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Ariane Web: Conseil d'État 396971, lecture du 24 janvier 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:396971.20180124

Décision n° 396971
24 janvier 2018
Conseil d'État

N° 396971
ECLI:FR:CECHR:2018:396971.20180124
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du mercredi 24 janvier 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Etablissements René Maingourd a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2004 à 2007 dans les rôles de la commune de La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret). Par un jugement nos 0803948, 0803952 du 13 décembre 2011, le tribunal administratif d'Orléans a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 12NT00574 du 7 mars 2013, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté le recours du ministre délégué, chargé du budget, contre ce jugement.

Par une décision n° 367105 du 25 février 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 7 mars 2013 et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes.

Par un arrêt n° 15NT00777 du 17 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté le recours du ministre des finances et des comptes publics.

Par un pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 12 février 2016 et les 13 avril et 27 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code rural ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la société Etablissements René Maingourd.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du I de l'article 1468 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " La base de la taxe professionnelle est réduite : / 1° Pour les coopératives et unions de coopératives agricoles et les sociétés d'intérêt collectif agricole, de moitié ; / A compter de 1992, cette réduction est supprimée pour : / (...) b) Les sociétés d'intérêt collectif agricole dont plus de 50 % du capital ou des voix sont détenus directement ou par l'intermédiaire de filiales par des associés autres que ceux visés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 522-1 du code rural (...) ". Aux termes de l'article L. 522-1 du code rural et de la pêche maritime : " Peuvent être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole : / 1° Toute personne physique ou morale ayant la qualité d'agriculteur ou de forestier dans la circonscription de la société coopérative agricole ; / 2° Toute personne physique ou morale possédant dans cette circonscription des intérêts agricoles qui correspondent à l'objet social de la société coopérative agricole et souscrivant l'engagement d'activité prévu par le a du premier alinéa de l'article L. 521-3 ; / 3° Tout groupement agricole d'exploitation en commun de la circonscription ;/ (...)5° D'autres sociétés coopératives agricoles, unions de ces sociétés et sociétés d'intérêt collectif agricole, alors même que leurs sièges sociaux seraient situés en dehors de la circonscription de la société coopérative agricole ". Pour l'application des dispositions du b du 1° du I de l'article 1468 du code général des impôts citées ci-dessus, est regardée comme possédant des intérêts agricoles, au sens du 2° de l'article L. 522-1 du code rural et de la pêche maritime, toute personne physique ou morale participant, même pour une partie de son activité, à la réalisation d'opérations qui s'insèrent dans le cycle biologique de la production animale ou végétale ou, s'agissant d'une société coopérative agricole ou d'une société d'intérêt collectif agricole, qui constituent le prolongement normal de telles opérations réalisées par les membres de la société.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration fiscale a remis en cause la réduction de la base de taxe professionnelle dont s'était prévalue la société d'intérêt collectif agricole (SICA) Etablissements René Maingourd en application des dispositions précitées du 1° du I de l'article 1468 du code général des impôts, au motif que plus de 50 % de son capital était détenu par des associés autres que ceux visés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 522-1 du code rural et de la pêche maritime. Le tribunal administratif d'Orléans a accordé à cette société, par un jugement du 13 décembre 2011, la décharge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle avait été assujettie, pour ce motif, au titre des années 2004 à 2007 dans les rôles de la commune de La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret). Par une décision du 25 février 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 7 mars 2013 par lequel la cour administrative de Nantes avait rejeté l'appel formé par le ministre délégué, chargé du budget contre ce jugement, et renvoyé l'affaire devant cette cour. Le ministre des finances et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 décembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, de nouveau, rejeté son appel dirigé contre ce jugement.

