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Ariane Web: Conseil d'État 409869, lecture du 25 mai 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:409869.20180525

Décision n° 409869
25 mai 2018
Conseil d'État

N° 409869
ECLI:FR:CECHR:2018:409869.20180525
Inédit au recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Florian Roussel, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public


Lecture du vendredi 25 mai 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 409869, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 avril 2017 et 8 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil régional de Midi-Pyrénées de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2017-192 du 16 février 2017 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives aux professions de santé ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 409874, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 avril 2017 et 8 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil départemental de la Haute-Garonne de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2017-192 du 16 février 2017 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives aux professions de santé ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.







....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 ;

- la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 ;

- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.



1. Considérant que le Gouvernement a été habilité par l'article 212 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé à adapter les dispositions législatives relatives aux ordres des professions de santé par ordonnance ; que l'ordonnance du 16 février 2017 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives aux ordres des professions de santé a été prise sur le fondement de cette habilitation ; que le 4° de l'article 4 de cette ordonnance a donné au premier alinéa du I de l'article L. 4124-7 du code de la santé publique la rédaction suivante : " La chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins et des chirurgiens-dentistes, sous réserve des dispositions de l'article L. 4124-10-1, siège auprès du conseil régional ou interrégional et les audiences se tiennent dans le département où siège ce conseil " ; que le 4° de l'article 5 de l'ordonnance a inséré dans le même code un article L. 4125-8, applicable aux ordres professionnels des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes, et ainsi rédigé : " L'âge limite pour être candidat à une élection pour être membre d'un conseil ou assesseur d'une chambre disciplinaire est de 71 ans révolus à la date de clôture de réception des déclarations de candidature " ; que le conseil régional de Midi-Pyrénées et le conseil départemental de la Haute-Garonne de l'ordre des médecins présentent contre l'ordonnance des requêtes qui, eu égard aux moyens soulevés doivent être regardées comme tendant à l'annulation de ces seules dispositions ; qu'il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par une seule décision ;

Sur les fins de non-recevoir soulevées par le ministre des solidarités et de la santé :

2. Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre des solidarités et de la santé, le conseil régional de Midi-Pyrénées de l'Ordre des médecins et le conseil départemental de la Haute-Garonne de l'Ordre des médecins justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle insère dans le code de la santé publique l'article L. 4125-8 et qu'elle donne une nouvelle rédaction au premier alinéa du I de l'article L. 4124-7 de ce code ;

Sur l'intervention présentée par le conseil départemental de l'ordre des médecins des Hautes-Pyrénées à l'appui de la requête du conseil régional de Midi-Pyrénées de cet ordre professionnel :

3. Considérant que le conseil départemental de l'ordre des médecins des Hautes-Pyrénées a intérêt à l'annulation des dispositions litigieuses de l'ordonnance attaquée ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;

Sur le premier alinéa du I de l'article L. 4124-7 du code de la santé publique :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 212 de la loi d'habilitation du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : " I. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures visant à adapter les dispositions législatives relatives aux ordres des professions de santé afin : (...) / 3° De tirer les conséquences de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral sur l'organisation des échelons des ordres (...) " ;

5. Considérant que l'ordonnance attaquée a inséré à l'article L. 4124-11 du code de la santé publique des dispositions prévoyant que le siège des conseils régionaux ou interrégionaux des ordres des professions médicales se situe dans le département au sein duquel l'agence régionale de santé a son siège, sous réserve, s'agissant des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes, d'une décision du conseil national de leurs ordres ; que l'ordonnance a par ailleurs inséré à l'article L. 4124-7 du même code des dispositions selon lesquelles, d'une part, la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins et de l'ordre des chirurgiens-dentistes siègent auprès du conseil régional ou interrégional et tiennent leurs audiences dans le département où siège ce conseil et, d'autre part, la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des sages-femmes siège auprès du conseil interrégional de l'ordre des sages-femmes dont elle dépend ;

