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Ariane Web: Conseil d'État 402167, lecture du 24 janvier 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:402167.20180124

Décision n° 402167
24 janvier 2018
Conseil d'État

N° 402167
ECLI:FR:CECHR:2018:402167.20180124
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du mercredi 24 janvier 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le fonds de pension de droit américain California public employees' retirement system (CALPERS) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées, à hauteur de 2 519 256,74 euros sur les dividendes de source française qu'il a perçus au cours des années 2006 à 2009. Par un jugement n° 1310455 du 7 avril 2015, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la restitution des retenues à la source opérées au titre de l'année 2009 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 15VE02124 du 7 juin 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le fonds de pension CALPERS contre ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la restitution des retenues à la source opérées sur les dividendes de source française au titre des années 2006 à 2008.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 août et 3 novembre 2016, le fonds de pension CALPERS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention signée le 31 août 1994 entre les Etats-Unis d'Amérique et la République française, destinée à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision n° 298108 du Conseil d'Etat, statuant du contentieux, du 13 février 2009 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société California Public Employee's Retirement System.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 janvier 2018, présentée par le CALPERS ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le California Public Employees' Retirement System (CALPERS), fonds de pension de droit américain, a perçu, au cours des années 2006 à 2009, des dividendes de source française qui ont été soumis à une retenue à la source au taux de 15 % en application des dispositions du 2 de l'article 119 bis et du 1 de l'article 187 du code général des impôts combinées avec les stipulations de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994. Le fonds de pension se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 juin 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a confirmé le jugement du 7 avril 2015 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à la restitution des retenues à la source opérées au titre des années 2006, 2007 et 2008.

2. Aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir (...) le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. / (...) Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu. / Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'État (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 196-1 du même livre, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / (...) c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. / Toutefois, dans les cas suivants, les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle, selon le cas : / (...) b) Au cours de laquelle les retenues à la source et les prélèvements ont été opérés s'il s'agit de contestations relatives à l'application de ces retenues ; / (...) ".

3. D'une part, il résulte des dispositions de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales qu'une réclamation est recevable, dès lors qu'elle est formée dans le délai prévu dans l'une des trois hypothèses mentionnées dans la première partie de cet article. La seconde partie de l'article ouvre, en outre, dans les hypothèses qu'elle prévoit, un délai spécial pendant lequel une réclamation est également recevable.

4. D'autre part, s'agissant des décisions et avis rendus au contentieux par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation, le Tribunal des conflits et la Cour de justice de l'Union européenne, seuls ceux qui révèlent directement l'incompatibilité avec une règle de droit supérieure de la règle de droit dont il a été fait application pour fonder l'imposition en litige sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement, au sens du c de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, ainsi que de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre. Une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux qui se borne à retenir une interprétation des dispositions du droit de l'Union ou du droit national dont il a été fait application pour fonder l'imposition contestée différente de celle jusqu'alors formellement admise par l'administration dans ses instructions ne peut constituer le point de départ de ce délai et de cette période, dès lors que l'imposition ne saurait être fondée sur l'interprétation de la loi fiscale que l'administration exprime dans ses instructions. Il peut toutefois en aller autrement lorsque l'instruction fiscale, dont l'illégalité a été révélée par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux sur un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une instruction ou le refus de l'abroger, n'ajoute pas à la loi fiscale mais se borne à réitérer les termes de cette loi dont il a été fait application pour fonder l'imposition dont la restitution est demandée et que cette décision révèle alors directement la non-conformité de cette loi à une règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales.

5. Pour juger que la réclamation introduite par le fonds de pension requérant, le 30 décembre 2011, aux fins de restitution des retenues à la source opérées au titre des années 2006 à 2008, qui était tardive au regard du délai de réclamation résultant des dispositions du b de la seconde partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, était également tardive au regard du délai fixé par les dispositions du c de la première partie du même article, la cour s'est fondée sur ce que la décision n° 298108 du 13 février 2009 du Conseil d'Etat statuant au contentieux n'avait fait que révéler la non-conformité d'une instruction à une règle de droit supérieure et ne saurait, dès lors, constituer la réalisation d'un événement pour l'application de ces dispositions.

6. Toutefois, par la décision n° 298108 du 13 février 2009, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé le refus d'abroger les instructions fiscales 4 J-1-05 du 25 février 2005 et 4 J-2-05 du 28 avril 2005, qui se bornaient à tirer les conséquences de la suppression de l'avoir fiscal et à prescrire l'application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, en tant qu'elles ne prévoyaient pas de neutraliser l'application de la retenue à la source prévue par les dispositions de cet article au paiement de dividendes de sociétés françaises à des organismes tels que des fonds de pension étrangers qui seraient en mesure d'apporter la preuve qu'ils pourraient bénéficier, s'ils étaient établis en France, de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévues au c du 5 de l'article 206 du même code, au motif que l'application de cette retenue à la source constituait une restriction à la liberté de circulation des capitaux prohibée par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne. Ainsi, cette décision révèle directement la non-conformité de la loi fiscale à une norme supérieure. Par suite, en jugeant que cette décision juridictionnelle ne constituait pas la réalisation d'un événement pour l'application des dispositions du c de la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, la cour a commis une erreur de droit. Le fonds de pension requérant est, dès lors, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 7 juin 2016 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros au fonds de pension California public employees' retirement system au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au fonds de pension California public employees' retirement system et au ministre de l'action et des comptes publics.