexés à sa décision, la prise de contrôle exclusif de Darty par la FNAC ; qu'en vue de prévenir les effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration, la FNAC s'est engagée à céder six points de ventes exploités sous les enseignes FNAC ou Darty, chaque contrat de cession étant subordonné à son approbation par l'autorité de la concurrence ; que les engagements prévoyaient que ces cessions devaient intervenir avant le 31 juillet 2017 ; que la société FNAC Darty a formé le 11 juillet 2017 une demande de prolongation des délais d'exécution de ces engagements, notamment pour ce qui concerne la cession du point de vente " Fnac Beaugrenelle ", compte tenu de la réticence de l'enseigne " But City ", franchiseur du groupe " Dray ", à exploiter ce magasin et au souhait du repreneur pressenti de substituer à l'acquisition de ce magasin celle d'un magasin Darty situé dans le même centre commercial ; que par deux décisions du 28 juillet 2017, la présidente de l'Autorité de la concurrence a, d'une part, rejeté la demande de prolongation des délais d'exécution des engagements souscrits par la FNAC et, d'autre part, mis fin, à effet du 31 juillet 2017, à la mission du mandataire indépendant chargé du suivi des engagements et chargé de la cession des actifs ; que la société FNAC Darty demande la suspension de l'exécution de ces décisions ;

4. Considérant que la société requérante soutient, pour établir que la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative est satisfaite, que la décision de refus de la présidente de l'Autorité de la concurrence de prolonger les délais d'exécution des engagements annexés à l'autorisation de prise de contrôle de Darty par la FNAC la place en situation de manquement auxdits engagements et l'expose au risque de mise en oeuvre, à tout moment, par l'Autorité, des prérogatives qu'elle tient de l'article L. 430-8 du code de commerce ; que toutefois, si la mise en oeuvre à l'encontre de cette société de l'une des mesures énoncées à cet article, à savoir un retrait de l'autorisation de concentration, une injonction, éventuellement assortie d'une astreinte, d'exécuter ses engagements ou des prescriptions de substitution ou une sanction pécuniaire serait, le cas échéant, susceptible de porter une atteinte grave et immédiate à ses intérêts, elle ne pourrait procéder que d'une décision, distincte des décisions contestées, prise par le collège de l'Autorité de la concurrence à l'issue d'une procédure contradictoire et dont la société pourrait, si elle s'y croyait fondée, demander la suspension de l'exécution ; que les décisions contestées, à supposer qu'elles puissent être regardées comme détachables de cette procédure, ne font, par elles-mêmes, peser sur la société FNAC Darty aucune des obligations mentionnées au IV de l'article L. 430-8 du code de commerce ; que le préjudice invoqué est, par suite, seulement éventuel à ce jour ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence posée par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme satisfaite ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner si l'un au moins des moyens soulevés par la société requérante est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées, la demande de la société FNAC Darty tendant à ce que soit ordonnée la suspension de leur exécution doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société FNAC Darty est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société FNAC Darty et à l'Autorité de la concurrence.