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Ariane Web: Conseil d'État 407208, lecture du 14 février 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:407208.20180214

Décision n° 407208
14 février 2018
Conseil d'État

N° 407208
ECLI:FR:CECHR:2018:407208.20180214
Inédit au recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Guillaume Leforestier, rapporteur
Mme Laurence Marion, rapporteur public


Lecture du mercredi 14 février 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CGT santé action sociale demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1605 du 25 novembre 2016 portant code de déontologie des infirmiers.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 2016-1605 du 25 novembre 2016 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 4312-1 du code de la santé publique : " L'ordre national des infirmiers veille à maintenir les principes éthiques et à développer la compétence, indispensables à l'exercice de la profession. Il contribue à promouvoir la santé publique et la qualité des soins. / Le conseil national de l'ordre prépare un code de déontologie, édicté sous forme d'un décret en Conseil d'Etat. Ce code énonce notamment les devoirs des infirmiers dans leurs rapports avec les patients, les autres membres de la profession et les autres professionnels de santé " ; que la Fédération CGT santé et action sociale demande l'annulation du décret du 25 novembre 2016 portant code de déontologie des infirmiers, pris en application de ces dispositions ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Le Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière est saisi pour avis des projets de loi, des projets de décret de portée générale relatifs à la situation des personnels des établissements mentionnés à l'article 2 et des projets de statuts particuliers des corps et emplois " ; qu'aux termes de l'article 6 du décret du 9 mai 2012 relatif au Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière et à l'Observatoire national des emplois et des métiers de la fonction publique hospitalière : " Le conseil supérieur est saisi pour avis : / (...) 4° Des projets de décret relatifs à la situation des agents publics de la fonction publique hospitalière ; / 5° Des projets de décret relatifs aux statuts particuliers des corps et emplois de la fonction publique hospitalière ; / 6° Des projets de décret qui modifient ou abrogent, de manière coordonnée par des dispositions ayant le même objet, un ou plusieurs statuts particuliers de corps " ;

3. Considérant que le décret attaqué, qui institue un code de déontologie applicable à l'ensemble des infirmiers inscrits au tableau de l'ordre qui effectuent un acte professionnel dans les conditions prévues aux articles L. 4311-1 et suivants du code de la santé publique, ainsi qu'aux étudiants en soins infirmiers mentionnés à l'article L. 4311-12 du même code, ne revêt pas de caractère statutaire et n'est pas relatif à la situation des personnels des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986, au sens et pour l'application de l'article 12 cité ci-dessus ; qu'il suit de là que le moyen tiré du défaut de consultation du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière ne peut qu'être écarté ;

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne l'application de certaines règles déontologiques aux infirmiers ayant la qualité de fonctionnaires :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public " ; qu'aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, le directeur de l'établissement public de santé " exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art " ;

5. Considérant que les articles R. 4312-6, R. 4312-32 et R. 4312-33 du code de la santé publique, applicables à tous les infirmiers, tels qu'ils résultent du décret attaqué, disposent que : " Art. R. 4312-6. - L'infirmier ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. (...) Art. R. 4312-32. - L'infirmier (...) ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre son indépendance, la qualité des soins ou la sécurité des personnes prises en charge. (...) Art. R. 4312-33. - Dans le cadre de son rôle propre et dans les limites fixées par la loi, l'infirmier est libre du choix de ses actes professionnels et de ses prescriptions qu'il estime les plus appropriés... " ; qu'aux termes de l'article R. 4312-63 issu du même décret, applicable aux infirmiers qui n'exercent pas sous forme libérale, y compris les infirmiers ayant la qualité de fonctionnaires : " L'infirmier, quel que soit son statut, est tenu de respecter ses devoirs professionnels et en particulier ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions./ En aucune circonstance l'infirmier ne peut accepter, de la part de son employeur, de limitation à son indépendance professionnelle. Quel que soit le lieu où il exerce, il doit toujours agir en priorité dans l'intérêt de la santé publique, des personnes et de leur sécurité " ;

