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Ariane Web: Conseil d'État 408064, lecture du 16 mai 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:408064.20180516

Décision n° 408064
16 mai 2018
Conseil d'État

N° 408064
ECLI:FR:CECHR:2018:408064.20180516
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public


Lecture du mercredi 16 mai 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 janvier 2014 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce qu'il soit autorisé à changer son nom de A...en y adjoignant le nom de "C...". Par un jugement n° 1404524 du 2 octobre 2015, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 15PA04289 du 15 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le garde des sceaux, ministre de la justice contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 16 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;




1. Considérant qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / Le changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret " ;

2. Considérant que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;

3. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. B... A..., né le 13 mai 1988, a saisi le ministre de la justice, en juin 2011, sur le fondement de l'article 61 du code civil, d'une demande tendant à adjoindre à son nom celui de son père ;

4. Considérant que la cour administrative d'appel de Paris, pour rejeter l'appel formé par le garde des sceaux, ministre de la justice contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Paris avait annulé le refus opposé à la demande de M.A..., a relevé que M.C..., père de M.A..., vivait maritalement avec la mère de ce dernier avant sa naissance le 13 mai 1988 mais, étant marié par ailleurs, n'avait reconnu son enfant qu'en mai 1990, de sorte que le jeune B...avait reçu le nom de sa mère, première à l'avoir reconnu ; que la cour a aussi retenu que M. C...et Mme A...s'étaient mariés le 21 mai 2011, sans que ce mariage n'ait d'incidence sur le nom de M. A...qui était alors âgé de 21 ans, et que M. C...et Mme A...avaient vécu et élevé ensemble leur enfant ;

5. Considérant que, pour juger que, contrairement à ce qu'avait retenu le garde des sceaux, M. A...justifiait d'un intérêt légitime pour changer de nom, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la double circonstance que des témoignages produits devant les premiers juges établissaient que M. A...et son père souhaitaient porter le même nom et que M.A..., affecté par le décès de son père le 18 décembre 2012, faisait état de troubles psychologiques liés au refus du garde des sceaux de l'autoriser à adjoindre le nom de son père au nom de sa mère ; qu'en reconnaissant ainsi l'existence d'un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil, alors que le seul souhait de prendre le nom de son père ne peut suffire à caractériser un tel intérêt et que les troubles psychologiques relevés étaient postérieurs à la demande de changement de nom, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si M. A...manifeste son souhait de changer de nom et fait valoir que son père souhaitait qu'ils puissent porter le même nom, alors même qu'aucune démarche n'avait été engagée à cette fin tant qu'il était mineur et qu'il n'a pas fait usage du nom de son père, et s'il allègue de troubles que lui causerait le refus opposé par le garde des sceaux, il ne fait état d'aucune circonstance exceptionnelle qui serait susceptible de faire regarder le motif affectif qui soutient sa demande comme caractérisant l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ; que c'est, par suite, à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision du garde des sceaux refusant le changement de nom sollicité ;

9. Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. A...devant le tribunal administratif de Paris ;

10. Considérant que la décision du 16 janvier 2014 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui ont conduit le ministre à refuser le changement de nom sollicité par M. A...; que cette décision satisfait ainsi à l'exigence de motivation posée par l'article 6 du décret du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision refusant d'autoriser M. A...à changer de nom ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. A...à ce titre ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 15 décembre 2016 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 2 octobre 2015 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. B...A...devant le tribunal administratif de Paris et les conclusions qu'il a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... A....



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