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Ariane Web: Conseil d'État 408886, lecture du 26 mars 2018, ECLI:FR:Code Inconnu:2018:408886.20180326

Décision n° 408886
26 mars 2018
Conseil d'État

N° 408886
ECLI:FR:CECHR:2018:408886.20180326
Inédit au recueil Lebon
1ère et 4ème chambres réunies
Mme Dorothée Pradines, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
CARBONNIER, avocats


Lecture du lundi 26 mars 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 1er octobre 2014 par laquelle la directrice générale de l'agence régionale de santé de Basse-Normandie l'a mis en demeure de régulariser la situation de son officine de pharmacie dans le délai de neuf mois sous peine de sanction financière. Par un jugement n° 1402160 du 14 avril 2015, le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 15NT01779 du 10 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, annulé le jugement du tribunal administratif de Caen et rejeté la demande présentée par M. A... devant ce tribunal.

1° Sous le n° 408886, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, trois nouveaux mémoires et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mars, 13 juin, 20 juillet et 13 décembre 2017 et les 11 janvier et 2 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 415760, par une requête, deux nouveaux mémoires et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 novembre et 13 décembre 2017 et les 11 janvier et 2 février 2018, M. A... demande au Conseil d'État d'ordonner le sursis à exécution de l'arrêt rendu le 10 janvier 2017 par la cour administrative d'appel de Nantes, jusqu'à ce qu'il soit statué sur son pourvoi tendant à l'annulation de cet arrêt.


....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive n° 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;
- la directive n° 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 ;
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012 ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 mars 2018, présentée par M.A... ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dorothée Pradines, auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Carbonnier, avocat de M. B...A....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... A..., pharmacien, titulaire de l'officine de pharmacie de la Grâce de Dieu à Caen, a été autorisé le 10 avril 2013, par une décision du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de Basse-Normandie, à créer un site internet de commerce électronique de l'officine, permettant la vente en ligne de médicaments non soumis à prescription obligatoire. Le 11 février 2014, M. A...a déclaré au directeur général de l'ARS de Basse-Normandie une modification des conditions d'installation de l'officine, les commandes passées par son site internet étant désormais traitées et les produits ainsi commercialisés stockés dans des locaux situés à Fleury-sur-Orne, à 3,6 kilomètres de l'officine. Par un courrier du 27 février 2014, le directeur général de l'ARS a indiqué à M. A...que cette modification n'était pas conforme à la réglementation en vigueur et l'a invité, par courrier du 24 avril 2014, à présenter ses observations écrites ou orales. M. A...ayant maintenu sa position, la même autorité l'a mis en demeure, le 1er octobre 2014, de régulariser la situation de son officine dans un délai de neuf mois sous peine de sanction financière, aux motifs que le local annexe de Fleury-sur-Orne n'était pas situé à proximité immédiate de l'officine, en méconnaissance de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique, et que les commandes de médicaments reçues par voie électronique n'étaient pas préparées au sein de l'officine dans un espace adapté à cet effet. Par un jugement du 14 avril 2015, le tribunal administratif de Caen a, à la demande de M.A..., annulé cette décision au motif, notamment, que l'article R. 5125-9 du code de la santé publique méconnaissait le droit de l'Union européenne. Sur l'appel du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement par un arrêt du 10 janvier 2017.

2. Le pourvoi par lequel M. A...demande l'annulation de cet arrêt et sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le pourvoi :

3. En premier lieu, les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisent les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sans faire obstacle, aux termes de l'article 36 de ce traité, " aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons (...) de protection de la santé et de la vie des personnes (...). Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ". Aux termes du 1. de l'article 85 quater, inséré dans la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain par la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 et transposé par l'ordonnance du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments : " Sans préjudice des législations nationales qui interdisent l'offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription, au moyen de services de la société de l'information, les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information (...) ". Aux termes du 2. du même article : " Les États membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information ". La directive 2011/62/UE, dont les considérants 22 et 23 se réfèrent à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 mai 2009 dans les affaires Apothekerkammer des Saarlandes et autres contre Saarland C-171/07 et C-172/07, a entendu prendre en considération le caractère très particulier des médicaments, dont les effets thérapeutiques les distinguent substantiellement de toute autre marchandise, et la responsabilité des États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint. Toutefois, ainsi que le rappellent ses considérants 21 et 24, les conditions que les États membres peuvent imposer, en l'absence d'harmonisation au niveau de l'Union européenne, pour assurer la protection de la santé publique lors de la délivrance au détail de médicaments offerts à la vente à distance au moyen de services de la société de l'information doivent respecter les stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

