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Ariane Web: Conseil d'État 413660, lecture du 22 novembre 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:413660.20171122

Décision n° 413660
22 novembre 2017
Conseil d'État

N° 413660
ECLI:FR:CECHR:2017:413660.20171122
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Emmanuelle Petitdemange, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP DELVOLVE ET TRICHET, avocats


Lecture du mercredi 22 novembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Séché Eco Industries, venant aux droits de la société Tree SAS, a, à l'appui de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties mises à sa charge au titre de l'année 2013 pour un montant de 77 531 euros, produit un mémoire, enregistré le 9 juin 2017 au greffe du tribunal administratif de Rennes, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1504804 du 23 août 2017, enregistrée le 24 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rennes, avant qu'il soit statué sur la demande de la SAS Séché Eco Industries, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 5° de l'article 1381 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la taxe foncière sur les propriétés bâties due au titre de 2013.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et un nouveau mémoire, enregistré le 28 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Séché Eco Industries soutient que ces dispositions, dans l'interprétation constante qu'en donne le Conseil d'Etat pour leur application aux alvéoles d'enfouissement des déchets, applicables au litige, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, énoncés aux articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, portent atteinte au droit au recours effectif et au droit de propriété, garantis par ses articles 16 et 17 et méconnaissent la garantie des droits découlant de l'article 16 de cette Déclaration et l'article 34 de la Constitution.

Par trois mémoires, enregistrés les 18 juillet, 18 septembre et 5 octobre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question n'est ni nouvelle ni sérieuse.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts, notamment le 5° de l'article 1381 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de la société par actions simplifiée (SAS) Séché Eco Industries.



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 1381 du code général des impôts, dans sa version applicable à la taxe foncière sur les propriétés bâties due au titre de 2013 : " Sont également soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties (...) 5° Les terrains non cultivés employés à un usage commercial ou industriel, tels que chantiers, lieux de dépôt de marchandises et autres emplacements de même nature, soit que le propriétaire les occupe, soit qu'il les fasse occuper par d'autres à titre gratuit ou onéreux ". Il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil d'Etat que doivent être regardées comme des terrains non cultivés employés à usage industriel, au sens et pour l'application de ces dispositions, les alvéoles exploitées au sein d'un centre de stockage de déchets ultimes, constituées d'un lit de graviers drainants surmonté d'une couche d'argile et de terre, étanchéifiées par membranes, comportant des drains de captage des lixiviats et des biogaz qui sont ensuite traités ou éliminés, et destinées, une fois comblées, à être recouvertes d'une couche de terre étanche et plantées de végétaux. Il résulte également de la jurisprudence du Conseil d'Etat que de telles alvéoles demeurent.soumises à la taxe foncière sur les propriétés bâties aussi longtemps que les terrains sur lesquels elles sont implantées n'ont pas été rendus disponibles à d'autres usages et ne sauraient l'être en application de l'arrêté préfectoral prescrivant leur suivi environnemental, la circonstance qu'elles aient été recouvertes d'une couche de terre et, le cas échéant, de végétation étant, à cet égard, dépourvue d'incidence

3. La SAS Séché Eco Industries soutient, en premier lieu, qu'en ne définissant pas les notions de " terrain " et " d'emploi à usage industriel " et en omettant de préciser la durée pendant laquelle les terrains visés par le 5° de l'article 1381 du code général des impôts sont soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties, le législateur aurait méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, portant ainsi atteinte au droit à un recours effectif et au droit de propriété garantis respectivement par les articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789. Toutefois, en prévoyant que sont soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties les terrains non cultivés employés à usage industriel, le législateur a défini, en des termes non équivoques, le champ d'application matériel et temporel des dispositions contestées. Ce grief doit, par suite, en tout état de cause, être écarté.

4. La société requérante soutient, en deuxième lieu, que les dispositions du 5° de l'article 1381 du code général des impôts, telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat pour ce qui concerne les alvéoles d'enfouissement de déchets, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la Déclaration de 1789.

5. Aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

6. La société requérante soutient que la soumission des alvéoles d'enfouissement des déchets à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années durant lesquelles, après avoir été comblées et recouvertes de terre, elles constituent des terrains indisponibles à tout autre usage lucratif et donnent lieu à une obligation de suivi en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, ne tiendrait pas compte des facultés contributives de leurs exploitants et ferait peser sur eux une charge excessive. Toutefois, la taxe foncière sur les propriétés bâties n'a pas pour objet de frapper le revenu tiré annuellement de l'exploitation des biens entrant dans son assiette, mais la détention de ces biens, en fonction de leur valeur locative cadastrale. La circonstance que, pendant une période qui peut atteindre plusieurs dizaines d'années, les exploitants d'alvéoles de stockage soient tenus à une obligation de surveillance et que les terrains en cause soient, durant cette période, rendus indisponibles à toute autre utilisation ou exploitation, ne permet pas, contrairement à ce qui est soutenu, de regarder ces terrains comme ne conférant à leurs propriétaires aucune capacité contributive, celle-ci devant être appréciée non au titre des seules années au cours desquelles les déchets y sont enfouis mais au regard de l'ensemble du cycle d'exploitation de l'activité industrielle à laquelle ces propriétaires ont fait le choix de les affecter, qui ne s'achève qu'à l'issue de la période de suivi prescrite par arrêté préfectoral. Par suite, le législateur a fixé un critère d'assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties rationnel et objectif en rapport avec l'objectif qu'il poursuit et n'a pas fait peser sur les propriétaires concernés, contrairement à ce qui est soutenu, une imposition de caractère confiscatoire. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit en conséquence être écarté.

7. La société soutient, en troisième lieu, que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi énoncé à l'article 6 de la Déclaration de 1789.

8. Le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

9. La société soutient que les dispositions du 5° de l'article 1381 du code général des impôts, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, ont pour effet de traiter différemment, en premier lieu, les exploitants d'activités industrielles selon la nature de l'activité exercée, en deuxième lieu, les opérateurs de gestion de déchets selon qu'ils procèdent par voie d'enfouissement ou d'incinération, enfin, ces mêmes opérateurs selon qu'ils agissent pour leur compte propre ou dans le cadre d'une délégation de service public, les seconds étant susceptibles, à la différence des premiers, de répercuter sur l'autorité délégante la charge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties. Toutefois, l'exploitant d'un site industriel qui ne comprend plus, à l'issue de la remise en état de ce site, qu'une emprise foncière non bâtie est placé dans une situation différente, au regard de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de celle de l'exploitant d'alvéoles d'enfouissement de déchets, lequel a fait le choix d'employer son terrain à un usage qui implique le maintien d'une emprise foncière bâtie pendant la période de suivi environnemental prescrite par le préfet. De même, les opérateurs de gestion de déchets qui procèdent par voie d'enfouissement ne sont pas placés dans une situation identique à celle des opérateurs procédant par voie d'incinération. Enfin, les dispositions contestées ne prévoient, par elles-mêmes, aucune différence de traitement au regard de la taxe foncière entre les propriétaires d'alvéoles, selon qu'ils exploitent ou non celles-ci dans le cadre d'une délégation de service public. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi fiscale doit, par suite, être écarté.

10. La société soutient, en dernier lieu, que les dispositions contestées méconnaissent la garantie des droits proclamée à l'article 16 de la Déclaration de 1789, en l'absence de mesures transitoires ayant accompagné l'interprétation jurisprudentielle qu'en a donnée le Conseil d'Etat. Toutefois, ces dispositions étant issues de l'article 1er de la loi du 30 décembre 1884 portant fixation du budget des recettes de l'exercice 1885 et faisant l'objet d'une interprétation ancienne et constante du Conseil d'Etat, le grief ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée ne présente pas de caractère sérieux. Il y n'a, par suite, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Rennes.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Séché Eco Industries et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.