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Ariane Web: Conseil d'État 416953, lecture du 17 janvier 2018, ECLI:FR:CEORD:2018:416953.20180117

Décision n° 416953
17 janvier 2018
Conseil d'État

N° 416953
ECLI:FR:CEORD:2018:416953.20180117
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP GOUZ-FITOUSSI, RIDOUX, avocats


Lecture du mercredi 17 janvier 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la présidente du conseil départemental de Paris de l'admettre au bénéfice de la protection prévue par les dispositions de l'article L. 222-5 4° du code de l'action sociale et des familles et d'organiser sa prise en charge par une maison d'accueil spécialisée, un foyer d'accueil médicalisé ou l'association " Le silence des justes " pendant une durée de 12 mois, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1719014 du 15 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à la présidente du conseil de Paris de prendre en charge M. A... comme jeune majeur, au titre de l'aide sociale à l'enfance, dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'ordonnance jusqu'à son admission dans un foyer d'accueil médicalisé ou une maison d'accueil spécialisé.

Par une requête, enregistrée le 29 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de Paris demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le juge des référés de première instance.



Le département de Paris soutient que :
- le juge des référés du tribunal administratif a insuffisamment motivé son ordonnance en se bornant à relever, sans l'étayer, une carence caractérisée de la part du département ;
- il a commis une erreur de droit, et en tout cas d'appréciation, en retenant que la prise en charge de M.A..., jeune majeur souffrant d'un handicap autistique sévère, relevait de la compétence du département alors qu'elle relevait de celle de l'Etat au titre de l'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles ;
- le juge des référés de première instance a commis une erreur de droit, à tout le moins une erreur d'appréciation en considérant que le refus de prise en charge de M.A..., à supposer qu'elle relève de la compétence du département, constituait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale sans prendre en considération les pouvoirs et moyens de celui-ci.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2018, M. B...A...conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par le département requérant ne sont pas fondés.

La ministre des solidarités et de la santé a produit des observations, enregistrées le 8 janvier 2018, dans lesquelles elle conclut au rejet de la requête.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 8 janvier 2018, le département de Paris maintient les conclusions de sa requête par les mêmes moyens.



Après avoir convoqué à une audience publique le département de Paris, M. A..., la ministre des solidarités et de la santé et l'agence régionale de santé d'Ile de France ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 9 janvier 2018 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département de Paris ;

- Me Gouz-Fitoussi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A...;
- les représentants du département de Paris ;

- les représentants de M.A... ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction le jour même à 18 heures ;


Par un nouveau mémoire, enregistré 9 janvier 2018, le département de Paris a produit un courrier adressé à l'agence régionale de santé d'Ile-de-France.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 janvier 2018, présentée par M. A....



Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.
2. Aux termes de l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles : " La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie (...)". Aux termes de l'article L. 246-1 du même code : " Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. /Adaptée à l'état et à l'âge de la personne, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social (...) ".

3. Ces dispositions imposent à l'Etat et aux autres personnes publiques chargées de l'action sociale en faveur des personnes handicapées d'assurer, dans le cadre de leurs compétences respectives, une prise en charge effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à l'état comme à l'âge des personnes atteintes du syndrome autistique. Si une carence dans l'accomplissement de cette mission est de nature à engager la responsabilité de ces autorités, elle n'est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, que si elle est caractérisée, au regard notamment des pouvoirs et des moyens dont disposent ces autorités, et si elle entraîne des conséquences graves pour la personne atteinte de ce syndrome, compte tenu notamment de son âge et de son état. En outre, le juge des référés ne peut intervenir, en application de cet article, que pour prendre des mesures justifiées par une urgence particulière et de nature à mettre fin immédiatement ou à très bref délai à l'atteinte constatée.

4. Aux termes de l'article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles : " La protection de l'enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits. (...)Ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...)". L'article L. 221-1 du même code dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ; (...) ". L'article L. 222-5 du même code prévoit que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : 1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulable selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou dans un service tel que prévu au 12° du I de l'article L. 312-1 ; (...) / Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. ". L'article L. 222-5-1 du même code précise que : " Un entretien est organisé par le président du conseil départemental avec tout mineur accueilli au titre des 1°, 2° ou 3° de l'article L. 222-5, un an avant sa majorité, pour faire un bilan de son parcours et envisager les conditions de son accompagnement vers l'autonomie. Dans le cadre du projet pour l'enfant, un projet d'accès à l'autonomie est élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur. Il y associe les institutions et organismes concourant à construire une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources. ". L'article L. 222-5-2 du même code : " Un protocole est conclu par le président du conseil départemental, conjointement avec le représentant de l'Etat dans le département et le président du conseil régional et avec le concours de l'ensemble des institutions et des organismes concernés, afin de préparer et de mieux accompagner l'accès à l'autonomie des jeunes pris en charge ou sortant des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce protocole organise le partenariat entre les acteurs afin d'offrir aux jeunes de seize à vingt et un ans une réponse globale en matière éducative, culturelle, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources. " . Enfin, l'article L. 344-5 de ce code prévoit que l'aide sociale départementale finance le reste à charge de l'hébergement et de l'entretien dans les établissements et les services, y compris les foyers d'accueil médicalisé, qui accueillent des personnes handicapées, mentionnés au 7° du I de l'article L. 312-1 du même code, l'article L. 313-3 précisant que ces établissements sont autorisés par une décision conjointe du président du conseil départemental et du directeur général de l'agence régionale de santé.