4. Aux termes de l'article L. 5125-33 du code de la santé publique, pris pour la transposition de la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 : " On entend par commerce électronique de médicaments l'activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne. / L'activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet d'une officine de pharmacie. (...) ". Aux termes de l'article R. 5125-9 du même code : " La superficie, l'aménagement, l'agencement et l'équipement des locaux d'une officine de pharmacie sont adaptés à ses activités et permettent le respect des bonnes pratiques mentionnées à l'article L. 5121-5. / Les locaux de l'officine forment un ensemble d'un seul tenant y compris pour ce qui concerne les activités spécialisées d'optique-lunetterie, d'audioprothèse et d'orthopédie. Toutefois, des lieux de stockage peuvent se trouver à proximité immédiate, à condition qu'ils ne soient pas ouverts au public et ne comportent ni signalisation, ni vitrine extérieure. (...) ".

5. Par les dispositions de l'article L. 5125-33 du code de la santé publique, le législateur a entendu que l'activité de commerce électronique de médicaments soit exercée à partir du site internet d'une officine de pharmacie afin, d'une part, de lutter contre le risque de commercialisation de médicaments falsifiés par le moyen de la vente à distance et, d'autre part, de garantir le respect par le pharmacien de son devoir particulier de conseil, impliquant notamment qu'il assure dans son intégralité l'acte de dispensation du médicament et agisse, lorsqu'il délivre un médicament qui ne requiert pas de prescription médicale, avec la même vigilance que le médicament soit délivré dans l'officine ou à distance. A ce titre, le pharmacien titulaire de l'officine, auquel incombe une responsabilité particulière, doit être en mesure de s'assurer effectivement, par une présence suffisante dans les locaux où elle a lieu, que la dispensation des médicaments tant au comptoir de son officine que par le biais du site internet de celle-ci soit conforme aux obligations que le code de la santé publique fait peser sur lui, sur les pharmaciens qui l'assistent et sur les préparateurs en pharmacie autorisés à les seconder. L'exigence de contiguïté des locaux de l'officine et de proximité immédiate des lieux de stockage résultant de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique est justifiée par le besoin que le pharmacien titulaire soit effectivement en mesure de contrôler la qualité de la dispensation des médicaments par l'ensemble des personnes qui l'assistent et le secondent. Au surplus, son application y compris à l'activité de vente en ligne de médicaments garantit que cette activité conserve un caractère complémentaire à la vente au comptoir de l'officine, pour préserver une répartition équilibrée des officines de pharmacie sur le territoire et assurer ainsi un approvisionnement de l'ensemble de la population en médicaments sûr et de qualité, y compris dans les parties du territoire jugées peu attractives. Une telle exigence ne soumet pas le commerce électronique de médicaments à une contrainte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

6. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'obligation fixée par le deuxième alinéa de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique n'était pas incompatible avec les objectifs de la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 et ne méconnaissait pas les dispositions de l'article L. 5125-33 du code de la santé publique pris pour sa transposition et, pour les mêmes motifs, ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie.

7. En deuxième lieu, si le requérant soutient que la cour a commis une erreur de droit en faisant application des dispositions de l'article R. 5125-71 du code de la santé publique alors que le décret du 31 décembre 2012 dont elles sont issues n'a pas été notifié à la Commission européenne, en méconnaissance de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998, les dispositions de cet article, qui se bornent à prévoir que la demande d'autorisation de commerce électronique de médicaments comporte le descriptif des conditions d'installation de l'officine prescrites par l'article R. 5125-9 du même code, sont en tout état de cause sans incidence sur l'application de l'article R. 5125-9 à l'ensemble de l'activité de l'officine, y compris de vente en ligne de médicaments.

8. En dernier lieu, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a jugé que des locaux situés à 3,6 kilomètres de l'officine ne pouvaient être regardés comme " à proximité immédiate " de celle-ci au sens de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

Sur la demande de sursis à exécution :

11. Par la présente décision, le Conseil d'État s'est prononcé sur le pourvoi formé par M. A...contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 10 janvier 2017. Par suite, ses conclusions à fin de sursis de cet arrêt sont devenues sans objet.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 415760 de M.A....
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la ministre des solidarités et de la santé.