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Ariane Web: Conseil d'État 411915, lecture du 27 décembre 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:411915.20171227

Décision n° 411915
27 décembre 2017
Conseil d'État

N° 411915
ECLI:FR:CECHR:2017:411915.20171227
Inédit au recueil Lebon
6ème - 1ère chambres réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mercredi 27 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Par un mémoire, enregistré le 27 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'Association de la presse judiciaire demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire n° 2017-0063-A8 du 27 avril 2017 du garde des sceaux, ministre de la justice concernant l'incidence de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2017 relatif au secret de l'enquête et de l'instruction sur les autorisations de reportages journalistiques délivrées par les autorités judiciaires, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 11 et 56 du code de procédure pénale.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de procédure pénale, notamment ses articles 11 et 56 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de l'Association de la presse judiciaire.



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 11 du code de procédure pénale : " Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. / Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. / Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. " ; que l'article 56 du même code dispose que : " Si la nature du crime est telle que la preuve en puisse être acquise par la saisie des papiers, documents, données informatiques ou autres objets en la possession des personnes qui paraissent avoir participé au crime ou détenir des pièces, informations ou objets relatifs aux faits incriminés, l'officier de police judiciaire se transporte sans désemparer au domicile de ces derniers pour y procéder à une perquisition dont il dresse procès-verbal. L'officier de police judiciaire peut également se transporter en tous lieux dans lesquels sont susceptibles de se trouver des biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal, pour y procéder à une perquisition aux fins de saisie de ces biens ; si la perquisition est effectuée aux seules fins de rechercher et de saisir des biens dont la confiscation est prévue par les cinquième et sixième alinéas de ce même article, elle doit être préalablement autorisée par le procureur de la République. / Il a seul, avec les personnes désignées à l'article 57 du présent code et celles auxquelles il a éventuellement recours en application de l'article 60, le droit de prendre connaissance des papiers, documents ou données informatiques avant de procéder à leur saisie. / Toutefois, sans préjudice de l'application des articles 56-1 à 56-5, il a l'obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense. / Tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Cependant, si leur inventaire sur place présente des difficultés, ils font l'objet de scellés fermés provisoires jusqu'au moment de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs et ce, en présence des personnes qui ont assisté à la perquisition suivant les modalités prévues à l'article 57. / (...) " ;

3. Considérant que l'association requérante soutient, en faisant état de l'arrêt n° 16-84.740 rendu le 10 janvier 2017 par la Cour de cassation, que ces dispositions, qui sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, en ce qu'elles ont pour effet d'interdire de façon absolue à tout tiers, et donc à tout journaliste, d'assister à un acte d'enquête tel qu'une perquisition, méconnaissent la liberté d'expression et de communication garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que ce moyen soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 11 et 56 du code de procédure pénale est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'Association de la presse judiciaire jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Association de la presse judiciaire et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.


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