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Ariane Web: Conseil d'État 397580, lecture du 13 décembre 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:397580.20171213

Décision n° 397580
13 décembre 2017
Conseil d'État

N° 397580
ECLI:FR:CECHR:2017:397580.20171213
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Jean-Luc Matt, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du mercredi 13 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Lagardère SCA a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001. Par un jugement n° 0508668 du 8 juillet 2010, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 10VE03084 du 6 novembre 2012, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Lagardère SCA contre ce jugement.

Par une décision n° 365520 du 23 janvier 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la même cour.

Par un arrêt n° 15VE00304 du 31 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Lagardère SCA contre le jugement du 8 juillet 2010.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 mars et 2 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lagardère SCA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Lagardère SCA ;



Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes du 1 du I de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ".

2. Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive du 17 mai 1977, que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit. Le droit à déduction de la TVA grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction. En l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire l'intégralité de la taxe ayant grevé des biens et services en amont, lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti. De tels coûts entretiennent, en effet, un lien direct et immédiat avec l'ensemble de son activité économique. Il y a lieu d'examiner, dans ce cas, si les dépenses effectuées pour acquérir des biens ou des services en amont font partie des frais généraux liés à l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti.

3. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date du litige : " Les redevables qui, dans le cadre de leurs activités situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, ne réalisent pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction sont autorisés à déduire une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les biens constituant des immobilisations utilisées pour effectuer ces activités. / Cette fraction est égale au montant de la taxe déductible (....) multiplié par le rapport existant entre : / a) Au numérateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction (...) ; / b) Au dénominateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction (...) ". Il résulte de ces dispositions que doit être porté au numérateur du prorata de déduction l'intégralité du chiffre d'affaires correspondant à des opérations ouvrant droit à déduction et, à son dénominateur, l'intégralité du chiffre d'affaires correspondant à des opérations entrant dans le champ d'application de la TVA, majoré des subventions reçues, à la seule exception, dans l'un et l'autre cas, des recettes provenant des cessions des biens d'investissements corporels ou incorporels et des opérations immobilières et financières exonérées de la TVA et présentant un caractère accessoire par rapport à l'activité principale de l'entreprise.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les activités économiques effectuées par la société Lagardère SCA, société holding tête de groupe, consistent, d'une part, dans l'octroi de prêts à ses filiales et, d'autre part, dans la concession de l'exploitation de marques commerciales lui appartenant en contrepartie de laquelle elle perçoit des redevances entrant dans le champ d'application de la TVA. Elle a acquitté en 1999 des factures relatives à des missions de conseil confiées à des banques et à des cabinets d'avocats, en vue de préparer des opérations de fusions et d'acquisitions, qui ont finalement été réalisées par ses filiales, les sociétés Hachette SA, Grolier Interactive Europe et Europe 1 Communication. A l'issue de ces opérations, en 2000, la société Lagardère SCA a refacturé sans marge ces frais à ces trois filiales, pour un montant incluant la TVA, et a déduit la TVA d'amont qu'elle avait acquittée sur ces dépenses de conseil de la taxe collectée sur les sommes refacturées à ses filiales. En tant que redevable partiel de la TVA, elle a inclus les recettes résultant de ces refacturations dans le chiffre d'affaires des opérations taxables figurant au numérateur et au dénominateur de son prorata de déduction. A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause la prise en compte de ces sommes refacturées dans le calcul de son prorata de déduction. La société Lagardère SCA se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 31 décembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande de décharge du rappel de TVA, pour la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001, résultant de la réduction du prorata de déduction.

5. La cour a estimé que les dépenses de conseil litigieuses, refacturées aux filiales ayant réalisé les prises de participation, ne pouvaient être inscrites ni au numérateur, ni au dénominateur du prorata de déduction de la TVA ayant grevé les achats de biens et services à utilisation mixte de la société holding, au motif qu'elles avaient été engagées par la société requérante dans le cadre de la détention de ses participations dans les filiales du groupe et ne pouvaient donc être regardées comme correspondant à une activité économique effectuée par un assujetti agissant en tant que tel, comprise dans le champ d'application de la taxe, alors même que ces dépenses auraient été refacturées aux filiales ayant réalisé les prises de participation pour respecter le principe selon lequel les transactions entre sociétés liées doivent s'effectuer selon les conditions normales de marché. En statuant ainsi, alors que les dépenses de conseil refacturées aux filiales constituaient pour la société Lagardère SCA la rémunération d'une activité économique occasionnelle et qu'une personne assujettie à la TVA pour une activité économique exercée de manière permanente doit être considérée comme assujettie pour toute autre activité économique exercée de manière occasionnelle, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que l'arrêt du 31 décembre 2015 de la cour administrative d'appel de Versailles doit être annulé.

7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 ci-dessus que les recettes résultant de la refacturation des prestations de conseil en litige correspondaient à une opération économique entrant dans le champ d'application de la TVA. Dès lors que ces recettes correspondaient, au sens des dispositions de l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts citées au point 3, à des opérations ouvrant droit à déduction, elles devaient figurer tant au numérateur qu'au dénominateur du prorata de déduction.

9. Il résulte de ce qui précède que la société Lagardère SCA est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses conclusions tendant à la décharge du rappel de TVA qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Lagardère SCA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 31 décembre 2015 de la cour administrative d'appel de Versailles et le jugement du 8 juillet 2010 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sont annulés.
Article 2 : La société Lagardère SCA est déchargée du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001.
Article 3 : L'Etat versera à la société Lagardère SCA une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Lagardère SCA et au ministre de l'action et des comptes publics.


Voir aussi