4. Il résulte de l'instruction que M.A..., né le 25 juillet 1999 au Bengladesh et arrivé en France avec sa mère en 2004, souffre d'un autisme sévère, diagnostiqué en 2005 et qui se traduit par le fait qu'il n'a pas accès au langage, ne peut se déplacer ni rester seul et est dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne. A la suite d'ordonnances successives de placement provisoire du juge des enfants constatant l'absence de place dans un établissement médical spécialisé adapté à son état, il a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance de Paris à compter de 2010, cette prise en charge, assurée par l'association " Le silence des justes ", se poursuivant à temps plein, pour le même motif et avec l'accord de sa mère, après la mainlevée de ce placement par un jugement du 6 septembre 2012. Par une décision du 7 février 2017, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de Paris a orienté M. A...vers un accueil en foyer d'accueil médicalisé (FAM) pendant cinq ans. A défaut de places dans un tel établissement, l'intéressé continue d'être accueilli par l'association " Le silence des justes " et, par deux arrêtés des 21 juillet et 24 octobre 2017, la présidente du conseil de Paris a décidé la poursuite temporaire de la prise en charge de M. A... par le service de l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur jusqu'au 15 novembre 2017. Mais, par décision du 16 novembre 2017, elle a refusé de poursuivre cette prise en charge au motif que celle-ci relève d'un dispositif adapté à son handicap. L'intéressé a formé un recours gracieux contre cette décision et a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 1719014 du 15 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à la présidente du conseil de Paris de prendre en charge M. A... comme jeune majeur, au titre de l'aide sociale à l'enfance, dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance jusqu'à son admission dans un foyer d'accueil médicalisé ou une maison d'accueil spécialisé. Le département de Paris relève appel de cette ordonnance. Admettant l'existence d'une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il conteste que la fin de la prise en charge de M. A...au titre de l'aide sociale à l'enfance constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens du même article.
5. Il résulte de l'instruction que la décision d'orientation prise le 7 février 2017 par la CDAPH de Paris ne peut pas être immédiatement mise en oeuvre faute de places disponibles dans un FAM, l'établissement d'accueil devant être proche du domicile de sa mère pour des raisons tenant à l'état de santé de M.A.... Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'informé de cette situation, le département de Paris aurait, avant le courrier adressé le 22 décembre 2017 à l'agence régionale de santé d'Ile de France, pris des initiatives pour trouver avec les services de l'Etat en charge du handicap une solution temporaire permettant qu'il soit mis fin à la prise en charge de M. A...au titre de l'aide sociale à l'enfance sans placer l'intéressé dans une situation de nature à compromettre son équilibre. Il n'est pas contesté que la fin de cette prise en charge conduirait l'association " Le silence des justes " à ne plus pouvoir accueillir M. A...et placerait ainsi M. A...et ses proches dans une situation particulièrement difficile et dangereuse dans la mesure où son retour au domicile familial n'est pas envisageable, compte tenu des risques qu'il présenterait pour lui-même et son entourage et qu'aucune autre solution n'a été mise en place. Si le département de Paris fait valoir que cette association ne dispose pas de l'agrément lui permettant d'accueillir dans cette structure un majeur dans la situation de M.A..., il ne soutient pas, en tout état de cause, que la poursuite à titre temporaire de cet accueil ferait courir un danger à l'intéressé ou aux autres personnes accueillies par cette association. Il résulte également de l'instruction et notamment des observations produites par la ministre des solidarités et de la santé que M. A...a vocation à être accueilli dans un FAM en cours de construction dans Paris, qui doit en principe ouvrir au deuxième trimestre de l'année 2018. Il résulte de ces circonstances, propres à la présente espèce, que la décision du département de Paris du 16 novembre 2017 de cesser brutalement toute prise en charge de M. A...au titre de l'aide sociale à l'enfance, sans s'être préalablement assuré de l'existence d'une solution temporaire dans l'attente de son accueil dans une structure adaptée à son état, est constitutive d'une carence caractérisée du département de Paris dans l'accomplissement des missions qui lui incombent tant au titre de l'aide sociale à l'enfance à l'égard d'un mineur pris en charge à ce titre et devenu jeune majeur que de l'aide sociale aux personnes handicapées, telles qu'elles résultent des dispositions citées au point 4 et porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale eu égard aux conséquences particulièrement graves de cette mesure pour M.A.... Par suite, le département de Paris n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, qui est suffisamment motivée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris lui a enjoint de poursuivre temporairement la prise en charge de M. A...au titre de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à son admission dans un foyer d'accueil médicalisé ou une maison d'accueil spécialisé.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête du département de Paris est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au département de Paris et à M. B... A....
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé et à l'agence régionale de santé d'Ile de France.