6. Considérant, en premier lieu, que ces dispositions ont pour objet de tirer les conséquences de la nouvelle délimitation des régions à laquelle a procédé la loi du 16 janvier 2015, en fixant le siège des organes régionaux des ordres des professions médicales ; que le moyen tiré de ce que l'auteur de l'ordonnance aurait excédé les limites de l'habilitation résultant des dispositions citées au point 4 de l'article 212 de la loi du 26 janvier 2016 doit, par suite, être écarté ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que si les requérants font valoir que le premier alinéa du I de l'article L. 4124-7 du code de la santé publique, en tant qu'il prévoit que la chambre disciplinaire de première instance tient ses audiences dans le département où siège le conseil régional ou interrégional, a eu pour effet d'accroître le temps moyen de trajet des médecins appelés à comparaître devant cette juridiction, ces dispositions, qui découlent de la modification du découpage des régions par la loi du 26 janvier 2015, ne portent pas de ce seul fait, contrairement à ce qui est soutenu, une atteinte excessive au droit au recours effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

8. Considérant, en troisième lieu, que le principe d'égalité n'impose pas de soumettre les ordres des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes à des règles en tout point identiques en ce qui concerne le siège des conseils régionaux et interrégionaux et des chambres disciplinaires de première instance et les lieux où ces juridictions tiennent leurs audiences ;

9. Considérant, en dernier lieu, que les moyens tirés de la méconnaissance par les dispositions litigieuses de l'article 1er de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ainsi que des objectifs de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement et des articles L. 220-1 et L. 229-1 du code de l'environnement sont dépourvus de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Sur l'article L. 4125-8 du code de la santé publique :

10. Considérant qu'aux termes de l'article 212 de la loi d'habilitation du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : " I. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures visant à adapter les dispositions législatives relatives aux ordres des professions de santé afin : (...) 2° De modifier la composition des conseils, la répartition des sièges au sein des différents échelons et les modes d'élection et de désignation de manière à simplifier les règles en ces matières et à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de membres dans l'ensemble des conseils (...) " ;

11. Considérant que l'ordonnance du 16 février 2017 insère dans le code de la santé publique un article L. 4125-8 qui institue une limite d'âge pour se porter candidat à une élection pour être membre d'un conseil ou assesseur d'une chambre disciplinaire, que les dispositions antérieurement en vigueur ne prévoyaient pour aucun des ordres concernés ; qu'une telle disposition, qui n'a pour effet ni de simplifier les règles d'éligibilité au sein des instances ordinales, ni de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de membres des conseils, n'entre pas dans le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement par les dispositions précitées du 2° du I de l'article 212 de la loi du 26 janvier 2016 ; qu'aucune autre disposition de cet article n'autorisait le Gouvernement à poser une telle règle ; qu'ainsi, en insérant l'article L. 4125-8 dans le code de la santé publique, le Gouvernement a excédé les limites de l'habilitation pour légiférer par ordonnance dont il disposait ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les organisations requérantes ne sont fondées à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée qu'en tant qu'elle insère dans le code de la santé publique l'article L. 4125-8 ;

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil régional de Midi-Pyrénées et au conseil départemental de la Haute-Garonne de l'ordre des médecins une somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du conseil départemental des Hautes-Pyrénées de l'ordre des médecins est admise.
Article 2 : L'ordonnance du 16 février 2017 est annulée en tant qu'elle insère dans le code de la santé publique un article L. 4125-8.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera au conseil régional de Midi-Pyrénées de l'ordre des médecins et au conseil départemental de la Haute-Garonne de l'ordre des médecins une somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au conseil régional de Midi-Pyrénées de l'ordre des médecins, au conseil départemental de la Haute-Garonne de l'ordre des médecins, au Premier ministre, à la ministre des solidarités et de la santé et au conseil départemental de l'ordre des médecins des Hautes-Pyrénées.


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