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Ariane Web: Conseil d'État 415002, lecture du 4 mai 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:415002.20180504

Décision n° 415002
4 mai 2018
Conseil d'État

N° 415002
ECLI:FR:CECHR:2018:415002.20180504
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT, avocats


Lecture du vendredi 4 mai 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. C...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie :
- à titre principal, d'enjoindre à la province Sud de mettre en oeuvre ses compétences en qualité de gestionnaire du domaine public pour introduire devant le tribunal administratif une action sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative à l'encontre de M. A...B..., afin d'obtenir l'expulsion de celui-ci et de tout autre occupant de son chef de l'immeuble situé dans la zone des cinquante pas géométriques de la parcelle du domaine public qu'il occupe illégalement, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;
- à titre subsidiaire, d'enjoindre à M. A...B...et à tout autre occupant de son chef d'évacuer cet immeuble, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 10 000 francs CFP par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois et, à, défaut d'exécution spontanée dans un délai de deux mois, d'autoriser la province Sud à y procéder aux frais de M. A...B..., si besoin avec le concours de la force publique.

Par une ordonnance n° 1700260 du 29 août 2017, le juge des référés a, d'une part, enjoint à M. A...B..., à son épouse et à tout autre occupant de son chef d'évacuer l'immeuble qu'ils occupent sans droit ni titre dans la zone des cinquante pas géométriques de la parcelle du domaine public situé morcellement Bouraké Georges Creugnet père, section Ouaménie pâturage, commune de Boulouparis, dans un délai d'un mois, d'autre part, rejeté le surplus de la demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 et 27 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de M. C...B...la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Waquet, Farge, Hazan, leur avocat, sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. et Mme A...B...et à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de M. C...B....

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 avril 2018, présentée par M. C...B... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. C... B..., titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire de dépendances du domaine public maritime appartenant à la province Sud de Nouvelle-Calédonie, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, à titre principal, qu'il enjoigne à la province Sud d'introduire une action en référé, sur le fondement de cet article, tendant à l'expulsion de M. A... B...et de tout autre occupant de son chef de l'immeuble qu'il occupe sur les dépendances du domaine public mentionnées ci-dessus et, à titre subsidiaire, qu'il enjoigne directement à M. A...B...et à tout autre occupant de son chef d'évacuer cet immeuble. Par une ordonnance du 29 août 2017, le juge des référés a rejeté les conclusions principales de la demande et fait droit, par l'article 1er de cette ordonnance contre lequel M. et Mme A...B...se pourvoient en cassation, à ses conclusions subsidiaires.

2. En premier lieu, il ressort de la fiche de suivi de la requête figurant au dossier du tribunal administratif que M. et Mme A...B...n'ont reçu communication d'aucun des mémoires produits dans le cadre de la procédure écrite devant le juge des référés. Le principe du caractère contradictoire de la procédure a, par suite, été méconnu.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-3-1 du même code : " La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-3 n'est pas requise en cas de requête relative à une occupation non autorisée de la zone des cinquante pas géométriques ". L'article L. 523-1 du même code dispose que : " Les décisions rendues en application des articles L. 521-1, L. 521 3, L. 521-4 et L. 522-3 sont rendues en dernier ressort / Les décisions rendues en application de l'article L. 521-2 sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat dans les quinze jours de leur notification (...) ".

4. Lorsque le juge des référés statue, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative qui instaure une procédure de référé pour laquelle la tenue d'une audience publique n'est pas prévue par les dispositions de l'article L. 522-1 du même code, sur une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il doit, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu'il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu'il se prononce en dernier ressort, mettre les parties à même de présenter, au cours d'une audience publique, des observations orales à l'appui de leurs observations écrites. Il résulte des mentions non contestées de l'ordonnance déférée au juge de cassation que les parties n'ont pas été convoquées à une audience publique. Ainsi, l'ordonnance attaquée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière.

5. En troisième lieu, le juge des référés a fait droit aux conclusions de M. C... B...tendant à l'expulsion de M. A...B...et de tout autre occupant de son chef de l'immeuble que celui-ci occupe sur les dépendances du domaine public sans se prononcer sur l'utilité de cette mesure. Alors même qu'il avait estimé qu'il n'avait pas, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 521-3-1 du code de justice administrative, à se prononcer sur la condition d'urgence, il a ainsi méconnu les dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A...B...sont fondés à demander l'annulation de l'article 1er de l'ordonnance qu'ils attaquent.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer, dans cette mesure, sur la demande en référé présentée par M. C...B..., en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Seule est recevable à demander au juge administratif l'expulsion de l'occupant irrégulier du domaine public l'autorité propriétaire ou gestionnaire de ce domaine. M. C... B...ne possédant pas cette qualité, les termes de l'autorisation d'occuper le domaine public qui lui a été consentie par la Province Sud ne pouvant notamment pas, contrairement à ce qu'il soutient, conduire à le regarder comme gestionnaire des dépendances du domaine public concernées, ses conclusions tendant à l'expulsion de M. A... B...et de tout autre occupant de son chef de l'immeuble que celui-ci occupe sur les dépendances du domaine public sont entachées d'irrecevabilité et doivent, pour ce motif, être rejetées.

9. M. et Mme A...B...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. et Mme A...B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de M. C... B...la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Waquet, Farge, Hazan.



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 1er de l'ordonnance du 29 août 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.

Article 2 : Les conclusions subsidiaires de M. C...B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie sont rejetées.

Article 3 : M. C...B...versera à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. et Mme A...B..., la somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A...B..., à M. C... B...et à la province Sud de Nouvelle-Calédonie.


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