6. Considérant que, s'agissant des infirmiers ayant la qualité de fonctionnaires, le décret attaqué pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées de la loi du 13 juillet 1983, prévoir que l'indépendance professionnelle de l'infirmier et l'indépendance de ses décisions sont au nombre des obligations déontologiques qu'il lui incombait de préciser en application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 4312-1 du code de la santé publique ;

7. Considérant, par ailleurs, qu'aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. (...) " ; que l'article R. 4312-4 du code de la santé publique, tel qu'il résulte des dispositions du décret attaqué, dispose que : " L'infirmier respecte en toutes circonstances les principes de moralité, de probité, de loyauté et d'humanité indispensables à l'exercice de la profession " ; que, au titre des obligations déontologiques qu'il lui appartenait d'énoncer, le décret attaqué a pu légalement prévoir, pour les infirmiers ayant la qualité de fonctionnaires, une obligation de moralité, qui n'est pas contraire aux obligations qui leur sont applicables en vertu des dispositions citées ci-dessus de la loi du 13 juillet 1983 ;

8. Considérant, enfin, que la circonstance invoquée par la fédération requérante que les infirmiers exerçant dans les établissements publics de santé sont astreints à des exigences de performance, de productivité et de polyvalence est sans incidence sur la légalité du décret attaqué ;

En ce qui concerne la soumission des infirmiers ayant la qualité de fonctionnaires à la juridiction disciplinaire de leur ordre professionnel :

9. Considérant qu'aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination " ; qu'aux termes de l'article 82 de la loi du 9 janvier 1986 : " L'autorité investie du pouvoir de nomination exerce le pouvoir disciplinaire après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline et dans les conditions prévues à l'article 19 du titre 1er du statut général " ; qu'aux termes de l'article L. 4312-7 du code de la santé publique, le conseil national de l'ordre des infirmiers " comprend en son sein une chambre disciplinaire nationale qui connaît en appel des décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance " ;

10. Considérant, en premier lieu, que l'article R. 4312-1 du code de la santé publique, tel qu'il résulte du décret attaqué, dispose que : " Conformément à l'article L. 4312-7, le Conseil national de l'ordre des infirmiers est chargé de veiller au respect de ces dispositions par tous les infirmiers inscrits à son tableau. / Les infractions à ces dispositions sont passibles de sanctions disciplinaires, sans préjudice des poursuites pénales qu'elles seraient susceptibles d'entraîner " ; que, si ces dispositions sont applicables à l'ensemble des infirmiers, y compris à ceux qui ont la qualité de fonctionnaires, elles ont pour seul objet de rappeler les attributions en matière disciplinaire que le législateur a confiées au Conseil national de l'ordre des infirmiers en en prévoyant l'application à l'ensemble des infirmiers ; que la fédération requérante ne saurait dès lors utilement soutenir qu'elles méconnaîtraient les dispositions précitées de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 et de l'article 82 de la loi du 9 janvier 1986 relatifs au pouvoir disciplinaire qu'exerce sur les fonctionnaires l'autorité investie du pouvoir de nomination ;

11. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait le principe " non bis in idem " en ce qu'il permet qu'un infirmier ayant la qualité de fonctionnaire fasse l'objet, à raison des mêmes faits, de deux sanctions disciplinaires respectivement prononcées par l'autorité investie du pouvoir de nomination et par les instances disciplinaires ordinales ; que, cependant, cette autorité et ces instances tiennent, ainsi qu'il a été dit au point précédent, leur pouvoir disciplinaire de dispositions fixées par le législateur ; que la fédération requérante ne soulève à l'encontre de ces dispositions législatives aucune question prioritaire de constitutionnalité, ni n'invoque leur contrariété à aucune stipulation d'une convention internationale ;

12. Considérant, en troisième lieu, que le premier alinéa de l'article R. 4312-32 du code de la santé publique, tel qu'il résulte du décret attaqué, dispose que : " L'infirmier est personnellement responsable de ses décisions ainsi que des actes professionnels qu'il est habilité à effectuer " ; que si la fédération requérante soutient que ces dispositions portent atteinte aux règles applicables à l'engagement de la responsabilité des établissements dans lesquels exercent les infirmiers ayant la qualité de fonctionnaires, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Fédération CGT santé action sociale est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération CGT santé action sociale, au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.