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Ariane Web: Conseil d'État 399260, lecture du 21 février 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:399260.20180221

Décision n° 399260
21 février 2018
Conseil d'État

N° 399260
ECLI:FR:CECHR:2018:399260.20180221
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Laurence Franceschini, rapporteur
Mme Julie Burguburu, rapporteur public


Lecture du mercredi 21 février 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 1605769 du 25 avril 2016, enregistrée le 27 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête sommaire présentée à ce tribunal par le Syndicat national des magistrats Force Ouvrière.
Par cette requête sommaire, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 13 avril 2016, et un mémoire complémentaire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 juillet, le Syndicat national des magistrats Force Ouvrière demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en oeuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature, en tant qu'il s'applique aux magistrats judiciaires.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'organisation judiciaire ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, notamment son article 133 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1222-9 du code du travail, le télétravail désigne " toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication (...) " ; qu'en vertu de l'article 133 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique : " Les fonctionnaires relevant de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires peuvent exercer leurs fonctions dans le cadre du télétravail tel qu'il est défini au premier alinéa de l'article L. 1222-9 du code du travail. L'exercice des fonctions en télétravail est accordé à la demande du fonctionnaire et après accord du chef de service. Il peut y être mis fin à tout moment, sous réserve d'un délai de prévenance. Les fonctionnaires télétravailleurs bénéficient des droits prévus par la législation et la réglementation applicables aux agents exerçant leurs fonctions dans les locaux de leur employeur public. / Le présent article est applicable aux agents publics non fonctionnaires et aux magistrats. / Un décret en Conseil d'Etat fixe, après concertation avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique, les conditions d'application du présent article, notamment en ce qui concerne les modalités d'organisation du télétravail. " ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le Conseil commun de la fonction publique a été consulté et qu'une concertation avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique, qui y sont représentées, a ainsi eu lieu ; que le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir qu'elle aurait dû être complétée par la consultation des organisations syndicales représentatives de magistrats, qui n'était pas requise par l'article 133 de la loi du 12 mars 2012 ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 8 décembre 2014 portant notamment création d'une commission permanente d'études au ministère de la justice : " La commission permanente d'études instituée au ministère de la justice est chargée de donner un avis sur les problèmes concernant le statut des magistrats de l'ordre judiciaire et des fonctionnaires des services judiciaires, les structures judiciaires et les conditions de fonctionnement et d'équipement des juridictions. / Elle peut, en outre, être consultée sur les projets de textes législatifs et réglementaires élaborés à l'initiative du ministère de la justice et ayant une incidence directe sur le fonctionnement des juridictions. " ; qu'il résulte de ces dispositions que sa consultation sur le décret attaqué n'était pas obligatoire ;

4. Considérant, en troisième lieu, qu'une question ou un projet de disposition ne doit être soumis à la consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail que si le comité technique ne doit pas lui-même être consulté ; que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne doit ainsi être saisi que d'une question ou d'un projet de disposition concernant exclusivement la santé, la sécurité ou les conditions de travail ; qu'en l'espèce, les dispositions contestées, qui, ainsi qu'il a été dit, ont fait l'objet d'une consultation Conseil commun de la fonction publique, n'impliquaient pas que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail fût consulté avant leur édiction ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

5. Considérant, en premier lieu, que si le syndicat requérant soutient que l'article 133 de la loi du 12 mars 2012 méconnait l'article 64 de la Constitution qui réserve à la loi organique le statut de la magistrature, il n'appartient en tout état de cause pas au Conseil d'Etat, statuant au contentieux d'apprécier la conformité d'une disposition législative à la Constitution, en dehors de la procédure prévue par l'article 61-1 de la Constitution ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 12 mars 2012 citée au point 1 que le législateur a entendu ouvrir aux agents publics qui exercent leurs fonctions sous l'autorité hiérarchique d'un chef de service dans le cadre d'une organisation du travail prévoyant leur présence, hors déplacements professionnels, dans les locaux du service, la faculté de recourir, dans les conditions qu'il définit, au télétravail ; que les conditions ainsi prévues par le décret attaqué doivent être regardées comme s'appliquant aux magistrats judiciaires qui exercent leurs fonctions en administration et non en juridiction ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait incompatible avec les usages qui régissent l'organisation du travail personnel des magistrats en juridiction, de ce qu'il méconnaît les dispositions statutaires relatives aux conditions de nomination et d'affectation des magistrats, à l'obligation de résidence dans le ressort de la juridiction et au principe d'inamovibilité des magistrats du siège et de ce qu'il modifierait l'organisation du travail des magistrats en juridiction alors que celle-ci est régie par le code de l'organisation judiciaire, ne peuvent qu'être écartés ; qu'il en est de même du moyen dirigé contre les dispositions de l'article 3 du décret attaqué, qui prévoient que le temps de présence sur le lieu d'affectation ne peut être inférieur à deux jours par semaine et qui, selon le syndicat requérant, ne sont pas conciliables, s'agissant des magistrats en juridiction, avec les dispositions du code de l'organisation judiciaire, ainsi que du moyen tiré de ce que l'article 7 du décret méconnaîtrait l'article R. 212-42 du code de l'organisation judiciaire en ce qu'il renvoie à un arrêté ministériel le soin de définir les modalités du télétravail des magistrats en juridiction ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête du Syndicat national des magistrats Force Ouvrière doit être rejetée ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Syndicat national des magistrats Force Ouvrière est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Syndicat national des magistrats Force Ouvrière, au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'action et des comptes publics.


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