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour, pour juger que plus de 50 % du capital de la société requérante était détenu par des associés répondant aux conditions posées aux 1° à 3° de l'article L. 522-1 du code rural et de la pêche maritime, après avoir relevé qu'il n'était pas contesté que 1,1 % du capital de la SICA requérante était détenu par des personnes répondant à ces conditions, a jugé qu'il en allait de même pour la SICA Conserverie morbihannaise, qui détenait 43 % de ce capital, et pour la société coopérative Union fermière morbihannaise, qui en détenait 6,4 %. La cour a toutefois également relevé que la SICA Conserverie morbihannaise exerçait de manière prépondérante une activité de conditionnement et de transformation de produits agricoles achetés auprès de tiers. Par suite, en regardant cette SICA comme possédant des " intérêts agricoles ", au sens du 2° de l'article L. 522-1 du code rural et de la pêche maritime, alors qu'il résultait de ses constatations souveraines que les opérations de cette société ne pouvaient pas être regardées comme s'insérant dans le cycle biologique de la production animale ou végétale ou comme constituant le prolongement normal de l'activité agricole de ses membres, la cour a donné aux faits qu'elle a relevés une qualification juridique inexacte. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il y a lieu de régler l'affaire au fond.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que la SICA Conserverie morbihannaise a principalement une activité de conditionnement et de transformation de produits agricoles achetés auprès de tiers. Ainsi qu'il a été dit au point 3, les opérations de cette société ne sauraient être regardées comme s'insérant dans le cycle biologique de la production animale ou végétale, ni comme constituant le prolongement normal de l'activité agricole de ses membres. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que cette société ne peut être regardée comme ayant, au sens du 2° de l'article L. 522-1 du code rural et de la pêche maritime, des intérêts agricoles correspondant à l'objet social de la société requérante.

6. D'autre part, la SICA Conserverie morbihannaise ne peut davantage être regardée comme une personne morale ayant la qualité d'agriculteur, au sens du 1° du même article.

7. Enfin, il résulte également de l'instruction que la société à responsabilité limitée (SARL) " Les fils de A. Depenne " et la SARL Sogeico, qui détiennent respectivement 20,3 % et 29,2 % des parts du capital de la SICA Etablissements René Maingourd, ont une activité industrielle et commerciale.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 7 ci-dessus que plus de 50 % des parts du capital de la société requérante sont détenus par des personnes qui ne peuvent être regardées comme mentionnées aux 1° à 3° de l'article L. 522-1 du code rural et de la pêche maritime. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a jugé que cette société était éligible à la réduction de base de taxe professionnelle prévue par l'article 1468 du code général des impôts et fait droit à sa demande de décharge.

9. Toutefois, il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Etablissements René Maingourd devant le tribunal administratif d'Orléans.

10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales : " Lorsque la vérification de la comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes est achevée, l'administration ne peut procéder à une nouvelle vérification de ces écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période ". Si la société Etablissements René Maingourd soutient qu'elle aurait subi deux vérifications de comptabilité s'agissant de la taxe professionnelle relative à l'année 2004, il résulte de l'instruction qu'elle a fait l'objet d'une première vérification de comptabilité, portant notamment sur la taxe professionnelle, pour les années 2000 à 2002, puis d'une seconde vérification de comptabilité portant notamment sur l'année 2004 en matière de taxe professionnelle, de sorte que les deux vérifications de comptabilité ont porté sur des périodes différentes.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal (...) ". Si la société Etablissements René Maingourd soutient, sur le fondement des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, qu'au cours d'une vérification antérieure le vérificateur n'avait pas remis en cause le bénéfice de l'exonération en litige tout en ayant, au cours du contrôle, demandé des précisions sur son organigramme et la composition de son capital, cette circonstance ne saurait être regardée comme impliquant que l'administration eût donné une interprétation formelle de dispositions fiscales, ou de leur application à une situation de fait, dont la société requérante pourrait se prévaloir.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a réduit de 50 % la base de taxe professionnelle assignée à la société Etablissements René Maingourd au titre des années 2004 à 2007 pour son établissement situé à La Chapelle-Saint-Mesmin et ordonné la décharge des cotisations supplémentaires correspondantes.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, au titre de ces dispositions, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 17 décembre 2015 de la cour administrative d'appel de Nantes et le jugement du 13 décembre 2011 du tribunal administratif d'Orléans sont annulés.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles la société Etablissements René Maingourd a été assujettie au titre des années 2004, 2005, 2006 et 2007, à raison de la remise en cause de la réduction de 50 % de la base de cette taxe pour son établissement situé à La Chapelle-Saint-Mesmin, sont remises à sa charge.
Article 3 : Les conclusions présentée par la société Etablissements René Maingourd au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Établissements René Maingourd.


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