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Ariane Web: Conseil d'État 414827, lecture du 21 février 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:414827.20180221

Décision n° 414827
21 février 2018
Conseil d'État

N° 414827
ECLI:FR:CECHR:2018:414827.20180221
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Paul-François Schira, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mercredi 21 février 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 4 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'Homme demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du décret n° 2017-1224 du 3 août 2017 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données ", de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la sécurité intérieure, notamment son article L. 211-11-1 ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul-François Schira, auditeur,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Ligue des droits de l'Homme ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé [...] à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat [...] ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure dispose que : " Les grands événements exposés, par leur ampleur ou leurs circonstances particulières, à un risque exceptionnel de menace terroriste sont désignés par décret. Ce décret désigne également les établissements et les installations qui accueillent ces grands événements ainsi que leur organisateur. / L'accès de toute personne, à un autre titre que celui de spectateur ou de participant, à tout ou partie des établissements et installations désignés par le décret mentionné au premier alinéa est soumis à autorisation de l'organisateur pendant la durée de cet événement et de sa préparation. L'organisateur recueille au préalable l'avis de l'autorité administrative rendu à la suite d'une enquête administrative qui peut donner lieu à la consultation, selon les règles propres à chacun d'eux, de certains traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exception des fichiers d'identification. Un avis défavorable ne peut être émis que s'il ressort de l'enquête administrative que le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'Etat. / Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés fixe les modalités d'application du présent article, notamment la liste des fichiers mentionnés au deuxième alinéa pouvant faire l'objet d'une consultation, les catégories de personnes concernées et les garanties d'information ouvertes à ces personnes ".

3. L'association requérante fait valoir, à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, qu'en s'abstenant, d'une part, de prévoir une définition suffisamment précise des notions de " grands événements " et " d'organisateur " de tels événements, d'autre part, d'assortir les pouvoirs des organisateurs de garanties appropriées et, enfin, d'encadrer les conditions de création et de consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel destinés à la réalisation des enquêtes administratives qu'il permet, le législateur a entaché l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure d'une incompétence négative affectant le droit au respect de la vie privée, la liberté d'aller et venir ainsi que le droit à un recours effectif garantis par les articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle soutient, par ailleurs, que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée à ces mêmes droits.

4. D'une part, les dispositions de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure imposent au pouvoir réglementaire, pour chaque mise en oeuvre du régime d'autorisation qu'elles créent, de procéder par décret, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, premièrement, à la désignation du grand événement concerné, qui doit être exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque exceptionnel de menace terroriste, deuxièmement, à l'identification de la personne physique ou morale, de droit public ou de droit privé, chargée de son organisation et donc de la délivrance des autorisations d'accès, troisièmement, à la délimitation précise de la durée de préparation et de déroulement du grand événement et, quatrièmement, à la désignation des établissements et installations qui accueillent ce grand événement et dont l'accès peut être interdit, à l'exclusion de tout autre local et des voies publiques permettant d'y accéder.

5. D'autre part, si ces dispositions obligent l'organisateur à recueillir, préalablement à sa décision sur la demande d'autorisation d'accès, un avis de l'autorité administrative rendu à la suite d'une enquête administrative pouvant donner lieu à la consultation de traitements automatisés de données à caractère personnel, elles précisent que les traitements ainsi concernés sont ceux relevant de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exclusion des fichiers d'identification, et que leur consultation a pour seul objet de vérifier que ne sont pas de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'Etat le comportement ou les agissements des personnes, à l'exclusion des spectateurs et des participants, dont l'activité requiert qu'elles accèdent aux établissements et installations accueillant le grand événement. Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'autoriser la création de nouveaux traitements automatisés, de permettre à l'administration de communiquer à l'organisateur du grand événement d'autres informations que le sens de son avis, lequel ne peut être défavorable que pour les motifs précédemment rappelés, ou encore de limiter le droit des personnes concernées à contester devant le juge compétent le refus d'autorisation qui leur aurait été opposé.

6. Il suit de là que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure sont entachées d'une incompétence négative privant de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives à l'exercice de la liberté d'aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit au recours effectif ne soulève pas de question sérieuse de constitutionnalité.

7. Il résulte également de ce qui a été dit plus haut quant aux garanties dont le législateur a entouré la création du régime d'autorisation d'accès aux établissements et installations accueillant certains grands événements qu'eu égard à la nécessité de sauvegarder l'ordre public, les dispositions de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure ne soulèvent aucune question sérieuse de constitutionnalité au regard de la liberté d'aller et venir, du droit au respect de la vie privée et du droit au recours effectif.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions contestées, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure n'est pas renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à la Ligue des droits de l'Homme.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au Conseil constitutionnel.


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