Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 403183, lecture du 24 novembre 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:403183.20171124

Décision n° 403183
24 novembre 2017
Conseil d'État

N° 403183
ECLI:FR:CECHR:2017:403183.20171124
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Géraud Sajust de Bergues, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du vendredi 24 novembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Railtech International a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler le titre de perception du 27 novembre 2009 émis par le trésorier-payeur général du Nord en vue de la récupération d'une somme de 2 056 114 euros au titre d'une aide indument perçue. Par un jugement n° 1104368 du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 14DA02046 du 5 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 5 septembre 2016 et le 14 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie et des finances demande au Conseil d'Etat d'annuler l'article 1er de cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Railtech International ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au titre des exercices clos les 31 décembre 1995 et 31 décembre 1996, la société Ars Industrie a bénéficié de l'exonération d'impôt sur les sociétés en faveur de la reprise d'entreprises en difficulté prévue à l'article 44 septies du code général des impôts. Par une décision 2004/343/CE du 16 décembre 2003, la Commission européenne a déclaré que les exonérations octroyées en application de cet article, autres que celles qui remplissent les conditions d'octroi des aides de minimis et des aides à finalité régionale, constituaient des aides d'Etat illégales et en a ordonné la récupération sans délai. Postérieurement à l'arrêt rendu le 13 novembre 2008 dans l'affaire C-214/07, Commission c/ France, par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la République française avait manqué à ses obligations de recouvrement de ces aides, le trésorier-payeur général du Nord a émis, le 27 novembre 2009, à l'encontre de la société Railtech International, venant aux droits de la société Ars Industries, un titre de perception d'un montant de 2 056 114 euros, correspondant aux cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés dont la société Ars Industrie avait été exonérée au titre des exercices clos les 31 décembre 1995 et 31 décembre 1996 en application de l'article 44 septies du code général des impôts, diminuées des aides de minimis et des aides à finalité régionale et majorées des intérêts dus.

2. Par un jugement du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Lille, faisant droit à la demande de la société Railtech International, a annulé ce titre de perception. Par un arrêt du 5 juillet 2016, contre lequel le ministre de l'économie et des finances se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté le recours du ministre contre ce jugement.

3. Aux termes de l'article 14 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE, devenu l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'Etat membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée " décision de récupération "). La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général du droit communautaire. / (...) / 3. (...) la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'Etat membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. A cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les Etats membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire ".

4. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, rappelée notamment dans son arrêt du 29 avril 2004, Allemagne/Commission (C-277/00), la récupération d'une aide incompatible avec le marché commun vise au rétablissement de la situation antérieure et cet objectif est atteint dès que les aides en cause, augmentées le cas échéant, des intérêts de retard, ont été restituées par le bénéficiaire ou, en d'autres termes, par les entreprises qui en ont eu la jouissance effective. Par cette restitution, le bénéficiaire perd, en effet, l'avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure au versement de l'aide est rétablie.

5. La Cour de justice de l'Union européenne a également jugé dans l'arrêt du 1er octobre 2015, Electrabel et Dunamenti Erömü c/ Commission (C-357/14 P), que, dans le cas où l'entreprise à laquelle des aides d'Etat ont été octroyées conserve sa personnalité juridique et continue d'exercer, pour elle-même, les activités subventionnées par les aides d'Etat, c'est normalement cette entreprise qui conserve l'avantage concurrentiel lié à ces aides et c'est donc celle-ci qui doit être obligée de rembourser un montant égal à celui des aides, même si l'entreprise a été rachetée au prix du marché et que ce prix a reflété pleinement la valeur de l'avantage résultant des aides en cause.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Promorail, appartenant au groupe Pandrol, a, le 15 octobre 2002, fait l'acquisition de l'intégralité du capital social de la société Ars Industrie. Le 9 juillet 2003, la société Delachaux a fait l'acquisition de la totalité des titres représentant le capital social de la société Pandrol Holding, puis la société Railtech International, filiale du groupe Delachaux, a ensuite acquis, le 9 novembre 2004, l'ensemble des actions composant le capital social de la société Promorail. Ces deux sociétés ont alors fusionné, la société Promorail absorbant la société Railtech International et prenant sa dénomination sociale. La société Ars Industrie, qui avait conservé sa personnalité juridique, ainsi détenue par la société Railtech International, a fait l'objet, le 31 octobre 2005, d'une opération de dissolution-confusion opérant une transmission universelle de son patrimoine à la société Railtech International, qui a poursuivi l'activité de la société Ars Industrie.

7. En se fondant, dans l'arrêt attaqué, sur ce que la cession du capital social de la société Ars Industrie, réalisée dans le cadre d'une mise en concurrence de plusieurs offres, a été lors de la première transaction opérée au prix du marché et qu'il en découle que la société Railtech International ne peut être réputée bénéficiaire de l'aide en litige et, par suite, ne peut être redevable auprès de l'administration de la somme de 2 056 114 euros mise à sa charge en vue de sa récupération, sans rechercher si cette société ne pouvait être regardée comme bénéficiaire de l'aide en s'étant substituée, par l'effet de la transmission universelle de patrimoine, à la société Ars Industrie, laquelle avait, comme le soutenait le ministre, conservé sa personnalité juridique et poursuivi elle-même son activité jusqu'à la transmission universelle de son patrimoine à la société Railtech International, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit. Par suite, le ministre de l'économie et des finances est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt qu'il attaque.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 5 juillet 2016 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée ci-dessus, à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : Les conclusions de la société Railtech International présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la société Railtech International.


Voir aussi