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Ariane Web: Conseil d'État 402242, lecture du 11 avril 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:402242.20180411

Décision n° 402242
11 avril 2018
Conseil d'État

N° 402242
ECLI:FR:CECHR:2018:402242.20180411
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques Reiller, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP DELAMARRE, JEHANNIN ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mercredi 11 avril 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 17 août 2012 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa nouvelle demande d'admission au bénéfice de l'asile. Par une décision n° 12025076 du 23 juin 2016, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 août et 8 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions devant la Cour nationale du droit d'asile ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacques Reiller, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. B...A...et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile que, par une décision du 17 août 2012, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a rejeté la demande de réexamen de l'admission au bénéfice de l'asile présentée par M. A..., ressortissant turc d'origine kurde. Par une décision du 23 juin 2016, si la Cour a jugé qu'à raison de sa mise en examen, en 2009, pour avoir participé à une action violente du Parti des travailleurs du Kurdistan contre une association culturelle turque à Nice, M. A...était fondé à soutenir qu'il pouvait craindre, en cas de retour dans son pays d'origine, d'être victime de persécutions du fait des autorités nationales, elle a néanmoins rejeté son recours au motif qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'il s'était rendu coupable d'un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies conduisant à l'exclure, en application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève relative aux réfugiés, du bénéfice du statut de réfugié. M. A... se pourvoit en cassation contre cette décision.

2. Aux termes du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, doit être considérée comme réfugié toute personne qui : " craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ". Aux termes du F de l'article 1er de la même convention : " Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiées ; c ) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ". Si les actes à caractère terroriste peuvent relever du b) du F de l'article 1er précité de la convention de Genève, les actes terroristes ayant une ampleur internationale en termes de gravité, d'impact international et d'implications pour la paix et la sécurité internationales peuvent aussi être assimilés à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens du c) du F du même article.

3. Il ressort des énonciations de la décision attaquée de la Cour nationale du droit d'asile que M. A...est soupçonné d'avoir jeté, le 22 octobre 2008, des cocktails Molotov contre les locaux d'une association culturelle turque, située à Nice, provoquant un incendie et des dégâts matériels. Il a été mis en examen le 27 novembre 2009 des chefs d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme, de dégradation grave du bien d'autrui en réunion, de fabrication non autorisée d'engin explosif ou incendiaire et de détention et transport de substance ou produit incendiaire ou explosif ou d'éléments composant un engin incendiaire ou explosif pour préparer une destruction, dégradation ou atteinte aux personnes, toutes infractions en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Pour juger qu'il existait des raisons sérieuses de penser que M. A...s'était rendu coupable d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, justifiant son exclusion du bénéfice du statut de réfugié en application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève, cité au point 2, la Cour s'est fondée à la fois sur la qualification d'acte de terrorisme retenue par le procureur de la République à l'encontre de l'action de M. A...et sur le fait que cette dernière s'inscrivait dans une série d'actions violentes menées en Europe par une organisation considérée comme terroriste par l'Union européenne, le Parti des travailleurs du Kurdistan. Toutefois, en regardant un tel agissement comme contraire aux buts et aux principes des Nations Unies sans se prononcer sur son caractère de gravité au regard de ses effets sur le plan international, la Cour nationale du droit d'asile a commis une erreur de droit. M. A...est dès lors fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'OFPRA une somme de 3 000 euros à verser à M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 23 juin 2016 de la Cour nationale du droit d'asile est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera à M. A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


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