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Ariane Web: Conseil d'État 400801, lecture du 7 décembre 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:400801.20171207

Décision n° 400801
7 décembre 2017
Conseil d'État

N° 400801
ECLI:FR:CECHS:2017:400801.20171207
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
Mme Laurence Marion, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du jeudi 7 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La commune de Saint-Lô a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 719,27 euros en réparation des frais exposés par elle pour nettoyer la voie publique à la suite de manifestations d'agriculteurs qui se sont déroulées les 2 et 13 juillet 2015. Par un jugement n° 1501980 du 20 avril 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 20 juin et 20 septembre 2016 et le 14 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Lô demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code pénal ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Saint-Lô.



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, lors d'une manifestation organisée les 2 et 3 juillet 2015 à Saint-Lô, des agriculteurs ont déversé des détritus et du fumier et brûlé des pneumatiques aux abords de sept ronds-points de la ville, ce qui a provoqué le blocage de la circulation sur certains axes ; que, le 13 juillet suivant, des manifestants ont suspendu des mannequins à des réverbères situés aux abords de deux ronds-points de la même agglomération ; que la commune de Saint-Lô a saisi le préfet de la Manche, le 23 juillet 2015, d'une demande tendant au versement par l'Etat d'une indemnité de 9 460,98 euros, au titre des frais engagés pour nettoyer la voie publique ; que, jugeant insuffisante une proposition d'indemnisation amiable, la commune a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser cette somme ; que, par le jugement du 20 avril 2016 contre lequel la commune se pourvoit en cassation, le tribunal administratif a rejeté cette demande ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens " ;

Sur les dégradations commises lors de la manifestation des 2 et 3 juillet 2015 :

3. Considérant que le tribunal administratif a pu relever, par une appréciation souveraine des faits qui lui étaient soumis, que les dégradations sur la voie publique commises à l'occasion de la manifestation qui s'était déroulée du 2 au 3 juillet 2015 présentaient un caractère organisé et prémédité ; qu'en revanche, en déduisant de cette seule circonstance que les dommages n'étaient pas le fait d'un attroupement ou d'un rassemblement, au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, alors qu'il était constant que les dégradations avaient été commises dans le cadre d'une manifestation sur la voie publique convoquée par plusieurs organisations syndicales afin d'obtenir un relèvement du prix versé aux producteurs de lait, à laquelle avaient participé plusieurs centaines d'agriculteurs, et non par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite, son jugement doit être annulé en tant qu'il rejette la demande de la commune de Saint-Lô tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des dommages subis à l'occasion de cette manifestation ;

Sur les agissements du 13 juillet 2015 :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 322-1 du code pénal : " La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger " ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 13 juillet 2015, des manifestants ont suspendu à des réverbères des mannequins dont le décrochage a nécessité une intervention des services municipaux dont le coût total a été évalué par la collectivité requérante à la somme de 195,56 euros ; qu'en jugeant que ces agissements n'étaient pas constitutifs du délit de destruction, dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui puni par les dispositions précitées du code pénal et, par suite, n'engageaient pas la responsabilité de l'Etat au titre de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, laquelle ne concerne que les dommages résultant de crimes ou délits, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique ; que la commune de Saint-Lô n'est, dès lors, pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions tendant au remboursement de la somme qu'elle a exposée à cette occasion ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la commune de Saint-Lô de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 20 avril 2016 est annulé en tant qu'il rejette la demande de la commune de Saint-Lô tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des dommages subis à l'occasion de la manifestation qui s'est tenue les 2 et 3 juillet 2015.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Caen dans la mesure de la cassation prononcée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à la commune de Saint-Lô une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Lô et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.